Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Imaginez un monde de paresseux, un monde du « travailler moins pour évoluer plus ». Ce monde a peut-être existé … A tous ceux qui pourraient se demander à quoi servent les paléontologues, sachez qu’il nous arrive parfois d’avoir à répondre à des questions existentielles voire sociétales du genre : tous les paresseux se valent-ils ? C’est bien connu, un paresseux a toujours besoin d’une canne à portée de main. D’ailleurs, ne dit-on pas d’une personne paresseuse qu’elle a un poil dans la main qui lui sert de canne ?

Le squelette monté de Megatherium du Natural History Museum de Londres et sa canne … Copyright Natural History Museum London.

Les habitués des travées des muséums auront peut-être remarqué que les squelettes de Megatherium sont bien souvent remontés appuyés contre un tronc qui prend parfois des allures de bâton de pèlerin. CQFD : les paresseux géants passaient leurs journées à buller appuyés contre un arbre. D’ailleurs, le grand Georges lui-même, Cuvier pas Brassens, écrivit que Megatherium « n’était pas bon à la course, mais cela ne lui était pas nécessaire, n’ayant besoin ni de poursuivre ni de fuir ». C’est bien qu’auprès de son arbre il vivait heureux et qu’il aurait jamais dû s’éloigner d’son arbre … Alors, les paresseux géants étaient-ils vraiment de gros paresseux ? Pour leur défense, vous avouerez qu’il n’est pas si facile de courir affublé d’une canne ! A force de passer devant le squelette monté de Megatherium de la galerie de paléontologie du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris, Guillaume Billet (maître de conférence au Muséum) s’est proposé de tenter de résoudre le mystère de la canne du paresseux géant et j’ai eu la chance de l’aider dans cette tâche.

Le squelette monté de Megatherium du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris. A noter, l’un des crânes scannés pour cette étude est situé au premier plan au pied du squelette monté.

Tout d’abord, d’où lui vient cette réputation de gros balourd mollasson ? On ne choisit pas sa famille et, malheureusement pour le Megatherium, ses plus proches parents actuels sont en partie responsables de cette image peu flatteuse. Dans la nature actuelle, il existe seulement deux genres de paresseux : les paresseux à deux doigts (Choloepus) et les paresseux à trois doigts (Bradypus). Pas besoin d’être un anatomiste de la trempe de Georges Cuvier pour comprendre que les différences entre ces deux genres se comptent sur les doigts d’une main … Ils ont surtout en commun de se déplacer avec une extrême lenteur (voir un exemple de paresseux à trois doigts ici http://www.youtube.com/watch?v=ndMKTnSRsKM, pour info le paresseux est à droite de l’image et ne parle pas anglais). S’ils sont peu diversifiés de nos jours, on connaît en revanche de nombreuses espèces fossiles de paresseux. Toutes les tailles y étaient représentées mais le T-rex des paresseux reste sans conteste Megatherium americanum (étymologiquement « la grande bête d’Amérique ») long de six mètres pour un poids d’environ 4 tonnes.

