Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Les éditions Evolution viennent de traduire un livre de Roger Osborne, écrivain et géologue britannique. Des fantômes tapis dans la roche, paru en 1998 en Angleterre (sous le titre The floating egg…), est une sorte de contre-histoire des premiers balbutiements de la géologie. Au-delà des quelques grands noms que l’histoire a retenus (de Cuvier à Buckland), Osborne essaie de remettre dans la lumière les sans-grades, les témoins surpris des débuts hésitants de cette nouvelle science. Sa perspective surprenante est de traiter cette histoire qui se déroula à travers l’Europe dans les premières années du XIXe siècle sans sortir (ou presque) d’une micro-région du Yorkshire.

Whitby est une petite ville sur la côte du Yorkshire à l’embouchure de l’Erk, au nord-est de l’Angleterre. Mais pour Osborne cette bourgade est à la géologie ce que la gare de Perpignan serait au reste du monde : son centre, ou peut-être son épicentre. L’entreprise de cet étrange livre est en effet de retracer la naissance de la science géologique sans quitter ce petit coin du monde, ce qui au premier abord paraît osé. Et puis au fil des chapitres (qui sont autant de nouvelles à peu près indépendantes) on découvre à petites touches que William Buckland, William Smith et même Sainte Hilda ont séjourné à Whitby. Sainte Hilda y fonda une abbaye au VIIe siècle et s’empressa de changer en pierre les serpents du voisinage (les saints de l’époque étaient souvent sauroctones) : ces « snakestones », on les retrouva durant les siècles qui suivirent puisque c’est ainsi que l’on appela les ammonites en Angleterre jusqu’à ce que leur véritable nature fût reconnue.  Bien des siècles plus tard William Smith, l’auteur de la première carte géologique d’Angleterre, y eut confirmation de ses hypothèses sur la stratigraphie en retrouvant dans le Yorkshire la même succession de couches géologiques qu’en d’autres points du pays. Quant à William Buckland, l’un des premiers paléontologues anglais, c’est à deux pas de Whitby qu’il vint enquêter sur la découverte d’ossements dans la grotte de Kirkdale.

« Snakestone » : une ammonite du genre Hildoceras (en référence à Sainte Hilda, GB3D type fossils)

Dans l’intervalle la chute d’une petite météorite dans le Yorkshire (et oui…) en 1795, sur les terres du capitaine Topham (dont Osborne ne nous cache rien de la vie amoureuse mouvementée) permit à des savants anglais de confirmer l’origine extraterrestre de ces curieuses chutes de pierre. Ce que le lecteur français découvrira peut-être c’est que ceci se produisit quelques années avant la fameuse enquête de Jean-Baptiste Biot à l’Aigle, dans le département de l’orne, sur une pluie de météorites survenue le 26 avril 1803 (le rapport de Biot à l’Académie des Sciences est souvent considéré comme le point de départ de l’étude scientifique des météorites). Et puis Osborne nous rappelle qu’il n’y a pas qu’à Lyme Regis dans le Dorset (de l’autre côté de l’Angleterre, un site connu notamment grâce aux découvertes de Mary Anning) qu’on a trouvé des reptiles marins fossiles au début du XIXe siècle : les nombreuses carrières d’alun de la côte du Yorkshire en livrèrent aussi, dès 1759, dont Osborne évoque le destin à travers 9 de ces 25 chapitres.

Venons-en à l’organisation de cet ouvrage : si Osborne a une formation de géologue, c’est d’abord un écrivain, et il s’autorise ce qu’un distingué scientifique ou historien des sciences ne se permettrait pas, et qui fait le charme de ce livre par ailleurs fort bien documenté : au début du livre, fossiles ou météorites sont des objets d’émerveillement pour leurs découvreurs, et peu à peu ils se muent en sujets d’études de plus en plus précises. A la relative confusion des premières pages et des premières descriptions succède une prose de plus en plus rigoureuse quand se mettent en place les grands principes de la stratigraphie ou de la paléontologie. En alternant passages romancés, citations des témoins de ces différentes aventures, voire articles scientifiques dont on voit évoluer la forme et le fond en quelques décennies, Osborne réussit un curieux amalgame où se dessine « un changement historique dans la perception par l’homme de son environnement » selon ses propres mots. Les passages romancés (le voyage de Smith dans le Yorkshire ou l’exploration de la grotte de Kirkdale par Buckland) sont à mon goût les plus plaisants mais cette curieuse mixture qui tient un peu de la fabrication du pudding vaut le coup d’être goûtée.

Selon l’éditeur ce livre « ferait aimer la géologie à une pierre », alors pourquoi ne pas se laisser tenter ? C’est en tout cas une excellente introduction à des ouvrages plus austères sur le sujet comme ceux des historiens de la géologie M. Rudwick ou G. Gohau.

Roger Osborne, 2013. Des fantômes tapis dans la roche – L’irrésistible épopée de la géologie. Editions Evolution, 387 p. (traduction de Florianne Vidal, préface de Gabriel Gohau)

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Publié dans : Analyse de livre,Histoire de la paléontologie

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4 Réponses pour “Des fantômes tapis dans la roche : comment j’ai détesté la géologie… et comment je me suis soigné.”

  1. Dr. Goulu dit :

    Merci, je l’ajoute à ma liste « à lire » …

    Pour ma part j’ai découvert la géologie avec un petit bouquin moins paléontologique, mais très parlant au natif des Alpes que je suis :

    Michel Marthaler « Le Cervin est-il africain ?: Une histoire géologique entre les Alpes et notre planète » (2005) LEP ISBN:978-2606011543 , qui mentionne les travaux d’Emile Argand et d’ Arthur Escher (fils de M.C.)

    J’en cause un peu sur http://www.drgoulu.com/2012/02/19/cervin/ et je le recommande vivement

  2. [...] Les éditions Evolution viennent de traduire un livre de Roger Osborne, écrivain et géologue britannique.  [...]

  3. Bonjour Monsieur Le Loeuff,
    Peut-être vous souvenez-vous d’une rencontre que nous avions organisée avec vous à Montauban. Le professeur Eric Buffeteaud était également notre invité. Nous avons beaucoup apprécié vos interventions. Plusieurs d’entre nous ont visité le musée du dinosaure d’Espéraza. Magnifique !
    Merci de cette présentation ; je mets cet ouvrage sur la liste de mes prochains projets de lecture
    Bien cordialement : Jean-Claude Drouilhet

  4. CHIRAT fabien dit :

    voilà qui me fera de la lecture pour les congés de décembre.
    Bonnes fetes à toute l’équipe du musée
    Merci encore d’avoir donné accès à vos fouilles de Campagne sur Aude aux amateurs de paléontologie , j’en garde un formidable souvenir (10 ans dejà)
    fabien