Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

L’Amérique aussi a ses poètes. Ray Harryhausen vient de rejoindre le 7 mai 2013 son vieux copain Ray Bradbury au Panthéon des princes de l’imaginaire. Harryhausen c’était le roi des effets spéciaux d’avant, quand on filmait image par image des maquettes de dinosaures pour fabriquer des films comme Un million d’années avant J.C. (One Million Years B.C. avec la jeune Raquel Welsh en 1966) ou La Vallée de Gwangi (The Valley of Gwangi, 1969). Les cinéphiles se souviendront sans doute davantage de Jason et les Argonautes (1963) ou du Septième Voyage de Sinbad (1958).

Ray Bradbury avait cassé sa pipe le 5 juin dernier à Los Angeles, à 91 ans. Ce Maître de la science-fiction, ou plutôt du fantastique selon lui, immortel auteur de Fahrenheit 451, était aussi un aficionado des dinosaures depuis qu’il  les avait découverts en allant voir Le Monde Perdu au cinéma en… 1925 ! Il consacra plusieurs nouvelles à sa passion d’enfant, comme Un bruit de tonnerre, en 1952, le premier safari paléontologique où des chasseurs de gros gibier remontent dans le temps traquer le T. rex. Mais laissons à l’autre Ray, Harryhausen, le soin de présenter son ami :

« J’ai vu mes premiers dinosaures vivants à l’âge de cinq ans. Dans la salle obscure, ils paradaient et s’affrontaient dans la jungle préhistorique au sommet d’une grande falaise. Cette vision s’est gravée dans mon esprit de manière indélébile. En ce qui me concernait, Le Monde perdu de 1925 était exact dans ses moindres détails. Quelques années plus tard, le King Kong original [...] a été le catalyseur final qui m’a fait décider que les animaux disparus devaient figurer dans l’œuvre de ma vie.

L’affiche du Monde perdu de 1925

Sans que je le sache en ce temps-là, à quelques milliers de kilomètres [...] un autre jeune garçon, tout aussi impressionnable, également prénommé Ray, réagissait de même.

C’est le dinosaure qui a été à l’origine de notre première rencontre au sein de la Los Angeles Science Fiction League et de la longue amitié qui s’est ensuivie. Il a monopolisé nos discussions au téléphone, des heures et des heures d’échanges enfiévrés qui couraient le long des fils ; il attendait de renaître dans une nouvelle épopée qui serait le plus grand film préhistorique de tous les temps. Ce projet n’a jamais abouti, pour différentes raisons, mais l’enthousiasme qu’il a soulevé nous a soutenus l’un et l’autre des années durant.

Ray a suivi la voie de la littérature, pour devenir l’un des écrivains les plus admirés au monde dans son domaine d’élection. Quant à l’autre Ray, c’est-à-dire moi, il a choisi celle de l’image animée, le cinéma.

C’est La Corne de Brume qui nous a brièvement réunis à l’occasion d’un film, Le Monstre des temps perdus (The Beast from 20000 Fathoms). Espérons que le destin nous tient en réserve un autre sujet, encore à naître, qui nous rapprochera de nouveau sur le plan professionnel. »

Harryhausen, Ackerman et Bradbury

Et Bradbury sur Harryhausen :

« En chemin, j’ai rencontré un autre jeune homme qui avait tout juste mon âge et qui éprouvait le même amour, pour ne pas dire le même désir, car ces bêtes préhistoriques hantaient ses jours et ses nuits. Il s’appelait Ray Harryhausen. Dans le garage au fond de sa cour, il construisait et animait, image par image, sur pellicule de 8 mm, une famille de dinosaures. J’ai souvent rendu visite à cette famille, manipulé ces bêtes, et discuté des heures durant, au cours de longues nuits et de longues années, avec mon ami. Nous avons toujours été d’accord : il allait grandir et donner naissance à des dinosaures ; j’allais grandir et leur écrire des dialogues. Ainsi fut fait. »

