Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Les dinosaures sont entrés depuis bien longtemps en littérature, notamment dans les « romans de mondes perdus » qui fleurirent à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Nous aurons l’occasion de revenir sur leurs premiers pas dans la fiction mais en attendant, il est l’heure de tirer d’un injuste oubli un roman du canadien James De Mille [1833-1880]. Paru de manière posthume en 1888 c’est l’un des tout premiers romans de monde perdu mettant en scène des dinosaures.

Le monde perdu de De Mille est antarctique : son héros, Adam More, est un marin anglais qui perd son navire lors d’une pause cynégétique sur un ilot peuplé de phoques, et est transporté par un courant jusqu’au cœur du continent antarctique. Il y découvre un monde étrange peuplé d’animaux fantastiques et d’un curieux peuple pour qui la misère, la souffrance et la mort sont les principales valeurs. Nous n’évoquerons ici que le bestiaire de De Mille, lequel comprend bon nombre d’animaux disparus : au menu, des oiseaux géants à la pelle (Gastornis, Dinornis et quelques dodos géants pour faire bonne mesure) et d’énormes ptérosaures domestiqués, bien commodes pour prendre un peu de hauteur. Quant aux dinosaures, on les rencontre lors de la chasse au « monstre des marais », un iguanodon de 30 mètres de long ressemblant « à l’un de ces dragons des fables ». Ensuite Adam et sa chérie (car une grande histoire d’amour traverse aussi ces pages inspirées) se retrouvent en tête-à-tête avec « une forme énorme, bien vivante, d’au moins soixante pieds de long. Son corps ressemblait à celui d’un éléphant, sa tête à celle d’un crocodile, et elle avait d’immenses yeux flamboyants. Son corps gigantesque, couvert d’une armure impénétrable, était porté par des pattes assez longues pour courir à une grande vitesse».  Les érudits lecteurs du manuscrit (de riches yachtmen qui l’ont découvert au milieu de l’Atlantique, dérivant dans son cylindre de cuivre) comprennent immédiatement qu’il s’agit d’un Megalosaurus.  Megalosaurus et Iguanodon sont les deux premières espèces de dinosaures décrites scientifiquement (respectivement en 1824 par William Buckland et en 1825 par Gideon Mantell). Mais chacun sait aujourd’hui que Megalosaurus, un dinosaure carnivore, était bipède, et la description de More peut donc nous surprendre : pourquoi un mégalosaure quadrupède ?

Le Megalosaurus du Palais de Cristal (avec l’aimable autorisation de Laurence Talairach-Vielmas)

La source documentaire de De Mille pour son zoo préhistorique est claire : il s’agit de l’édition anglaise de La Terre avant le Déluge de Louis Figuier, l’un des premiers best-sellers de la vulgarisation paléontologique. La totalité des animaux décrits par De Mille sont en effet présents dans le livre de Figuier ; plus convaincant encore, certaines de ses descriptions paraphrasent Figuier. La source de James De Mille fut donc The World Before the Deluge, et son étrange manuscrit est une déclinaison romanesque des connaissances paléontologiques de la fin des années 1850. On ne s’étonnera donc pas d’y découvrir de bien étranges dinosaures : ce sont ceux du Palais de Cristal, construits au sud de Londres par l’artiste B.W. Hawkins en 1854 sur les instructions de Sir Richard Owen, l’illustre inventeur du mot « dinosaure ». Ce dernier, étudiant les restes fort incomplets disponibles à l’époque, avait supposé que les dinosaures étaient tous de gros reptiles quadrupèdes à l’allure éléphantesque.  Le Megalosaurus de De Mille est une copie conforme de celui de Hawkins ; en revanche son Iguanodon évoque plutôt la vision anté-owenienne des dinosaures, considéré comme de gigantesques lézards au moment de leur découverte. Ce sont donc ici les deux premiers concepts envisagés par les paléontologues qui se côtoient : dinosaures-lézards et dinosaures-rhinocéros. Les deux versions étaient déjà caduques lorsque le livre sortit (de manière posthume, rappelons-le) en 1888, mais ceci est une autre histoire…

Ce roman, qui ravira tous les amateurs de mondes perdus, n’a été traduit pour la première fois en français qu’en 2009, 120 ans après sa première parution, grâce à l’éditeur Michel Houdiard et au traducteur, Lauric Guillaud, Professeur de littérature et civilisation américaines à l’Université d’Angers et grand spécialiste de la littérature de mondes perdus. Pour les lecteurs anglophones de nombreuses éditions existent (A strange manuscript found in a copper cylinder) ainsi qu’une version illustrée disponible sur www.gutenberg.org

J. De Mille, L’étrange manuscrit dans un cylindre de cuivre, Michel Houdiard, Paris, 2009 [traduction et présentation Lauric Guillaud]

Facebook Twitter Email

Publié dans : Analyse de livre,Histoire de la paléontologie,Littérature fantastique

Les commentaires et les pings ne sont pas autorisés.

2 Réponses pour “Dinoroman 1 : L’étrange manuscrit trouvé dans un cylindre de cuivre de James De Mille”

  1. Romain dit :

    Comme quoi il n’y a que des gens bien en Anjou :D .

  2. boutel dit :

    Merci de nous faire partager cette superbe trouvaille, un roman qui me semble passionnant et qui était passé à travers les mailles de mon filet. Je vais m’empresser de le commander.
    Bien amicalement