Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Voici un débat qui enflamma autrefois les cours de récréation : le fameux T. rex était-il un féroce prédateur tuant ses proies avant de s’en repaître, ou se contentait-il de boulotter des charognes, des cadavres d’animaux dont le trépas était dû à d’autres causes ? C’est une vieille histoire qui opposa au début du vingtième siècle les paléontologues nord-américains Lambe et Osborn. Le premier voyait en Gorgosaurus, le cousin du tyrannosaure, un charognard. Le second, qui avait décrit Tyrannosaurus, le considérait comme un redoutable prédateur. Osborn l’emporta et on n’entendit plus parler de tyrannosaure charognard jusqu’aux dernières années du vingtième siècle quand le débat refit surface. Soyons honnête, aucun paléontologue sérieux n’a récemment envisagé un T. rex uniquement charognard : comme la quasi-totalité des prédateurs d’aujourd’hui il devait être opportuniste, un chasseur sachant chasser mais ne dédaignant pas l’aubaine d’une bonne carcasse.

La véritable question était plutôt : comment prouver que T. rex était aussi un prédateur ? Trouver des traces de dents de tyrannosaures sur des os d’un autre dinosaure prouve seulement que ledit dinosaure a été mangé par un tyrannosaure, pas qu’il a au préalable été tué par ce tyrannosaure. Comme je l’écrivais en conclusion d’un chapitre consacré à cette passionnante question dans Tyrannosaurus et les mondes perdus (Editions du Sauropode) : « La seule preuve définitive qu’un tyrannosaure chassait serait de retrouver une pointe de dent dans l’os d’un herbivore, au milieu d’un cal osseux qui se serait formé après l’agression. Cela démontrerait qu’un dinosaure herbivore attaqué par un T. rex s’en serait sorti, mais prouverait définitivement l’agressivité et les aptitudes cynégétiques des tyrannosaures. »

Et bien pour ça on attendra encore un peu, mais pas longtemps, c’est promis (oui je vous cache quelque chose, et alors ?). L’alternative au cal osseux serait une belle mais improbable paléocicatrice, trace d’une morsure de tyrannosaure refermée et guérie. Mais ça, me direz-vous, c’est comme une fourmi de 18 mètres avec un chapeau sur la tête : ça n’existe pas ! Et bien cher lecteur si tu crois cela tu fais peu de cas de la légendaire sagacité des paléontologues comme les lignes qui suivent te le démontreront car si le gendarme a sa tactique, le paléontologue a sa logique…

Cicatrices d’iguane actuel (à gauche) et d’edmontosaure (à droite). Cretaceous Research.

En fouillant dans le Dakota du Sud les paléontologues américains Bruce Rothschild et Robert Depalma ont découvert la dépouille extraordinaire d’un hadrosaure balafré. Le fossile, un Edmontosaurus annectens, comprend à la fois les os du crâne et des traces de peau. Ce sont ces dernières qui sont décrites en détail dans le journal Cretaceous Research car une magnifique cicatrice est apparente, très semblable à celles de nos lézards actuels. Les écailles ont repoussé autour de la blessure avec un arrangement différent du reste de la peau : la peau est lisse au niveau de l’ancienne blessure, et de nouvelles écailles se sont développées tout autour formant une structure avec de petites rides radiales. On est donc bien en présence de la première paléocicatrice dinosaurienne ! Le crâne découvert à côté est encore plus parlant : il porte de grosses traces de dents sur le dessus, et les os de l’orbite droite ont été arrachés, tous ces traumatismes présentant des traces de réossification. En somme l’hadrosaure a été sévèrement mordu par un gros prédateur qui lui a quasiment ou carrément arraché l’œil droit mais il a pu s’enfuir (ou bien il avait mauvais goût, ou il sentait pas bon, allez savoir…) et ses plaies ont cicatrisé.

En haut le crâne d’edmontosaure : en rouge les marques de dents et les os arrachés. En bas la peau avec la cicatrice. Cretaceous Research.

Bon d’accord, mais pourquoi l’agresseur de notre malheureux Edmontosaurus serait-il un tyrannosaure ? C’est que l’hadrosaure provient de la Formation Hell Creek du Maastrichtien supérieur (pour en savoir plus sur cette époque fascinante où les dinosaures jetèrent leurs derniers feux c’est ici) et que dans la Formation Hell Creek le gros prédateur n’est autre que T. rex. Le mythe du T. rex charognard a donc vécu, même si l’on attend encore la confirmation définitive (c’est-à-dire la dent fichée dans l’os dont mon petit doigt me dit que la publication pourrait être imminente…). Avec la découverte d’un survivant de la morsure du tyrannosaure un nouveau débat est lui aussi imminent : T. rex était-il un bon ou un mauvais chasseur d’edmontosaurette cendrée?

Ce spécimen eût-il été découvert vingt ans plus tôt, des hectolitres d’encre, des forêts entières et des monceaux d’âneries auraient pu être économisés mais comme me le disait un jour un très vieux paléontologue : « Si ma tante en avait… » C’était d’ailleurs le cas mais ce serait trop long et trop scabreux à vous raconter.

Reconstitution de la scène par Robert Depalma, l’un des auteurs de l’article qui a aussi un bon coup de crayon (avec l’autorisation de R. Depalma).

Références :

B.M. Rothschild & R. Depalma. 2013. Skin pathology in the Cretaceous: Evidence for probable failed predation in a dinosaur. Cretaceous Research.

J. Le Loeuff, 2012. Tyrannosaurus rex et les mondes perdus. Editions du Sauropode, 220 p.

A propos de l’edmontosaurette cendrée : Les Inconnus (1991) : Les chasseurs.

Facebook Twitter Email

Publié dans : Amérique du Nord,Théropodes,Tyrannosaurus

Les commentaires et les pings ne sont pas autorisés.

Les commentaires sont fermés.