Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Les conservateurs de muséums d’histoire naturelle ont le privilège de se voir très régulièrement présenter des découvertes extraordinaires faites par leurs visiteurs : combien de galets de rivière pris pour des œufs de dinosaures, de nodules tenant lieu de carapaces de tortues, de concrétions variées baptisées défenses de mammouth ? Il faut alors aimablement (enfin, chacun son style…) détromper l’heureux découvreur, lequel parfois ne vous croit pas car, c’est bien connu, on nous trompe ! Et puis il arrive (assez rarement hélas) que l’objet soit bien un fossile, et les collections du musée y gagnent même parfois un joli spécimen.

Un matin de juillet 2010 un monsieur fort aimable se présenta au Musée des Dinosaures d’Espéraza, m’expliquant que son voisin avait découvert une défense de mammouth au fond de son jardin, et que peut-être serait-il bon que des experts se penchassent sur la question. Je pris alors mon air de circonstance, m’apprêtant à expliquer à mon interlocuteur que, hélas, malheureusement, oui de loin ça peut y ressembler mais que probablement, ben non… lorsqu’il interrompit mon bavardage en précisant qu’un morceau de ladite défense était déposé dans le coffre de sa voiture à 20 mètres, et que le plus simple était sans doute d’y jeter un coup d’œil. Je fus conquis par ce bon sens car il n’y a rien de pire que d’être sollicité pour un avis paléontologique en l’absence du fossile concerné, genre « Euh c’est long mais pas trop et puis un peu arrondi mais pas complètement… C’est quoi ? Ah bon vous savez pas ??? » (regard un peu méprisant qui exprime très fort : « mais il est nul ! »).

Tiens, une défense de mammouth !

J’accompagnai donc mon compagnon jusqu’à son véhicule, dont le coffre s’ouvrit sur un incontestable morceau de défense de proboscidien d’une trentaine de centimètres de long. Le reste, m’expliqua-t-il, gisait au fond du jardin et menaçait ruine. Ni une ni deux, j’accompagnai mon cicérone jusqu’à la riante cité de Quillan (pour les amateurs nous rappellerons que l’US Quillan fut championne de France de rugby en 1929 ; le rapport avec cette histoire ? Je ne l’ai pas encore trouvé). Et là, de fait, au fond du jardin de ses voisins reposait la suite de l’objet coffré, sous une bonne dizaine de mètres d’éboulis de type glaciaire. Après une discussion avec les propriétaires du terrain dont je tairai le nom pour respecter leur sérénité, il fut décidé qu’il serait bon de surseoir aux travaux de terrassement le temps d’extraire le chicot – du moins ce qu’il en restait, une pelleteuse ayant depuis longtemps emporté son extrémité.

Un tunnel au fond du jardin

Un tunnel au fond du jardin

Nous entamâmes illico le percement d’un tunnel dans les sables recouvrant l’objet, en étayant tant bien que mal notre petite grotte, ceci avec le prompt renfort d’Arnaud Filoux et de quelques-uns de ses collègues du Musée de Tautavel (car pour des dinosaurologues distingués, fouiller une défense de mammouth relève nettement plus du jardinage que d’une fouille distinguée). Pendant que les Hommes de Tautavel recherchaient en vain quelque indice archéologique (en vain car la défense, portée par un vif courant, était venue s’échouer d’elle-même sur le rivage mais les préhistoriens sont de grands sentimentaux qui aiment à retrouver la trace de nos ancêtres en toutes circonstances), nous procédâmes au plâtrage puis à l’extraction du morceau, lequel atteignait tout de même près de deux mètres de long et seize centimètres de diamètre. Une légère angoisse nous tenaillait pendant que les heures défilaient : y aurait-il le crâne au bout du mètre quatre-vingt-quinze de défense ? Heureusement non, sinon c’est une piscine olympique qu’auraient pu construire nos hôtes une fois débarrassés de l’encombrant occupant des lieux…

Et hop ! Une défense prête à redescendre la vallée de l’Aude après une pause de 25000 ans.

