Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Eoraptor, le chasseur qui se réveille lapin

Le 13 novembre 2013 par Jean Le Loeuff

J’ai déjà évoqué dans ces colonnes (ici) le célèbre Eoraptor lunensis (le chasseur de l’aube de la vallée de la Lune, enfin un peu de poésie), l’un des plus anciens dinosaures connus. Découvert en Argentine dans la formation Ischigualasto (Carnien, vers 230 Ma) Eoraptor fut décrit en 1993 par le paléontologue américain Paul Sereno (et quelques autres) comme le plus ancien théropode, une opinion suivie par de nombreux chercheurs. Vingt ans après, Sereno est revenu rôder sur les lieux du crime, décrivant avec des collègues argentins et un grand luxe de détails le squelette, mieux dégagé depuis, d’Eoraptor. Avec une honnêteté pas si fréquente il reconnaît les quelques erreurs de sa première description (des morceaux d’un autre dinosaure, le petit théropode Eodromaeus, ayant été mélangés avec ceux d’Eoraptor) et met en évidence des caractères qui lui avaient échappé à l’époque. C’est ainsi que le pouce d’Eoraptor prend tout à coup une importance considérable : la main d’Eoraptor compte cinq doigts, dont les deux doigts extérieurs sont très réduits. Le premier doigt de la main (le pouce, donc) est retourné vers l’intérieur, un caractère très rare que l’on ne connaît que chez certains sauropodomorphes (les prosauropodes).

La main d’Eoraptor

Ce caractère et quelques autres propulsent Eoraptor de l’autre côté de l’arbre phylogénétique des premiers dinosaures, des théropodes vers les sauropodomorphes, le groupe comprenant les sauropodes et les prosauropodes. Cette bestiole bipède d’un mètre vingt de long est donc un lointain grand-oncle de Diplodocus

On apprend aussi que les dents d’Eoraptor, à la réflexion, ne sont pas des dents classiques de dinosaures carnivores (recourbées, comprimées et tranchantes). Elles sont peu courbées et portent des denticules assez grossiers par rapport à ceux des premiers théropodes contemporains, des denticules qui ressemblent d’ailleurs plutôt à ceux des … ornithischiens ! Damned… Et puis à l’avant de la mâchoire inférieure il y a une petite zone dépourvue de dents et vascularisée,  qui était probablement recouverte de corne… comme chez certains prosauropodes. Bref, selon nos auteurs, Eoraptor était herbivore ! Et puis un détail amusant : Eoraptor possédait une centaine de petites dents sur un os du palais, le ptérygoïde…

Le paléontologue argentin Ricardo  Martinez et ses collègues, dans le même mémoire de la Society of Vertebrate Paleontology, montrent qu’Eoraptor n’était pas le seul sauropodomorphe de l’époque : deux autres petits dinosaures découverts dans la même formation argentine, Panphagia protos et Chromogisaurus novasi, sont aussi des sortes de « proprosauropodes ». Cependant les dinosaures (outre les sauropodomorphes on y trouve les premiers théropodes et le premier ornithischien) ne constituent qu’une toute petite partie des vertébrés terrestres découverts dans cette formation : les plus abondants étaient des cynodontes comme Exaeretodon ou des archosaures primitifs… mais hélas Exaeretodon, tout le monde s’en cogne.

Quelques millions d’années plus tard des prosauropodes de grande taille comme Riojasaurus arpentaient les mêmes lieux : le réexamen du squelette d’Eoraptor permet de mieux comprendre le début de l’évolution de ces formes. Je sens des mauvaises langues prêtes à siffler : pfff ! confondre un théropode et un quasi-sauropode, des rigolos ces paléontologues ! Rappelons tout de même que le squelette de ce plus ancien sauropodomorphe, bipède, ressemble considérablement à celui d’un théropode (les deux avaient un ancêtre commun pas si longtemps avant) et que la clé de sa position phylogénétique réside dans les détails… Pour une fois la redescription d’un dinosaure apporte vraiment de profonds changements, puisque le plus ancien théropode carnivore se transforme en plus ancien sauropodomorphe herbivore ! Ventrebleu, le chasseur de l’aube bouffait de la salade, encore un cartel à changer au musée…

 

 

Références :

Ricardo N. Martinez, Cecilia Apaldetti & Diego Abelin. 2013. Basal sauropodomorphs from the Ischigualasto Formation. Society of Vertebrate Paleontology Memoir 12, 51-69.

Paul C. Sereno, Ricardo N. Martinez & Oscar A. Alcober. 2013. Osteology of Eoraptor lunensis (Dinosauria, Sauropodomorpha). Society of Vertebrate Paleontology Memoir 12, 83-179.

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Publié dans : Amérique du Sud,Les plus vieux dinosaures,Sauropodes,Théropodes

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  1. [...] J’ai déjà évoqué dans ces colonnes (ici) le célèbre Eoraptor lunensis (le chasseur de l’aube de la vallée de la Lune, enfin un peu de poésie), l’un des plus anciens dinosaures connus.  [...]