Dès lors, comment obtenir des informations sur l’agilité de ce géant ? Contrairement à l’image que l’on peut s’en faire, les paléontologues sont bien des hommes de leur temps qui savent de temps en temps quitter l’ère Cénozoïque pour entrer dans l’ère du numérique. Les technologies de microtomographie à rayons X nous permettent d’avoir accès à une foule d’informations anatomiques qui étaient jusqu’alors difficilement accessibles. Ces dernières années, l’oreille interne a reçu une attention toute particulière. Elle renferme à la fois un organe de l’ouïe, la cochlée ou limaçon, et un organe de l’équilibre, le système vestibulaire et ses trois canaux semi-circulaires responsables de la perception des accélérations/décélérations des mouvements de la tête. Ce dernier constitue donc un organe clé pour reconstruire l’agilité d’espèces éteintes. Plusieurs études ont en effet montré que la taille des canaux semi-circulaires serait proportionnelle à l’agilité de leur propriétaire. Les deux genres actuels de paresseux présentent d’ailleurs de petits canaux comparés à la moyenne des mammifères. Voici donc une méthode qui tombe à pic pour savoir si Megatherium était bien ce balourd décrit dans la littérature ! Effectivement, l’idée est simple mais en pratique scanner un crâne d’un animal de cette taille reste une tâche relativement ardue. Cet exploit a été rendu possible grâce à la plateforme de microtomographie du muséum (la bien nommée plate-forme AST-RX qui résiste encore et toujours aux défis des plus gros crânes). Une fois ce problème technique résolu et l’oreille interne reconstruite, il ne restait plus qu’à faire parler son anatomie. Chez la forme géante de paresseux, les canaux semi-circulaires étaient de grande taille par rapport aux formes actuelles (à l’échelle de leur corps), suggérant ainsi une plus grande agilité probablement comparable à celle d’un éléphant. Mais si la morphologie des canaux semi-circulaires trahit une certaine agilité, elle reflète plus directement la mobilité de la tête que celle de l’ensemble du corps ; il s’agit donc de ne pas interpréter à la hâte ces résultats comme le seul signe d’une locomotion agile. Toutefois, d’autres résultats, basés sur l’étude d’empreintes de pas cette fois-ci, ont montré que Megatherium devait pouvoir se déplacer à une vitesse de 3 à 8 km/h, un pas de course comparé à leurs cousins actuels qui se déplacent rarement à plus 0,5 km/h. Et bizarrement, jamais aucune empreinte de canne n’a été retrouvée !

Le crâne dans le scanner. Copyright Cyril Frésillon (CNRS).

La reconstruction 3D du crâne et de l’oreille (Billet et al., 2013). Copyright Journal of Anatomy.

Alors voilà, le bilan est sans appel, des paléontologues sont en mesure de vous dire que non, tous les paresseux ne se valent pas ! Certains paresseux seraient visiblement plus lents que d’autres … Pire encore, de toutes les espèces de paresseux ayant existé, apparemment seules les plus lentes sont parvenues jusqu’à nous. Voici de quoi réhabiliter et même couronner de succès (évolutif) le droit à la paresse si fièrement chanté par le grand Georges, Moustaki pas Cuvier …

Empreintes de pas de Megatherium Pehuen Co, Argentine.

Références :

- Billet G, Germain D, Ruf I, Muizon C de, Hautier L. 2013. The inner ear of Megatherium and the evolution of the vestibular system in sloths.  Journal of Anatomy 223: 557-567.

- Brassens G. 1955. Auprès de mon arbre.

https://www.youtube.com/watch?v=Q3-_8SblRIQ

- Moustaki G. 1974. Le droit à la paresse.

https://www.youtube.com/watch?v=oRzBv0ohce8

 

 

 

 

 

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Publié dans : Amérique du Sud,Evolution,Mammifères fossiles,Nouveautés

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7 Réponses pour “Ni fast ni furious. A quoi servait la canne du paresseux géant”

  1. [...] Imaginez un monde de paresseux, un monde du « travailler moins pour évoluer plus ».  [...]

  2. Papalima dit :

    Encore un titre racoleur ! Cet article ne décrit absolument pas les recherches concernant l’usage de sa canne par le paresseux géant.

    Plus sérieusement : par quelle aberration l’Evolution a-t-elle permis d’aboutir aux paresseux actuels (qui ne descendent pas nécessairement, je suppose, de leur cousin du coenozoïque, mais quand même…) ?

    PL

    • Lionel Hautier dit :

      Cette aberration s’appelle la sélection naturelle ! Un exemple :
      « On ne bouge plus ! » Parfois, ne pas bouger peut vous sauvez la vie …

    • jean pierre burgas dit :

      yoda n a t il pas une canne mais aussi une grande mobilite?

  3. Zavez raison c’t'une honte ce blog n’est plus tenu…