Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Des chercheurs sont sur le point de redonner vie à une espèce éteinte de grenouilles Rheobatrachus silus (la grenouille plate à incubation gastrique), et voici qu’on nous reparle de cloner des mammouths ! 20 ans après la sortie du premier opus de Jurassic Park, la possibilité de redonner vie à des espèces éteintes fascine toujours, alors que les programmes de protection des espèces s’enlisent…

Le dernier Juracirque Park.

Cette fois-ci, c’est bon ! La technologie et les progrès en matière de clonage rendent envisageable de redonner vie à des espèces éteintes. N’en déplaise à tous les rêveurs, à part dans le corps d’un pigeon, on ne retrouvera jamais d’ADN de T-rex. Mais rassurez-vous, de nombreuses espèces sont sur les rangs, parmi elles plusieurs icônes mammaliennes comme le thylacine (le loup marsupial), le tigre à dent de sabre, le paresseux géant, et bien entendu ce cher mammouth laineux, la mégastar des ressuscités (Jésus est officiellement has-been).

Les partisans du clonage voient de nombreux avantages dans ce qu’ils qualifient désormais de « dé-extinction ». Ils pensent notamment pouvoir restaurer la diversité d’écosystèmes appauvris et ainsi recréer des environnements fertiles disparus comme les steppes à mammouths de Sibérie. Ils soutiennent également que les techniques développées pourront aider à la conservation d’espèces en voie de disparition. Pour d’autres, nous avons tout simplement une obligation morale de redonner vie à des espèces disparues, en particulier celles dont l’extinction est uniquement liée au développement de notre espèce.

Obligation morale ? Très bien, je m’incline dans ce cas. Chers messieurs les cloneurs, venons-en aux faits ! Donnez-moi la recette pour cloner un mammouth. Alors, pour cloner un mammouth d’environ 4 à 5 tonnes, il vous faudra :

- une pincée d’ADN contenu dans un noyau de cellule bien préservé dans le pergélisol sibérien,

- quelques ovules fécondés d’éléphante,

- une mère porteuse.

Ensuite, rien de plus simple, il vous suffit d’introduire le noyau bien préservé dans une cellule œuf (le zygote) d’éléphant que l’on aura préalablement dénoyauté. Laisser reposer. Lorsque l’embryon a pris, il ne reste plus qu’à le transplanter dans l’uterus d’une éléphante, conciliante bien entendu. Et le temps de cuisson ? Pardon de gestation … 22 mois, je sais c’est long ! Mais après tout, nous ne sommes plus à deux ans près, nous parlons ici de ressusciter le mammouth ! Et ça donne un petit bien sûr. Hormis quelques détails techniques non résolus, la recette semble simple et efficace, digne des plus grands cordons bleus ombilicaux. Il est donc probable que nous puissions voir prochainement des mammouths aux côtés de leurs cousins d’Asie et d’Afrique.

Pleistocene Park : bientôt une réalité ? Copyright Raul Martin/National Geographic Stock.

Sans vouloir gâcher la fête, il se trouve qu’au moment où on nous annonçait que Rheobatrachus était sur le point de réapparaître, entrainant dans son sillage médiatique les mammouths laineux, une autre étude publiée dans la revue PlosOne faisait état d’un bilan consternant sur l’évolution des populations d’éléphants d’Afrique : 62% des éléphants de forêt (Loxodonta cyclotis) ont disparu lors des dix dernières années. Le commerce de l’ivoire n’a jamais été aussi florissant et, suite à une demande asiatique accrue, le braconnage est désormais à son taux le plus élevé depuis 20 ans ! 25000 éléphants ont été tués en 2011, ils étaient probablement plus nombreux en 2012 ; des chiffres alarmants quand on sait qu’il ne reste plus que 350 000 éléphants en Afrique (ils étaient 2 millions au début du 20ème siècle). Alors comme d’habitude, des promesses ont été faites lors de la dernière conférence de la CITES qui se déroulait à Bangkok au début du mois de mars, en particulier par les membres du « gang des huit ». Ce gang réunit les principaux pays fournisseurs (Kenya, Tanzanie et Ouganda) et consommateurs (Chine et Thaïlande) d’ivoire ainsi que les pays par où transite le commerce illégal de l’or blanc (Malaisie, Vietnam et Philippines). Mais de nombreux spécialistes s’accordent pour penser qu’il ne s’agit que d’effets d’annonce, et qu’à ce rythme l’éléphant d’Afrique sera prochainement au bord de l’extinction.

