Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Prête-moi ta plume, bel ornithischien

Le 3 novembre 2014 par Jean Le Loeuff

C’est une vraie petite révolution qui s’est déroulée au cœur de l’été, quand vous vous préoccupiez davantage de vos serviettes de bains ou de vos parapluies que de la biologie des dinosaures. Je me plais à imaginer votre stupeur : quoi, une révolution dinosaurienne et on ne m’aurait rien dit ! Damned ! Une sueur glacée coule entre vos omoplates, vous haletez légèrement, votre rythme cardiaque s’accélère… Et pourtant si, cher lecteur : en 17 mots comme en cent, attends-toi à voir bientôt débouler des Triceratops à plumes et des iguanodons de la même eau… L’un des derniers bastions de l’épilation est en effet tombé : des ornithischiens (l’autre grand groupe de dinosaures, à côté des saurischiens, ces derniers rassemblant les théropodes carnivores et les grands sauropodes au port altier) avaient des plumes ! Attention, ne me faites pas écrire ce que je n’ai pas écrit ; « des » ornithischiens, pas (encore) « les » ornithischiens. Alors il est vrai que les ornithischiens, finalement, on n’en parle pas trop sur ce blog : une maigrichonne dizaine de billets contre une trentaine aux saurischiens, y’a un peu de ségrégation mais ils n’avaient qu’à avoir des plumes, après tout ! Et bien ça, c’est fait !

C’est dans une région très reculée de la Sibérie que la découverte a eu lieu, une région formant un coin entre la Mongolie et la Chine, un de ces trous où personne ne va sauf si sa grand’tante y habite, personne à part Pascal Godefroit, paléontologue belge de son état. Les restes disloqués de plusieurs centaines d’individus ont été exhumés de niveaux assez pauvrement datés du Jurassique « moyen à supérieur » (entre 169 et 145 Ma). Tous les squelettes trouvés dans ce « bonebed » appartiendraient à une même espèce d’ornithischien primitif baptisée du doux nom de Kulindadromeus zabaikalus. Qu’on ait là un ornithischien ne fait guère de doute : l’on reconnaîtra au premier coup d’oeil le prédentaire et le bassin caractéristiques de ces petites bêtes. Les auteurs nous expliquent que Kulindadromeus est proche de l’ancêtre commun des cérapodes, c’est-à-dire le groupe constitué des Ornithopodes et des Marginocéphales (les cératopsiens et leurs cousins). Fort bien, nous les croyons sinon sur parole, du moins sur la foi de leur joli cladogramme. Jusque-là il n’y a pas de quoi fouetter un dinosaure, fût-il sibérien. Mais là où Kulindadromeus quitte la normalité (ah, je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant d’un dinosaure normal, je vous le raconterai un jour) c’est parce que tous ces ossements sont environnés de traces d’épiderme, et que parmi ces traces nos auteurs reconnaissent des plumes et des écailles.

Le squelette de Kulindadromeus

Des revêtements un peu curieux avaient déjà été signalés auparavant chez Psittacosaurus et Tianyulong, deux petits ornithischiens chinois mais leur nature réelle a été vivement discutée et, en somme, le doute persistait sur la réalité de leur pelage constitué de filaments, et surtout sur la nature de ces filaments. En Sibérie ce sont de très nombreux restes à la fois d’écailles et de « plumes » qui ont été découverts : certaines parties du corps de Kulindadromeus étaient couvertes d’écailles, d’autres de protoplumes. Car il ne s’agit pas ici de rémiges comme chez les oiseaux et les dromaeosaures, plutôt de protoplumes de deux types : de simples filaments (évoquant ce qui a déjà été trouvé chez Psittacosaurus et Tianyulong) et des groupes de 6-7 filaments connectés à une plaque basale, ces derniers évoquant le duvet de certains oiseaux comme la poule soie. Ce sont ces derniers zigouigouis qui ont l’honneur d’être qualifiés de protoplumes. Et l’on s’interroge : la plume ou la protoplume plutôt serait donc soit apparue deux fois (une fois chez les théropodes, une autre fois chez un ancêtre des cérapodes), soit apparue une seule fois chez l’ancêtre de tout ce petit monde…

Les différents revêtements protoplumitifs de Kulindadromeus

Faut-il donc sérieusement s’attendre à découvrir des Triceratops couverts d’un mignon duvet type poule soie, voire des sauropodes en peluche (dans l’hypothèse où l’ancêtre de tous les dinosaures était déjà emplumé) ? Pas forcément : ce duvet ou ce plumage pourrait avoir été limité aux dinosaures de petite taille et aux « poussins » de grands dinosaures. Ou pas. Finalement le plus intéressant c’est peut-être que cette découverte démontre aussi que le recouvrement d’un dinosaure pouvait être extrêmement varié : écailles sur la queue et les pattes, filament sur la tête et le thorax, protoplumes sur les bras et les cuisses… Ipso facto ne connaître que quelques fragments de la peau d’un dinosaure, comme c’est souvent le cas, ne signifie pas que l’animal était entièrement recouvert de ce type de peau… Connaître trois écailles de sauropode (ou de tyrannosaure) n’implique pas que leur possesseur était entièrement recouvert d’écailles. En revanche comme l’on connaît de nombreuses momies d’hadrosaures il est à peu près certain que ceux-là étaient glabres ! Quant à la Grande Zaza (puisqu’ainsi surnommerai-je dorénavant Kulindadromeus zabaikalus) son truc en plumes  devrait inspirer certains illustrateurs dinosauriens de ma connaissance.

Une reconstitution de Zaza

 

note rajoutée le 3 novembre à 14h : Pierre Mazan nous livre enfin la première reconstitution rigoureuse et inspirée à la fois de Kulindadromeus zabaikalus, plus connu sous le sobriquet infernal et sans doute immérité de « La Grande Zaza » :

 

Références :

Pascal Godefroit, Sofia M. Sinitsa, Danielle Dhouailly, Yuri L. Bolotsky, Alexander V. Sizov, Maria E. McNamara, Michael J. Benton & Paul Spagna. ‎ 2014. A Jurassic ornithischian dinosaur from Siberia with both feathers and scales. Science, 451, p. 451-455.

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Publié dans : Dinosaures à plumes,Ornithischien

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3 Réponses pour “Prête-moi ta plume, bel ornithischien”

  1. [...] C’est une vraie petite révolution qui s’est déroulée au cœur de l’été, quand vous vous préoccupiez davantage de vos serviettes de bains ou de vos parapluies que de la biologie des dinosaures.  [...]

  2. Mazan dit :

    Jean… dans ta boite mail : La grande Zaza.
    ;)