Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Attention, le gros oiseau va sortir ! D’Amérique …

Le 18 juin 2012 par Lionel Hautier

En nous plongeant dans les histoires rocambolesques de la paléontologie argentine de la fin du 19ème siècle, Eric Buffetaut est revenu sur le contexte mouvementé de la découverte de Phorusrhacosoiseau-terreur membre de la famille des phorusrhacidés. Cette famille, sans représentant actuel mais vraisemblablement proche des cariamas, regroupe pour la plupart de grands oiseaux aptères (dépourvus d’aile) prédateurs ou charognards originaires d’Amérique du Sud qui vécurent entre le début du Paléocène et le Pléistocène (plus exactement entre – 59 millions d’années et – 10 000 ans). Si la découverte d’un phorusrhacidé a été rapportée dans le registre fossile tertiaire européen, son attribution a été largement contestée et il a depuis été placé dans une nouvelle famille, les Ameghinornithidae (un nom qui nous est désormais familier) en dehors de la superfamille des phororhacoïdes. Ainsi, les phororhacoïdes sont à ce jour absents du continent Laurasie (supercontinent du Nord) pendant le Paléogène (de – 65 à – 23 millions d’années), et ils étaient jusqu’à récemment totalement inconnus en Afrique.

Un cariama, oiseau actuel le plus proche de la famille des phorusrhacidés. (Copyright www.oiseau-argentine.com)

Depuis 2004, la mission paléontologique franco-algérienne codirigée par Rodolphe Tabuce et M’hammed Mahboubi, a mené plusieurs expéditions dans les terrains éocènes des Gour Lazib (entre – 55,8 et – 33,9 millions d’années), aux confins occidentaux du Sahara algérien. Cette mission fait suite à plusieurs vagues d’exploration paléontologique dans les formations paléogènes algériennes. La première découverte a été faite en 1933 par Clarion qui signale des gastéropodes dans les déblais du puits de Zegdou. Puis, lors de travaux géologiques effectués de 1947 à 1952, René Lavocat découvre au Glib Zegdou de nouveaux gastéropodes associés cette fois-ci à des restes de poissons. Les premiers restes de mammifères ne seront découverts qu’en 1973 et 1974 lors des missions menées par Gevin dans les Gour Lazib et le Glib Zegdou. Ces restes, d’une importance considérable compte tenu de la rareté des fossiles de mammifères dans des terrains de cet âge en Afrique, seront décrits par Sudre en 1975 et 1979. A la fin des années 80, M’hammed Mahboubi, alors jeune étudiant en thèse de troisième cycle, découvre au Nord de l’Algérie le gisement éocène d’El Kohol qui livra des squelettes composites de proboscidiens primitifs (le groupe des éléphants), Numidotherium koholense est alors le plus ancien proboscidien connu. Ce gisement sera exploité pendant plusieurs années en collaboration avec le laboratoire de paléontologie de l’Université de Montpellier. La situation politique complexe de l’Algérie des années 90 mettra momentanément un terme aux explorations paléontologiques, la paléontologie algérienne entama alors de force une nouvelle traversée du désert …

René Lavocat. (Copyright Rodolphe Tabuce)

Photo de la mission Gevin 1973 prise au pied du Glib Zegdou. (Copyright Rodolphe Tabuce)

Au début des années 2000, une nouvelle équipe formée de chercheurs des Universités de Tlemcen, Oran et Montpellier reprend la route du grand Sud. Au cours des dernières missions effectuées dans les Gour Lazib (auxquelles j’ai eu la chance de prendre part), plusieurs sites, en particulier le Glib Zegdou, ont livré l’une des faunes paléogènes les plus riches d’Afrique qui comprend notamment plusieurs espèces de primates, rongeurs, hyraxes, insectivores, et chauve-souris. Désormais, les gisements des Gour Lazib peuvent rivaliser sans rougir avec les célèbres gisements égyptiens du Fayoum exploités depuis près d’un siècle par des équipes de paléontologues américains.

L’équipe de fouille présente lors la découverte du fémur de Lavocatavis en janvier 2009 pose devant le célèbre Glib Zegdou. De gauche à droite, Laurent Marivaux, Rodolphe Tabuce, Mohammed notre chauffeur, M’hammed Mahboubi, Mohammed Adaci, un dinoblogueur, Renaud Lebrun et Abdou Mahboubi. (Copyright Rodolphe Tabuce)

La fouille, le jour J, le 18 janvier 2009 : quelle belle terrasse ! (Copyright Rodolphe Tabuce)