Des éléphants de forêt (Loxodonta cyclotis) : de futurs clones ? Copyright NHPA/Photoshot

Alors, messieurs les cloneurs, puisque vous m’avez gentiment révélé la recette du clonage de mammouth, je vous propose de réaliser avec moi un problème mathématique simple (niveau CP). Sachant que la durée de gestation de l’éléphant est d’environ 22 mois, et sachant que lors de la dernière expérience de clonage d’une espèce éteinte (le bouquetin d’Espagne) des chercheurs ont dû s’y reprendre à 7 fois avant de produire un petit mort-né (jamais une espèce ne se sera éteinte aussi rapidement après sa réapparition), dans combien de temps aurons-nous la chance de faire de gros poutous au premier bébé mammouth « dé-éteint » ? La réponse est simple, probablement autant de temps qu’il faudra à l’éléphant de forêt pour disparaitre …

Loin de moi l’idée de m’opposer ici au progrès de la science, il est certain que des avancées scientifiques majeures seront réalisées grâce à la « dé-extinction » et je serais comme tout le monde fasciné de voir naître un petit mammouth. Mais je pense aussi qu’il est également nécessaire de s’intéresser aux causes plutôt qu’aux conséquences des extinctions. Dans un monde où la plupart des espèces restent à décrire et où le droit des écosystèmes est continuellement bafoué pour des enjeux économiques, où allons-nous réintroduire ces espèces ? Pire encore, serons-nous en mesure de les protéger ? Aucune mesure sérieuse n’a été prise pour sauver les deux espèces d’éléphants d’Afrique alors qu’il suffirait d’interdire purement et simplement le commerce de l’ivoire en Chine et en Thaïlande ; des mesures qui dans l’immédiat restent extrêmement moins coûteuses que des programmes de clonage ou de lutte contre le braconnage. Alors, à quand des photos de massacres de mammouths dans les plaines sibériennes ? Plus sérieusement, n’y a-t-il pas un réel danger de faire croire qu’il est aisé de ressusciter une espèce éteinte ? L’éléphant et le panda sont des espèces emblématiques pour qui il est relativement simple de mobiliser des fonds, mais de nombreuses espèces moins visibles vont disparaître parfois avant même d’être découvertes, sans qu’aucun programme de clonage puisse y remédier.

A quand des photos de massacres de mammouths dans les plaines sibériennes ? Copyright AFP

Les dinosaurologues ont bien de la chance, leurs dinosaures sont éteints et pour de bon ! Jurassic Park n’aura pas lieu et c’est tant mieux. Etant issu de la « génération Jurassic Park », et au vu des dernières découvertes dinosauriennes, plus je regarde une autruche et plus j’ai l’impression d’avoir un dinosaure en face de moi ! A quoi bon se donner tant de peine pour les ressusciter … J’ai surtout le sentiment de faire partie de cette génération de paléontologues qui verra s’éteindre une espèce d’éléphants. Quel privilège me direz-vous, car la dernière disparition de proboscidiens remonte à quelques millénaires. Alors voir réapparaitre le mammouth, la belle affaire…

Je ne peux que vivement conseiller la lecture d’un article sorti dans le dernier numéro de National Geographic et qui a inspiré ce billet :

Zimmer C. 2013. Bringing them back to life. National Geographic

Et pour ceux qui se trouveraient dans les environs de Londres, courrez voir la dernière exposition temporaire du Natural History Museum « Extinction: Not the end of the world? » avant qu’elle ne s’éteigne (deadline le 8 septembre 2013, pas de « de-extinction » prévue).

Autre référence utile :Maisels et al. 2013. Devastating Decline of Forest Elephants in Cenral Africa. PlosOne (ici)

 

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Publié dans : Mammifères fossiles

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7 Réponses pour “Le dernier Juracirque park : vite, vite, clonons des mammouths ! Avant que les éléphants ne s’éteignent…”