Conservée dans l’humidité des anciennes alluvions de l’Aude depuis plus de 20000 ans, la défense avait à peu près la consistance d’une motte de beurre sortie du frigo depuis un bout de temps : on y enfonçait aisément le doigt… Ce fut un long processus que de l’assécher et de la consolider, processus achevé en ce début d’été où ce bel objet vient de faire son entrée dans notre galerie de l’évolution.

Un petit bout de dent d’un mètre quatre-vingt-quinze

Les experts sont formels : il s’agit de la défense droite d’un vieux mâle de l’espèce Mammuthus primigenius (le mammouth laineux) qui reposait à Quillan depuis 25 à 65000 ans (précisions à venir). Le mammouth n’est pas seulement une spécialité sibérienne puisqu’il vécut à travers l’Eurasie jusqu’au sud de l’Espagne. Il s’agit cependant du premier fossile de notre proboscidien découvert dans les anciennes terrasses de l’Aude, lesquelles pourraient se voir scruter attentivement par nos archéozoologues dans les mois à venir… L’un des cousins de notre mammouth (et pourquoi pas lui, d’ailleurs ?) inspira l’artiste paléolithique qui grava le propulseur en os découvert dans la grotte de Canecaude à Villardonnel, dans l’Aude également.

Le propulseur de la grotte de Canecaude

Voici donc un mammouth au pays des dinosaures ! Non, nous ne rejouons pas l’Age de Glace III dans la Haute Vallée de l’Aude et d’ailleurs notre mammouth ne s’appelle pas Manny mais Helmut… Les dinosaures proviennent des couches géologiques du Crétacé qui forment l’armature de la vallée de l’Aude, la défense de la mince couche superficielle d’alluvions les surmontant. Le volume de ces sédiments quaternaires est donc très inférieur à celui des roches crétacées et la probabilité d’y trouver des mammouths est bien inférieure à celle de tomber sur un dinosaure dans le coin. Enfin tout ça pour dire que quand vous trouvez un truc bizarre, n’hésitez pas à nous le montrer (de jolies photos suffisent parfois), on purgera vos jardins de leurs hôtes encombrants ! En revanche on ne s’occupe pas du désenvoûtement…

Le mammouth de Font-de-Gaume

 

 

Je remercie les propriétaires du jardin d’avoir donné la défense au Musée des Dinosaures, leur voisin pour nous avoir alertés et Muriel pour ses précieuses informations sur l’Age de Glace

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Publié dans : Mammifères fossiles,Musée des Dinosaures d'Espéraza

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5 Réponses pour “Un mammouth chez les dinosaures : l’Age de Glace III dans la Haute Vallée de l’Aude”

  1. bernard mondié Zycru! dit :

    fin de l’horrible suspense !!!!!
    heureusement on avait un espion infiltré chez vous et, dés ce matin 8h le suspense était levé……
    bravo quand même…….

  2. Vialle Nicolas dit :

    Que de souvenirs. Une belle journée de fouille et un étayage digne des mines de charbon du Nord ;-) . Une bonne surprise pour ma dernière campagne de fouilles avec le Musée.

  3. Tessier Jean-Marc dit :

    … je ne regarderais plus mon jardin de la même façon… ^^ Géniale la trouvaille !

  4. [...] Les conservateurs de muséums d’histoire naturelle ont le privilège de se voir très régulièrement présenter des découvertes extraordinaires faites par leurs visiteurs : combien de galets de rivière pris pour des œufs de dinosaures, de nodules tenant…  [...]

  5. Duprat dit :

    Bienheureux celui qui ne sursoit pas l’extraction d’un tel chicot extrait cela dit depuis fort longtemps! Doux ou salé le chicot?

  6. thomas dit :

    Un magnifique cure-dent pour dinosaure !