Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

 

Depuis près de 200 ans le nom de Mary Anning résonne au pied des falaises de Lyme Regis dans le sud de l’Angleterre où elle découvrit le premier squelette complet d’ichthyosaure, à un âge où les jeunes filles préfèrent encore jouer à la poupée. Dans son roman, Prodigieuses créatures, l’américaine Tracy Chevalier, auteur du best seller La jeune fille à la perle, nous entraîne sur les traces de cette jeune passionnée de paléontologie qui partage ici le premier rôle avec Elisabeth Philpot.

Mary Anning (1799 – 1847) n’avait que 12 ans lorsqu’elle fit irruption dans le monde des chasseurs, collectionneurs de fossiles et scientifiques du début du XIXème siècle. Elle s’adonnait alors sans compter à la chasse aux fossiles qui à son époque « passait pour une activité peu distinguée, salissante et mystérieuse » et ces  » restes de créatures défuntes » étaient alors assez peu appréciés.  Mais ici, Tracy Chevallier offre aux Prodigieuses créatures, aux « curios » des descriptions, qui au regard des habituelles diagnoses, paraissent joliment poétiques.

On s’embarque aisément et avec plaisir sur les côtes du sud de l’Angleterre dans le Dorset au début des années 1800. Mary et sa famille habitent Lyme Regis, petite ville qu’elle a depuis rendue si célèbre. Le père, ébéniste, vend les fossiles qu’il extrait des falaises sur les bords de la Manche, pour arrondir les fins de mois ; la famille Anning est pauvre. A la mort de son père, Mary, forcément initiée à cette activité, reprendra le flambeau. Vendre des fossiles devient le seul moyen pour la famille de faire bouillir la marmite mais pas à n’importe quel prix. Pour Mary, il n’est pas question que « ce pauvre spécimen » aille « atterrir dans la maison d’un homme riche au milieu d’une foule d’objets en argent et en or ». Elle « en aurait pleuré ». Sans compter qu’elle avait très tôt compris que les fossiles n’ont « aucun intérêt scientifique si leur silhouette a été altérée ». Et seul compte le fait que chaque fossile soit vu par le plus grand nombre sans jamais être exhibé comme un objet de dérision ou de décoration.

A Lyme Régis, Mary fait la connaissance de Miss Elisabeth Philpot de 20 ans son aînée et dont les actuels spécialistes des poissons fossiles connaissent bien les découvertes. Miss Philpot, qui voit de la « poésie et de la philosophie » dans toutes les découvertes paléontologiques, et Mary se partagent la narration de ce roman. Elles nous racontent tour à tour leur passion infinie pour cet univers de pierre dont elles font partie. Elles nous guident dans les coulisses de quelques unes des découvertes majeures du début du XIXème, de l’ichtyosaure aux plésiosaures, dans l’ambiance feutrée des cottages.

Sans trop s’attarder – ce n’est pas son propos majeur – Tracy Chevalier nous rappelle le contexte scientifique d’une époque peu encline à admettre la théorie de l’évolution. A l’idée que le spécimen qu’elle vient de découvrir soit autre chose qu’un crocodile, voire un animal disparu, Miss Philpot s’attend à ce que Dieu lui fasse « dégringoler le plafond sur la tête ». Au fil des pages, nous croisons William Buckland, attachant mais complètement barré, Georges Cuvier figure incontestable de la paléontologie naissante à l’époque, Charles Lyell, Henry de la Bèche…

Ce roman n’est toutefois pas la simple description des circonstances des découvertes de Mary Anning, il nous interroge aussi sur la place du chasseur de fossiles et du chercheur dans l’histoire d’une découverte, une place bien distincte dans cette Angleterre du début du XIXème siècle, où la frustration des uns n’a d’égale que l’arrogance des autres. Contrairement à la plupart des paléontologues connus aujourd’hui pour être d’excellents chasseurs de fossiles, Cuvier achetait les fossiles qu’il étudiait. Ajoutons à ce contexte la place réservée aux femmes considérées alors comme des quantités négligeables et qui sous la plume de Tracy Chevallier retrouvent beaucoup de leur grandeur.

La psychologie des personnages peut parfois flirter avec la caricature, où tous les hommes sont rustres, parfois incultes, indélicats, voire franchement mal élevés et les femmes courageuses, intelligentes et sensibles, voire prodigieuses. Il faut dire qu’elles passaient leurs journées dans la boue aux seules fins d’enrichir les collections privées ou celles des musées sans en être spontanément remerciées. Et lorsqu’il s’agit de participer aux réunions de sociétés savantes comme la célèbre Geological Society, Miss Philpot s’entend dire : « Ils ne te laisseront pas entrer, car tu es une femme, et que leur charte ne le permet pas ». Prodigieuses créatures n’est pas un prodigieux roman, mais un magnifique hommage à Mary Anning et aux paysages du Dorset.

Tracy Chevalier, Prodigieuses créatures, Table ronde, 2010, 421p. – Folio, 2011, 421p.

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Publié dans : Analyse de livre,Histoire de la paléontologie

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