Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Un précoce singe en marche

Le 11 décembre 2019 par Jean-Louis Hartenberger

La Bavière berceau de la bipédie avant celle de la bière ? Pourquoi pas nous disent les fossiles de Danuvius guggenmosi vieux de 11,62 millions d’années découverts à Hammerschmiede. Les mâchoires évoquent les Dryopithèques et autres grands singes du Vallésien d’Europe. Pour le corps, ce vieux primate au vaste poitrail qui vivait près du Danube avait des vertèbres lombaires pourvues d’épines allongées, des mains et poignets solides, des hanches, jambes et genoux qui permettaient la station debout. Au final il pouvait se déplacer avec autant d’aisance par bipédie à terre que par brachiation dans les arbres (1).Est-il l’ancêtre commun des grands singes et des hommes que tous les primatologues souhaitent un jour découvrir  ? Affaire à suivre mon cher Dr. Watson… Mais sous quels cieux  ? En Europe  ? En Asie  ? En Afrique  ?

L’aventure humaine est une longue saga marquée d’étapes plus ou moins décisives aux dires de ses conteurs. L’acquisition de la bipédie pour une majorité d’entre eux fut et reste un tournant majeur. C’est cette innovation qui a assuré à la lignée humaine son avenir glorieux disent-ils. Plantés sur les pattes de derrière, le regard fixé vers des horizons aussi lointains que merveilleux, la tête haute et les mains libres, à compter de cette époque les Homininae pourvus de ce talent furent autres, avant de devenir nous. Quand, dans quelles contrées et paysages, et surtout comment cette révolution en marche s’est déclenchée  ?

Possible ancêtre de notre lignée, bien documenté et bipède reconnu, il convient en premier lieu d’évoquer l’Africain Ardipithecus ramidus qui a vécu voici 4,4 ma. Certes, il était capable de se déplacer aisément à terre, mais l’était tout autant dans les arbres. Il y a 5,9 ma, au Kenya, a vécu un autre bipède, Ororin. Plus à l’Est et plus ancien, 7 ma, mais tout aussi Africain, on trouve Sahelanthropus du Tchad qui selon ses auteurs avait les mêmes capacités ambulatoires. Mais il reste encore bien mystérieux

http://www.dinosauria.org/blog/2018/02/13/toumai-aie-aie-aie-triste-histoire-dun-femur-indigne.

Situation du gisement de Danuvius (d’après réf. 1)

Et voilà qu’un gisement livre un nouveau candidat à la fois plus ancien et cette fois hors d’Afrique, en Europe Centrale.

C’est entre 2015 et 2018 que des fouilles sur un site de la région d’Allgäu en Bavière, dans les argiles de Hammerschmiede près du Danube, ont mis au jour les restes de toute une famille  de grands singes : quatre individus, un mâle, deux femelles et un enfant. Le premier, probablement le père, était d’une taille d’un mètre environ, pesait dans les 31 kg. Ses compagnes 18. Dans le passé, le même gisement avait livré une antilope (Myotragus), un rhinocéros (Aceratherium), des insectivores et rongeurs. Il est daté par les méthodes du paléomagnétisme, 11,62 ma. En outre, pour les amateurs, on peut signaler que coule dans ses environs une source à l’eau si pure qu’elle a permis l’installation d’une distillerie qui produit un excellent whisky. A consommer avec modération, comme il se doit.

Les auteurs du signalement rapprochent Danuvius guggenmosi, ( = dieu celtique du Danube découvert par M. Guggenmos) des Dryopithèques, grands singes largement répandus au Tortonien (12 ma) dans toute l’Europe et jusqu’en Chine. On est alors dans une époque où sous les latitudes élevées, température et humidité favorisent la croissance et l’expansion de forêts luxuriantes, aussi bien en Afrique qu’en Europe méridionale et centrale, et jusqu’en Asie. Elles sont peuplées de ces grands singes que l’on range comme nous dans les Homininae. L’arbre généalogique qui suit présente les principaux rameaux de notre famille, et l’on peut constater que les Dryopithèques sont à la base de cet arbre.

Arbre des Homininae (Wikipedia)

Insistons sur un point : les Dryopithèques ne sont présents qu’en Europe et en Asie, et il faut ajouter qu’à la même époque les hasards de la fossilisation font que l’on connaît mieux les Homininae du Miocène d’Europe que ceux d’Afrique..

