Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Barbaturex, le lézard géant de Jim Morrison

Le 6 juin 2013 par Jean Le Loeuff

Voici l’histoire d’un lézard birman vieux de 37 millions d’années. Ses ossements ont été découverts au milieu de nombreux restes de mammifères de la Formation Pondaung, au centre de la Birmanie, par une équipe de paléontologues américains.  Le nom Rock’n Roll donné à cette nouvelle espèce aurait-il dû être la seule raison pour qu’on en cause dans le poste ?

Les lézards fossiles on en parle peu parce qu’en général c’est petit et que ça ressemble beaucoup aux lézards actuels, et les lézards actuels, tout le monde s’en fout… Pour qu’on en cause, il faut du lourd, de l’exceptionnel, mais dans ce groupe d’animaux le fossile spectaculaire est rare, alors en général les paléontologues s’intéressant au Cénozoïque bossent sur les mammifères et remarquent à peine les lézards (quand ils les ramassent…) sauf quand ils en trouvent des morceaux de la taille de ce qu’on attendrait chez un mammifère !

Il faut dire que pour un spécialiste de lézards fossiles se retrouver avec un bout de mâchoire de 8 cm dans les mains (c’est la taille de celui qui a été découvert en Birmanie)  ça fait un choc, c’est un peu comme si votre marchand de fruits et légumes mettait des bananes de 2 mètres de long sur son étal… Oui en général des bouts de mâchoires de lézards fossiles ça fait plutôt moins d’un centimètre ! Avec une telle mâchoire, la taille de l’animal birman est estimée à environ 1 mètre de long (sans la queue, soit 1,80 à 2 mètres de longueur totale) pour un poids situé entre 20 et 30 kilos. C’est plus petit qu’un varan de Komodo mais ça reste un beau lézard.

les mâchoires de Barbaturex (Proceedings Royal Society)

Pour fêter une pareille découverte il fallait trouver un nom qui déchire (car sinon, en parlerions-nous ?), et ce fut fait : le « monstre » s’appelle désormais Barbaturex morrisoni, non pas en hommage à Barbapapa mais au Lizard King Jim Morrison qui chantait I am the Lizard King/I can do anything dans la chanson Celebration Of The Lizard, une œuvre d’ailleurs assez peu audible à mon avis.

le crâne de Barbaturex comparé au plus gros agamidé actuel, Uromastyx aegypticus (Proceedings Royal Society)

Bon ok c’est un gros lézard dédié à Jim Morrison, what else ? Et bien d’une part il était herbivore (c’est en tout cas l’opinion des auteurs), ce qui n’est pas fréquent chez ces petites bêtes, et d’autre part il faisait partie d’une communauté comprenant de nombreux mammifères herbivores, alors que les seuls gros reptiles herbivores actuels (des iguanes) vivent exclusivement sur des îles dépourvues de mammifères. On considère donc en général que des lézards ne peuvent concurrencer les mammifères, et que lorsqu’ils vivent au milieu de communautés mammaliennes ils sont forcément de petite taille (et généralement carnivores). Ou en d’autres termes que la concurrence évolutive des mammifères les restreint systématiquement à d’autres niches écologiques. Que Barbaturex morrisoni fut un lézard herbivore de taille moyenne au milieu de mammifères herbivores de taille moyenne suggère que cette « loi » n’en est pas une : des lézards herbivores ont pu atteindre de grandes tailles malgré la concurrence des mammifères. Les auteurs supposent que la quasi-absence de gros lézards herbivores aujourd’hui serait davantage due au climat plutôt frais du Quaternaire qu’à une quelconque supériorité métabolique des mammifères. Barbaturex vivait à la fin d’une période très chaude de l’histoire de la Terre, les températures en Asie du Sud-Est étant de 2 à 5 °C supérieures à celles d’aujourd’hui (ça veut dire qu’il faisait vraiment trop chaud). Voici peut-être des opportunités évolutives pour nos petits lézards : dès que l’Antarctique aura fini de fondre on ne devrait pas être loin des conditions climatiques de l’Eocène… Et ne ricanez pas : il existe près de 7000 espèces de squamates (le groupe contenant lézards et serpents) aujourd’hui, pour 5 à 6000 espèces de mammifères seulement. La domination mammalienne résistera-t-elle à un réchauffement durable ?

 

Référence

Head JJ, Gunnell GF, Holroyd PA, Hutchison JH, Ciochon RL. 2013 Giant lizards occupied herbivorous mammalian ecospace during the Paleogene greenhouse in Southeast Asia. Proc R Soc B 280: 0130665. http://dx.doi.org/10.1098/rspb.2013.0665

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Publié dans : Evolution

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