Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Vous aimez les contes de Noël ? Il n’en sera pas question ici, mais de légendes peut-être. Ah noël. Les cadeaux, les rires au coin du feu, le petit Jésus dans la crèche … Et si les paléontologues venaient gâcher ce tableau idyllique ? En cette période de fêtes, laissez moi vous conter une histoire de monstres, tout droits sortis de l’imagination d’adorateurs de fossiles.
Notre histoire débute en Angleterre et, comme toujours au pays de Sa Majesté, celle-ci commence autour d’une tasse de thé, dans la tearoom du département de zoologie de l’Université de Cambridge. Un ami me présente deux de ses collègues naturalistes brésiliens. Après quelques digressions de rigueur autour de l’affreuse météo de la perfide Albion, l’un d’eux me demande ce que j’étudie. Je leur raconte que je m’intéresse à l’évolution de Megatherium. Un long silence suit ma réponse, ce nom ne leur dit rien visiblement. Quand je leur explique qu’il s’agit d’un paresseux géant, l’un d’eux s’exclame : « ah le Mapinguari ! Tu travailles sur le Mapinguari ! ». Dans un anglais tout occitan je leur réponds : « the Mapinguari, qu’es aquò ? » Voilà donc mes deux nouveaux collègues brésiliens me narrant, sourire aux lèvres, des légendes indiennes qui parlent d’étranges rencontres avec des paresseux géants dans des contrées reculées de la forêt amazonienne. Et que s’appelerio Mapinguari …

Une représentation du Mapinguari fidèle à la légende indienne.

Comment diable des paresseux géants ont-ils pu se retrouver au milieu de légendes indiennes ? En fait, le Mapinguari fait partie de tout un bestiaire de la mythologie amazonienne mais, à l’origine, il n’avait pas grand chose à voir avec un paresseux. Il était décrit comme un animal de taille humaine, cyclope, possédant une bouche au niveau de l’abdomen, de longues griffes, une peau de caïman et dégageant une odeur putride. Mais certains ont reconnu dans cette description des traits de paresseux géants. Déjà en 1958, Bernard Heuvelmans, l’un des pères de la cryptozoologie, se posait la question de savoir si des paresseux géants « pourraient toujours vivre dans cet enfer vert et y avoir trouvé un havre de paix ». Lors de missions zoologiques dans l’état du Pará au Brésil, David Oren (musée de Belém) a eu l’occasion de recueillir plusieurs témoignages de chasseurs qui auraient croisé la route du fameux Mapinguari. A chaque fois, leur description correspondait grossièrement au profil d’un mégathère. Et si, derrière le mythe du Mapinguari, se cachaient en réalité les derniers représentants d’une espèce de paresseux qu’on eût cru éteinte depuis des siècles ? Aux plus excités d’entre vous, je rappelle ici qu’il est arrivé encore récemment à certains franciliens de confondre un bon gros matou des campagnes avec un tigre … Pour David Oren, le mythe du Mapinguari aurait pu voir le jour au moment où les premiers habitants d’Amérique du Sud ont côtoyé les derniers paresseux géants, puis la légende aurait été transmise plus ou moins fidèlement de génération en génération.
Fruit du hasard ou non, la version « paresseux géant » du Mapinguari semble être relativement moderne. Elle serait apparue après que les grandes phases d’exploration paléontologique du 19ème et du début du 20ème siècle aient popularisé l’image des paresseux géants en Amérique du Sud. Les fossiles ont cette capacité de pouvoir enflammer notre imagination et les particularités physiques de Megatherium ont très tôt fait de lui une mégastar de la mégafaune américaine. Évidemment, on ne reconnaît que ce que l’on connaît déjà ; il me semble probable que l’image populaire des paresseux géants ait pu venir à bout de l’ancienne représentation indienne du Mapinguari. En 565, Saint Columba n’avait pas reconnu en Nessie un plésiosaure et pour cause, ce n’est qu’au début du 20ème siècle que l’image reptilienne du monstre du Loch Ness fut popularisée. N’est-il pas étrange d’ailleurs que très peu de légendes aient vu le jour depuis que les paléontologues ont commencé à faire rêver petits et grands ? Leurs monstres du passé apparaissent bien plus crédibles que n’importe quel monstre légendaire car eux ont bel et bien existé ! Si les découvertes fortuites de fossiles ont probablement été à l’origine de certaines croyances, les cyclopes des îles méditerranéennes par exemple, le pouvoir des fossiles à captiver l’imagination aura peut-être eu raison des plus anciennes d’entre elles.

Un Mapinguari mort en Amazonie. ©Edentata.

Tremblez fidèles, car vous savez désormais que les paléontologues et leurs fossiles peuvent déboulonner les plus solides des croyances ! Alors, à quand l’enfant de Taung à la place du petit Jésus au milieu de la crèche de la mairie de Béziers ? Depuis quelques semaines, j’étais d’ailleurs en mesure de vous démontrer que Rudolph et les rennes du père Noël ne sont en fait que des Megaloceros qui ont réussi à survivre dans des contrées lointaines de Laponie, témoignage d’un vieux barbu rougeaud à l’appui. Mais j’ai préféré attendre quelques jours par pure prudence …

Rudolph, le Megaloceros. ©2011-2014 pauloomarcio.

Références
- Heuvelmans, B. 1958. On the track of unknown animals. Rupert Hart-Davis, London.
- Oren, D. C. 2001. Does the endangered xenarthran fauna of Amazonia include remnant ground sloths. Edentata

 

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Publié dans : Mammifères fossiles,Nouveautés

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2 Réponses pour “La fin de toutes les croyances ? Quand les fossiles démystifient l’étrange”

  1. lamouline dit :

    A quand l’histoire du marsupilami? roger.

  2. [...] Vous aimez les contes de Noël ? Il n’en sera pas question ici, mais de légendes peut-être. Ah noël. Les cadeaux, les rires au coin du feu, le petit Jésus dans la crèche … Et si les paléontologues venaient gâcher ce tableau idyllique ?  [...]