Ainsi, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes disparus jusqu’au jour où l’équipe de paléontologues tombe sur un os … Creux celui-ci ! Et si tout le monde sait parfaitement que « quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup », et bien vous saurez désormais que pour les paléontologues « quand c’est creux c’est qu’il y avait un oiseau » (ou un ptérosaure tout dépend de l’âge des terrains). Rodolphe Tabuce décide donc de confier le nouveau spécimen à Cécile Mourer-Chauviré, paléontologue au Laboratoire de Géologie de l’Université de Lyon et spécialiste des oiseaux fossiles. A la vue du spécimen, la paléoornithologue « ne sent pas de joie », elle prend tout suite conscience de l’importance de cette découverte, les avifaunes (faunes d’oiseaux) restant encore très largement méconnues dans les niveaux tertiaires africains. Le spécimen est rapidement identifié : il s’agit d’un fémur droit d’une vingtaine de centimètres dont les caractères morphologiques le rapprochent ostensiblement de la superfamille des phororhacoïdes. L’animal est alors baptisé Lavocatavis africana, en l’honneur de René Lavocat, et placé dans une famille incertae sedis (dont la position phylogénétique est encore incertaine), la définition de l’espèce ne reposant que sur la description de cet os isolé. Le poids de Lavocatavis a été estimé entre 32 et 50 kg sur la base des proportions du fémur.

A gauche, le fémur de Patagornis marshi du Miocène moyen d’Argentine ; à droite, le fémur de Lavocatavis africana ; au centre, une représentation de Lavocatavis avec échelle … (Copyright Rodolphe Tabuce)

La découverte de cet oiseau avait de quoi voler dans les plumes de bien des scénarios paléogéographiques ! Difficile en effet d’expliquer comment un oiseau aptère a pu traverser l’océan Atlantique, certes moins large qu’aujourd’hui mais qui représentait tout de même une distance minimum à parcourir de 1000 km ! A vol d’oiseau bien entendu … Toutefois, des affinités entre les faunes tertiaires sud-américaines et africaines avaient déjà été proposées, notamment pour une tortue et des poissons découverts au Glib Zegdou, mais il est généralement convenu que leur présence en Afrique était due à des phénomènes de vicariance (i.e. spéciation se produisant au sein de différentes sous populations issues d’une population ancestrale fragmentée par une barrière géographique) suite à la dislocation du Gondwana (supercontinent du Sud) au début du Crétacé supérieur. Or, la présence d’un oiseau-terreur en Afrique ne pouvait pas être expliquée par de tels phénomènes de vicariance puisque les premiers représentants des phororhacoïdes apparaissent bien après la séparation de l’Afrique et de l’Amérique du Sud. Une dispersion depuis la Laurasie pouvait également être exclue puisque les phororhacoïdes sont absents des riches dépôts fossilifères paléogènes de l’hémisphère nord.

Au cours du Tertiaire, plusieurs groupes de vertébrés africains (les primates et les rongeurs en particulier) étaient parvenus à rejoindre l’Amérique du Sud, mais le cas de la dispersion des phororhacoïdes est cette fois-ci différent puisque bien plus précoce et surtout parce qu’elle s’effectue d’Amérique du Sud vers l’Afrique, soit en sens inverse des précédents scénarios paléogéographiques ! Les chercheurs proposent alors que ces gros oiseaux aptères puissent avoir atteint le continent africain à l’aide de radeaux (dans le sens « radeau végétal »), une hypothèse qui expliquerait également la présence du groupe en Antarctique à l’Eocène terminal. Il est peu probable que les représentants « polaires » de phororhacoïdes se soient dispersés en Afrique, les deux continents étant déjà très éloignés au début du Tertiaire. En revanche, des reconstitutions paléogéographiques de la zone sud de l’Océan Atlantique suggèrent l’existence de plusieurs îles de grande taille entre l’Amérique du Sud et l’Afrique qui pourraient avoir facilité une dispersion transatlantique. En attendant de futures découvertes sur les deux continents, deux scénarios peuvent être envisagés pour expliquer la présence de ce phororhacoïde africain : soit une dispersion à partir de formes plus petites toujours capables de voler et qui auraient évolué de manière convergente avec les représentants de la famille des phorusrhacidés, soit une dispersion de formes aptères d’îles en îles à travers l’océan Atlantique. Peu importe le chemin emprunté, il est certain que l’arrivée de cet oiseau fut de mauvais augure pour les faunes de mammifères de l’époque qui commençaient à peine à se remettre de l’extinction de ses encombrants cousins dinosauriens …

 

Je remercie Rodolphe Tabuce pour son aide précieuse dans la rédaction de ce billet.

 

Référence :

Mourer-Chauviré C, Tabuce R, Mahboubi M, Adaci M, Bensalah M. 2011. A Phororhacoid bird from the Eocene of Africa. Naturwissanschaften 98 :815-823.

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Publié dans : Histoire de la paléontologie,Oiseaux fossiles

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