Et puis un petit souvenir honteux de nos deux dinomaniaques, une charmante histoire des années 50 racontée avec tout l’humour de Bradbury, un homme qui a écrit que la vie est trop sérieuse pour être prise au sérieux :

« A présent, voici l’heure de la confession. Il y a une trentaine d’années, Ray Harryhausen, mon épouse Maggie et moi, nous avons assisté à une représentation de Siegfried où Jussi Bjorling, un ténor célèbre à l’époque, tenait le rôle principal. Si nous y allions ce n’était pas, bien sûr, pour voir Siegfried, ni pour écouter de la musique, d’ailleurs magnifique. Non, c’était –Dieu bénisse nos douces âmes perdues – pour admirer Fafnir, le dragon.

J’ai bien conscience, en admettant le fait, que Harryhausen et moi allons sans doute passer aux yeux de la plupart des amateurs d’opéra pour les spectateurs de Siegfried les plus grossiers, les plus aveugles et les plus détestables de l’histoire. J’accepte la damnation et je vis avec le poids de la culpabilité. Néanmoins nous étions là, tous les trois, assis dans l’angle inférieur gauche du balcon, et nous avons attendu, durant ce qui nous a paru neuf heures et qui en a sans doute duré huit tout au plus, que Fafnir apparaisse.

Ca pour apparaître, il est apparu. J’ai aperçu trois bons centimètres de sa narine gauche, Maggie a entrevu une de ses moustaches, et Harryhausen n’a discerné que le vaste nuage de vapeur que Fafnir émettait durant son aria avant de disparaître.

Car, voyez-vous, nos places étaient disposées de manière si diabolique et la machinerie de scène si habilement montée qu’au moins un tiers du public ne distinguait jamais la bête dans toute sa gloire. Nous faisons partie de ce triste tiers.

Hébétés, Ray et moi avons échangé un regard par-devant ma femme. Notre patience face à cette œuvre musicale aussi longue que superbe, certes, n’avait servi à rien. Peu après nous battions en retraite vers le foyer et de là, éperdus et déconfits, vers la maison. »

Un dernier extrait  de la préface à une réédition chez Gallimard Jeunesse des nouvelles dinosauriennes de Bradbury, dédiée « à Willis O’Brien, qui a animé les monstres du Monde perdu en 1925, et, ce faisant, changé ma vie à jamais »  :

« Pour l’heure, j’accepte et j’affirme que, sans les dinosaures, ma vie n’aurait sans doute mené à rien. Ce sont les dinosaures qui m’ont lancé sur la voie par laquelle j’allais devenir écrivain. Ce sont les dinosaures qui ont aidé à me pousser jusqu’à ce que je sois reconnu. Et c’est un dinosaure tombé amoureux de la corne de brume d’un phare, dans une nouvelle intitulée La Corne de brume, que j’ai écrite et publiée en 1950, qui a changé mon existence, mes revenus et ma façon d’écrire à jamais. »

J’invite tous les veinards qui n’ont pas encore lu les nouvelles paléontologiques de Bradbury à se délecter de La Corne de brume, touchante histoire de la détresse du dernier des dinosaures  ou d’Un Bruit de tonnerre, texte déjà évoqué plus haut. Quant aux films d’Harryhausen, en voici une petite compilation ici.

Bradbury et Harryhausen aux manettes d’un Jurassic Park IV ça vous aurait eu de la gueule mais le plus grand film préhistorique de tous les temps, il faut se faire une raison, nous ne le regarderons jamais…

 

Toutes les citations sont extraites de la préface des Histoires de Dinosaures de Ray Bradbury, Gallimard Jeunesse, 2004.

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Publié dans : Analyse de livre,Histoire des reconstitutions,Littérature fantastique

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1 Réponses pour “Le plus grand film préhistorique de tous les temps qu’on ne verra jamais : Ray Harryhausen et Ray Bradbury sont morts.”

  1. David dit :

    Et Ray Manzarek le clavier des Doors vient de mourir ! Coïncidence ? Je ne crois pas !