Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Zizi or not zizi : le cas Diplodocus

Le 22 avril 2013 par Jean Le Loeuff

L’on fait parfois sur un chantier de fouilles des découvertes extrêmement délicates à identifier : non parce que ce sont des os appartenant à une nouvelle espèce, mais parce qu’on n’arrive pas à déterminer de quel os il s’agit ! Et l’anatomie comparée alors, vous demanderez-vous avec raison ? Moui, certes, mais il y a des fois, ça ne le fait pas. C’est que pour comparer il faut du matériel de comparaison et s’il n’y en a pas, on l’a dans le baba. Prenons ainsi les dinosaures sauropodes, ces majestueux herbivores qui balançaient leurs longs cous et leurs immenses queues dans les plaines du Mésozoïque dont ils étaient d’infatigables voyageurs. Et bien figurez-vous qu’on ne connaît aucun squelette de sauropode absolument complet, et notamment aucun dont la ceinture pectorale soit complète. Et ces animaux étant bien curieusement gaulés, il ne suffit pas de rechercher un os ressemblant vaguement à une clavicule de crocodile (blague, précisé-je, car le crocodile est dépourvu de clavicule, p’tit père). Du coup, lorsque l’on trouve des os isolés qui ne ressemblent à rien autour d’un squelette de sauropode on se dit : « Damned ! Si cet os était une clavicule ? »

Car la clavicule du sauropode c’est un peu le boson de Higgs de la paléontologie : mettre la main dessus n’est pas une sinécure. Pourtant le grand paléontologue américain Hatcher crut bien en avoir trouvée une dans le squelette d’un de ses Diplodocus, un os un peu bizarre en forme de baguette un peu courbée se terminant en fourche. Certes Hatcher n’avait trouvé qu’une seule « clavicule » avec son squelette, mais il supposa que la seconde manquait tout simplement. Notons ici que Diplodocus c’est une des grandes affaires du début du siècle dernier : le milliardaire américain Carnegie ayant décidé d’offrir des moulages de son squelette aux plus grands musées du monde, Diplodocus fit la Une des magazines régulièrement à partir de 1905, lorsque le premier moulage fut offert au roi d’Angleterre Edward VII. Et oui des milliardaires offrant des squelettes de dinosaures aux musées, c’est quand même plus classe que de planquer son pognon aux Iles Caïman ! Malheureusement en France le milliardaire généreux tend à donner exclusivement dans l’art contemporain alors que financer quelques fouilles dans la Haute Vallée de l’Aude (par exemple, je n’ai rien non plus contre le don d’un squelette de Diplodocus au Musée des Dinosaures…) ça aurait quand même de l’allure… Mais foin de ces remarques futiles, revenons à l’installation du Diplodocus à Londres en 1905 qui suscita une grande agitation médiatique et scientifique.

 

Ce billet est dédié au Baron Nopcsa, quand il était petit garcon (à droite ; image de Ascuns prin Transilvania)

C’est ici qu’entre en scène un authentique baron roumain de Transylvanie qui fut aussi l’un des esprits les plus pénétrants de la paléontologie du premier tiers du vingtième siècle. Le Baron Nopcsa était un polyglotte qui écrivit son œuvre scientifique dans de multiples langues, traduisant toujours son prénom dans la langue dans laquelle il s’exprimait : il signa ainsi Franz en allemand, Ferenc en hongrois, Francis en anglais ou François en français, petite singularité pleine de délicatesse. L’article qui nous intéresse étant paru en anglais en 1905 est donc signé Francis, Baron Nopcsa et s’intitule « Remarques sur la supposée clavicule du dinosaure sauropode Diplodocus ». Dans cet intriguant travail anatomique, Nopcsa réfute les arguments de Hatcher pour privilégier une autre hypothèse sur la nature de cet os énigmatique, hypothèse qu’Hatcher lui-même avait auparavant évoquée : la « clavicule » du Diplodocus serait en fait un os pénien, un baculum. Je précise ici que nombre de mammifères comme les carnivores ou les grands singes (sauf un…) possèdent un tel os pénien, mais qu’il est inconnu chez les reptiles. A l’appui de sa thèse Nopcsa décrivait par exemple un os pénien de loutre bifide présentant de grandes ressemblances avec l’os du Diplodocus, et illustrait aussi la coupe d’un pénis d’autruche qui est dépourvu d’os pénien mais dont la forme des corps fibreux internes montrait de grandes analogies avec l’extrémité bifurquée de la supposée clavicule.

