Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

La découverte du site paléontologique d’Angeac-Charente, à quelques kilomètres d’Angoulême, a déjà produit quelques surprises : le sauropode géant (dont un concurrent argentin vient de se manifester) a été le plus médiatisé mais ses restes ne sont pas, loin s’en faut, les plus nombreux sur ce site. Les fouilles menées par le Musée d’Angoulême, avec notamment une équipe du CNRS de l’Université de Rennes et le Muséum de Paris, ont surtout produit des centaines d’ossements d’un petit dinosaure théropode du groupe des ornithomimosaures. Ces derniers sont bien connus en Amérique du Nord et en Asie au Crétacé supérieur avec des bestioles édentées comme Gallimimus, Struthiomimus ou Ornithomimus. En Europe l’équipe madrilène de José Luis Sanz décrivit à la fin du siècle dernier Pelecanimimus, un curieux ornithomimosaure primitif avec plein de dents ; c’était le seul ornithomimosaure européen avant la découverte d’Angeac. Mais pourquoi ce suffixe récurrent mimus ? C’est une de ces traditions un peu bébêtes que les paléontologues aiment bien suivre, réemployer une même racine pour nommer les dinosaures d’un même groupe. Les fameux raptors en sont un bon exemple : Osborn, lorsqu’il nomma Velociraptor (le chasseur véloce) en 1922, n’avait pas prévu que suivraient quelques décennies plus tard des Utahraptor, Microraptor ou même Variraptor. Et bien les « mimus » en sont un autre, d’exemple. C’est OC Marsh qui nomma Ornithomimus (« qui ressemble à un oiseau ») en 1890 et depuis la mode du « Piafomimus » ne s’est jamais démentie avec Gallimimus (Gallus = la poule), Struthiomimus (Struthio = l’autruche), Anserimimus (Anser = l’oie), Pelecanimimus (Pelecanus = le pélican), etc., etc. L’ornithomimosaure d’Angeac subira-t-il ce traitement ? Les paris sont ouverts ! Comme il a déjà atteint la gloire sous le pinceau de l’artiste Mazan et le sobriquet de « Mimo », pourquoi pas un Mimomimus, qui aurait le double avantage d’être ridicule et de posséder 4 M ?

Mimo par Mazan, l’ornithomimosaure d’Angeac-Charente navigue sur son gisement inondé ; faut dire que fouiller dans la nappe phréatique, y’en a qu’ont de ces idées…

Mais revenons-en à Pelecanimimus, cet étrange ornithomimosaure à dents ; il était bien seul en Europe jusqu’à la découverte d’Angeac, et il l’est resté (seul) car l’animal charentais est beaucoup plus évolué : il n’a plus de dents et semble plus proche des ornithomimosaures de la fin du Crétacé que de son compère ibère.

Ornithomimosaure et charentaises, par Mazan

Venons-en enfin au sujet de ce billet qui fait jaser outre-Manche… Jusqu’à la révélation charentaise un certain nombre d’ossements de petits dinosaures théropodes avaient été découverts dans le Crétacé inférieur d’Europe, et en particulier dans le Wealdien d’Angleterre. Faute de matériel de comparaison adéquat, ces ossements ont été attribués par les paléontologues des siècles précédents à divers genres (comme Thecocoelurus ou Valdoraptor) et surtout à de nombreuses familles, en fonction de l’humeur du moment ou des illuminations phylogénétiques qu’un cladogramme peut apporter. Tu trouves par exemple une vertèbre de dinosaure, tu rentres 3 caractères dans un ordinateur et le programme t’annonce : tu as trouvé un dromaeosauridé, petit veinard ! Oui ça ressemble un peu à de la magie et d’ailleurs ce n’est pas très rigoureux mais certains croient dur comme fer que pour déterminer un os il faut absolument un programme informatique. Ainsi Thecocoelurus (un dinosaure nommé à partir d’une demi-vertèbre cervicale) a-t-il été considéré ces dernières années comme un thérizinosaure ou un abelisauroïde. Valdoraptor (connu par trois fragments du pied gauche seulement) fut lui rapporté au groupe des allosaures. Bref les petits théropodes européens du début du Crétacé, jusqu’ici, c’était le foutoir… Avec la découverte d’Angeac une nouvelle grille de lecture se met en place : les paléontologues français disposent de la quasi-totalité du squelette d’un ornithomimosaure et peuvent donc comparer les trouvailles antérieures à cet animal. Et soudain tout devient limpide : un certain nombre d’ossements isolés du Wealdien anglais ne peuvent être distingués du matériel charentais, il s’agit donc d’ornithomimosaures ! Thecocoelurus ? un ornithomimosaure ! Valdoraptor ? un ornithomimosaure ! Et pour s’en rendre compte, même pas besoin d’un ordinateur, de la paléontologie vintage en somme.

Thecocoelurus comparé à une vertèbre cervicale de l’ornithomimosaure charentais.

Valdoraptor et le cousin charentais, un air de famille

C’est ce que démontrent Ronan Allain, Romain Vullo et quelques comparses dans un article qui vient de paraître dans la revue Geologica Acta. Mimo l’ornithomimosaure retrouve donc ses cousins, ce qui est très émouvant, et on s’interroge : pourquoi les ornithomimosaures auraient-ils disparu avant la fin du Crétacé en Europe occidentale, alors qu’ils s’épanouissaient en Asie et en Amérique du Nord ? Serait-ce dû à l’hypothétique concurrence de gros oiseaux comme Gargantuavis ou bien, plus prosaïquement, ne les a-t-on pas encore retrouvés ?

 

Note : les héros dinosauriens de cette histoire peuvent être visités au Musée d’Angoulême, qu’on se le dise !

Merci à Mazan et Ronan Allain pour les illustrations qui parsèment ce billet.

Ronan Allain, Romain Vullo, Jean Le Loeuff & Jean-François Tournepiche, 2014. European ornithomimosaurs (Dinosauria, Theropoda): an undetected record. Geologica Acta, 12, 127-135.

 

Facebook Twitter Email

Publié dans : Fouilles paléontologiques,Mazan,Nouveautés,Théropodes

Les commentaires et les pings ne sont pas autorisés.

1 Réponses pour “Charentaises, Cognac et vieilles vertèbres : ils voient des ornithomimosaures partout !”

  1. [...] La découverte du site paléontologique d’Angeac-Charente, à quelques kilomètres d’Angoulême, a déjà produit quelques surprises : le sauropode géant (dont un concurrent argentin vient de se manifester) a été le plus médiatisé mais ses restes ne sont…  [...]

  2. David Marjanović dit :

    Faute de matériel de comparaison adéquat, ces ossements ont été attribués par les paléontologues des siècles précédents à divers genres (comme Thecocoelurus ou Valdoraptor) et surtout à de nombreuses familles, en fonction de l’humeur du moment ou des illuminations phylogénétiques qu’un cladogramme peut apporter. Tu trouves par exemple une vertèbre de dinosaure, tu rentres 3 caractères dans un ordinateur et le programme t’annonce : tu as trouvé un dromaeosauridé, petit veinard !

    Pas vrai. Aucune des attentes antérieures de déterminer les relations de Thecocoelurus ou Valdoraptor (ou Calamosaurus etc. etc.) n’a été accompagnée par une analyse phylogénétique – précisément parce qu’on ne connaît que tellement peu de matériel que tout le monde s’est attendu qu’une analyse ne trouvera que de « l’herbe phylogénétique » au lieu d’un arbre bien résolu.

    Voilà les résultats de la première analyse de ces fossiles jamais faite. Et bien sûr, la position de Valdoraptor n’est pas résolue.