Ce sont de grands singes de la taille du chimpanzé. Le premier signalé le fut par Edouard Lartet en 1856 dans un site pyrénéen, à Saint-Gaudens. Par la suite d’autres genres et espèces ont été décrits en France, Espagne, Autriche et en Chine. C’étaient des animaux arboricoles qui se nourrissaient de baies, fruits et miel. Chez un spécimen d’Autriche, ce goût pour les aliments sucrés a induit l’apparition d’une carie sur une de ses molaires, et on a pu constater la minceur de l’émail de ses dents, à l’image des chimpanzés actuels tout aussi frugivores. Les Dryopithèques ne sont pas les seuls grands Primates chez qui on a noté des pathologies dentaires : on en a signalées chez un homme de Neandertal de 60 000 ans, aussi chez Homo rhodosensis, Homo erectus et le Gigantopithèque (2). Cependant chez les hominidés fossiles, les caries semblent moins fréquentes que de nos jours chez les humains.

Danuvius guggenmosi est connue par des restes nombreux, variés et bien conservés. On a pu ainsi archiver entre autres le squelette de deux individus assez complets, un mâle et une femelle, pour en décrire l’anatomie des membres, leurs proportions et celle des vertèbres avec précision.

Danuvius guggenmosi mâle et femelle. (réf.1)

Au final, les primatologues révèlent que Danuvius possède une combinaison de caractères aussi unique qu’inattendue. Ce Primate avait des aptitudes à grimper certaines : les mains, poignets et coudes sont puissants et forgés pour se hisser dans les arbres. Par ailleurs ses pieds sont ceux d’un plantigrade, ses jambes et hanches autorisent la station debout. Ainsi ce singe du Miocène diffère-t-il de tous ses comparses fossiles et actuels de l’Ancien et du Nouveau Monde. S’ils sont plantigrades et palmigrades, les espèces connues jusqu’ici ne possèdent pas des membres antérieurs qui permettent la brachiation, ni des genoux qui autorisent la station debout. Par exemple, à terre les chimpanzés et bonobos se déplacent à quatre pattes en s’appuyant sur le dos des mains et sont rarement dressés sur leurs pattes postérieures.

Pour la colonne vertébrale, Danuvius possède une région lombaire étirée différente de celle de tous les grands singes connus, et au final il pouvait se déplacer avec autant d’aisance par bipédie à terre qu’en s’agrippant aux branches de la forêt. On peut dire que membres inférieurs et membres supérieurs possèdent des capacités ambulatoires équivalentes : Danuvius était aussi à l’aise dans les arbres que debout à terre… ou dans les arbres, comme la reconstitution de l’artiste bulgare Velizar Simeonovski le propose : Danuvius y apparait dressé et bien agrippé aux branches !

Reconstitution de Danuvius par Velizar Simeonovski.

Ce constat permet aux auteurs de la découverte de proposer une hypothèse nouvelle pour expliquer comment des animaux jusque là arboricoles, grâce en grande partie à la robustesse de leurs membres antérieurs, ont pu s’adapter à un type de locomotion terrestre bipède. Dès le Vallésien, des Dryopithèques avaient cette double compétence comme on dirait aujourd’hui dans le langage du management .

En conclusion, je conseille vivement cette video de L’American Museum of Natural History qui en quelques minutes fait le point sur nos origines.

https://aeon.co/videos/last-hominin-standing-charting-our-rise-and-the-fall-of-our-closest-relatives?

Références

(1) M. Böhme, N. Spassov, J. Fuss et al.  2019.  A new Miocene ape and locomotion in the ancestor of great apes and humans. Nature  (2019) doi:10.1038/s41586-019-1731-0.

(2) Fuss J, Uhlig G, BoëhmeM (2018). Earliest evidence of caries lesion in hominids reveal sugar-rich diet for a Middle Miocene dryopithecine from Europe. PLoS ONE 13(8): e0203307. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0203307

Facebook Twitter Email

Publié dans : Evolution,Nouveautés,Primate

Les commentaires et les pings ne sont pas autorisés.

Les commentaires sont fermés.