Bref pour notre élégant baron le mystérieux os de Diplodocus était un os pénien, « dans l’attente de futures découvertes naturellement nécessaires avant qu’une question si délicate puisse être regardée comme définitivement close ». Ah oui il avait du style le Baron !

La postérité n’arbitra pas vraiment en sa faveur, et son hypothèse fut reléguée dans le siècle suivant au rang des anecdotes pittoresques de la paléontologie, alors que comme nous allons le voir la contre-hypothèse claviculaire n’était guère plus convaincante. Et il a fallu attendre cette année 2013 pour que deux chercheurs de l’Université de Lisbonne, Emanuel Tschopp et Octavio Mateus, donnent un coup de jeune au débat.

Les véritables clavicules de Diplodocus (J. of Anatomy)

Nos deux paléontologues ont étudié une grande quantité d’os bizarres de sauropodes, de ces trucs qu’on ne sait pas bien quoi en faire, et en particulier une pelletée de « clavicules » (ou de baculums à ce stade, si l’on préfère). Et ils proposent une toute nouvelle interprétation de l’os de la discorde : pour eux ce n’est ni une clavicule, ni un os pénien mais… une interclavicule ! Késako ? Un petit os qui réunit les deux clavicules chez les reptiles. Cette astucieuse hypothèse explique pourquoi on n’a jamais retrouvé deux os de ce type dans un même squelette : c’est qu’il n’y a qu’une interclavicule entre les deux clavicules ! Et la véritable clavicule de Diplodocus selon eux a une toute autre forme (en L aplati) et on la trouve par paire, ce qui le fait beaucoup mieux. Affaire réglée ? J’aurais tendance à le croire d’autant que quelques clavicules de sauropodes nouvelle manière traînent sur les étagères du Musée des Dinosaures : elles devraient trouver leur place dans le squelette d’Ampelosaurus

Quant au pénis du diplodocus, comme le chantait Ray Ventura, c’est comme les bananes parce qu’ya pas d’os dedans…

 

Clavicules, interclavicules : ça se passe où dans un diplodocus ? (J. of Anatomy)

Références :

John Bell Hatcher (1901) Diplodocus Marsh: its osteology, taxonomy, and probable habits, with a restoration of the skeleton. Memoirs of the Carnegie Museum, 1, 1-63.

John Bell Hatcher (1903) Additional Remarks on Diplodocus. Memoirs of the Carnegie Museum 2(1): 72-75.

Francis Nopcsa (1905) Remarks on the supposed Clavicle of the Sauropodous Dinosaur Diplodocus. Proceedings of the Zoological Society of London, vol II, 289-294.

Emanuel Tschopp & Octavio Mateus (2013) Clavicles, interclavicles, gastralia, and sternal ribs in sauropod dinosaurs: new reports from Diplodocidae and their morphological, functional and evolutionary implications. Journal of Anatomy, 222, 321-340.

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Publié dans : Ampelosaurus,Histoire de la paléontologie

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3 Réponses pour “Zizi or not zizi : le cas Diplodocus

  1. Michel Fontaine dit :

    Un os qui aurait ravi notre bon roi Henri IV.

  2. ETIENNElaude dit :

    Tout tout tout vous saurez tout …air connu.
    En tous cas bravo et merci pour ce article plein d’humour et de fraîcheur.

  3. Romain dit :

    Merci pour cet article sympa et facile à comprendre découvert au gré de mes pérégrinations sur le Net.