Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Comptes des mille et une espèces de dinosaures

Le 20 février 2013 par Jean Le Loeuff

Ce mercredi 20 février a lieu à la Société géologique de France une session en l’honneur du paléontologue Jean-Claude Rage, grand spécialiste des serpents, lézards et amphibiens fossiles. Le DinOblog célèbre cet événement par ce billet, inspiré d’un article paru dans le Bulletin de la Société géologique en l’honneur de Jean-Claude.

Alors qu’un minuscule objet extra-terrestre vient de rater quelques milliers de Russes, retour sur celui qui ne rata pas les dinosaures (on trouvera ici un digest des événements) il y a 66 millions d’années. La question du jour n’est pas d’épiloguer sur les mécanismes de l’extinction mais d’essayer de déterminer combien d’espèces de dinosaures ont alors disparu, une question plus compliquée qu’on ne pourrait le croire.

Pour certains experts seule une poignée d’espèces vivait encore lorsque la météorite s’abattit, des survivants cantonnés à quelques arpents de terre du Montana. L’on conçoit que dans cette perspective la météorite ne fit que détruire quelques vestiges de la grandeur dinosaurienne et que ce groupe, déjà éteint sur le reste de la planète, était certainement voué à une disparition rapide.

En fait il s’agit ici d’une lecture très américanocentrée du « fossil record », terme que l’on traduit généralement par « enregistrement fossile » et qui désigne toutes les données paléontologiques disponibles pour une période donnée. Les quelques espèces du Montana évoquées plus haut ont effectivement été découvertes dans des formations géologiques du Maastrichtien supérieur (le Maastrichtien, entre 72 et 66 Ma, est le dernier étage du Crétacé), qui se sont déposées dans les deux à trois millions d’années précédant l’impact. Etant donnée la durée de vie moyenne des espèces de dinosaures (7 Ma selon une estimation) on considère que ces formes, parmi lesquelles Tyrannosaurus rex et Triceratops horridus, vivaient encore lorsque la météorite heurta sa cible.

Mais l’enregistrement fossile du Maastrichtien supérieur est-il muet pour le reste du monde comme nous le suggère la jolie fable évoquée plus haut ? Que nenni ! Si l’on se hasarde à pointer son nez hors de l’Amérique du Nord, on découvre des dinosaures à peu près partout sur la planète à la fin de cet étage : en Europe, en Asie, en Amérique du Sud, en Inde, etc. Ces espèces montrent tous les signes d’un endémisme important (c’est-à-dire qu’on trouve des espèces différentes sur les différents continents, ce qui n’a rien de surprenant : la Pangée n’était plus qu’un lointain souvenir au Maastrichtien).

Si l’on prend le temps de recenser ces dinosaures de la fin du Maastrichtien à travers le monde, on en compte 104 espèces en 2013 (contre 67 en 2000 et 35 en 1975 : on est en progrès !). Il n’y avait pas que T. rex, il y avait aussi Kerberosaurus manakini en Sibérie, Arenysaurus ardevoli en Espagne ou encore Baurutitan britoi au Brésil…

Mais que représentent ces 110 espèces (la biodiversité apparente des dinosaures du Maastrichtien supérieur en 2012) par rapport à la biodiversité dinosaurienne réelle de l’époque (le nombre d’espèces qui existaient vraiment, y compris celles que nous n’avons pas encore trouvées) ? On peut évidemment envoyer quelques centaines de paléontologues à travers le vaste monde traquer le dinosaure maastrichtien au fin fond du Mali ou de l’Afghanistan par exemple, il suffit pour cela de disposer de quelques dizaines de millions d’euros et d’une bonne vingtaine d’années… Pour essayer de répondre plus vite à cette angoissante question, on peut aussi détourner des outils de la recherche en écologie. Il existe en effet dans la nature actuelle une relation entre la superficie d’une région et le nombre d’espèces qui y vivent. En gros, à climat et environnement équivalents, plus une région est vaste et plus d’espèces y vivent. On peut donc mettre en équation la surface d’une zone géographique avec le nombre d’espèces que l’on y trouve.

Les grandes provinces paléobiogéographiques du Maastrichtien supérieur

Il suffit dans le cas qui nous concerne d’essayer d’établir cette relation aire-espèces, en se basant sur la région du monde la mieux connue pour le Maastrichtien supérieur, soit l’ouest de l’Amérique du Nord. En postulant que toutes les espèces de dinosaures qui y vivaient entre 68 et 65.6 millions d’années ont été découvertes, et donc que la biodiversité apparente y est égale à la biodiversité réelle, on peut établir simplement notre relation aire-espèces pour les dinosaures maastrichtiens. Et à partir de là, comme l’on connaît la surface des grandes zones continentales de l’époque, on peut calculer le nombre de dinosaures que l’on peut s’attendre à découvrir dans chacune des régions, puisque ce nombre dépend de la surface des régions en question.

Le résultat pour le Maastrichtien supérieur : il devait y avoir entre 628 et 1078 espèces de dinosaures à la surface du globe, soit nettement plus qu’une poignée… Et toutes ont tiré leur révérence au même moment. On peut ajouter que ces chiffres sont sans doute assez largement sous-estimés, puisque le postulat de départ (on connaît toutes les espèces de dinosaures ayant vécu dans l’ouest de l’Amérique du Nord) est excessivement optimiste.

En tout cas les vieilles rengaines sur la poignée de dinosaures achevée par l’impact peuvent être rangées définitivement au magasin des hypothèses démenties par les faits…

 

 

Référence :

Jean Le Loeuff, 2012. Paleobiogeography and biodiversity of Late Maastrichtian dinosaurs: how many dinosaur species went extinct at the Cretaceous-Tertiary Boundary? Bulletin de la Société géologique de France, 183, 547-559

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Publié dans : Disparition des dinosaures,Météorite,Paléobiodiversité

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