  1. Séb dit :

    Alors je comprend ton message et ta démarche, j’y mettrait juste un bémol : Crois tu que les gens qui ont fait les études pour cloner les mammouth et autres bestioles plus ou moins conservées sont les mêmes que ceux qui sauvent les éléphants actuels? Crois tu même que ceux qui fabriquent les mammouth seraient compétant dans le domaine de la sauvegarde d’espèce, et que ceux qui étudient les espèces vivantes pour les protéger sauraient recréer des mammouth? Et bien la réponse est non: les compétences ne sont pas interchangeables entre les êtres humains, et c’est pas parce que la poignée qui tente de sauver des espèces n’y arrive pas, que ceux qui ont été formés pour autre chose doivent attendre bêtement dans un coin sans rien faire et surtout sans avoir de projet. La vraie question pour moi est la suivante : en détruisant des espèces nous sommes actuellement en passe de devenir la nouvelle extinction massive, celle du quaternaire. En ce glorieux titre, nous devons nous poser plusieurs questions : Quand commencerons nous à comprendre que sur un champ fait pour 10 vaches, 60 ne survivraient pas, et que 8 milliards d’humain ça fait beaucoup. Peut etre faut il aller vers de l’économie, de la décroissance en terme de chiffre humain. L’autre question c’est : après chaque extinction massive il y a eut des boom spécifiques, avec des grandes périodes de créations d’espèces qui comblaient peut à peut toutes les niches écologiques : Si l’évolution fait partie de la vie, l’extinction aussi, ne serait il pas plus sage de l’accepter et d’essayer d’avoir un impact plus faible sur la nature, sans chercher toute fois à une fois de plus aller contre elle en recréant? La réalité, au delà de la conscience morale, c’est bel et bien la curiosité. En temps que géologue, je la comprend tout à fait, pourtant, est ce bien raisonnable?

    • Lionel Hautier dit :

      Seb,

      Je suis paléontologue et travaille dans un musée de zoologie, entouré de gens qui font de la conservation, alors je pense savoir en effet que nos « compétences ne sont pas interchangeables ». En même temps, rien n’empêche un paléontologue de s’intéresser aux problèmes des extinctions en devenir et aux gens qui s’occupent de conservation de s’intéresser aux exemples d’extinctions passées … Je ne pense pas avoir dit, bien au contraire, que les cloneurs « doivent attendre bêtement dans un coin sans rien faire et surtout sans avoir de projet ». A travers ce billet, je souhaitais simplement mettre en parallèle l’engouement suscité par la « dé-extinction » (doit-on dire « désextinction » ?) et l’immobilisme ambiant autour de la question de la protection de l’éléphant de forêt.

  2. Franquin et Henri Vernes furent des pionniers avant Michael Crichton, et on les oublie souvent : relisez le Voyageur du Mésozoïque (paru en 1957) et Les Géants de la Taïga (1958) pour comprendre en quoi ils furent des « prophètes » de l’avenir scientifique foldingue.

    • Lionel Hautier dit :

      Merci pour cette précision Christian !
      Fan de BD, je vais m’empresser de relire Spirou et vous promets de me procurer au plus vite « les géants de la Taïga » (tout à fait d’actualité en effet !)

  3. [...] Des chercheurs sont sur le point de redonner vie à une espèce éteinte de grenouilles Rheobatrachus silus (la grenouille plate à incubation gastrique), et voici qu’on nous reparle de cloner des mammouths !  [...]

  4. Le lien vers le texte de Carl Zimmer: http://ngm.nationalgeographic.com/2013/04/species-revival/zimmer-text

    Et un texte en français sur le congrès du National Geographic qui a inspiré toute cette réflexion: http://www.sciencepresse.qc.ca/actualite/2013/03/19/faire-revivre-especes-disparues-grace-clonage

    • Lionel Hautier dit :

      Merci Pascal pour ces deux articles dont la lecture est en effet vivement recommandée !

  5. Romain dit :

    Dans le même genre il y a un épisode de la série « Evolution » de PBS qui n’est pas trop mal fait: http://www.pbs.org/wgbh/evolution/extinction/index.html
    J’en ai utilise des bouts avec mes élèves.

    Pour le reste je partage grandement tes vues sur la question de la « de-extinction ». D’ailleurs, cette image de touriste sur des quads est a pleuré.

    Je me pose une autre question cependant. Appelez moi conspirationniste mais cette histoire de clonage ne cache t’elle pas une réalité économique beaucoup moins avouable que le challenge scientifique?
    Nous savons que certains labo privé créent déjà des hybrides d’animaux dans le but de les vendre mais aussi afin de breveter certains « process » spécifique de manipulation d’allèles. On imagine bien le pourquoi: le jour ou la PMA sera massivement adopte de par le monde ces labo auront alors une bonne longueur d’avance sur le marche.

    D’où ma question: investir dans le business autorisée de clonage d’espèce disparue, n’est-ce pas prendre de l’avance sur le marche du clonage humain?

  6. [...] Des chercheurs sont sur le point de redonner vie à une espèce éteinte de grenouilles Rheobatrachus silus (la grenouille plate à incubation gastrique), et voici qu’on nous reparle de cloner des mammouths !  [...]