Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Rien ne sert de courir, il faut partir à point. Plus que pour quiconque, cet adage de Jean de La Fontaine semble pouvoir caractériser le métier de paléontologue, et nous allons voir que c’est encore plus flagrant dès il s’agit de tortues fossiles !

Atlantochelys mortoni, l’une des plus grandes tortues marines ayant existé, a été décrite à partir d’une proximité distale d’humérus (l’os du bras). A part cet holotype (spécimen de référence qui sert à la description d’une nouvelle espèce), peu de choses étaient connues sur les circonstances de sa découverte. Le spécimen fut décrit pour la première fois en 1846 par le célèbre naturaliste Louis Agassiz ; ce n’est que bien après sa description, en 1865, que l’on considéra que l’os avait été récolté dans le comté de Burlington, près de Philadelphie, le lieu exact de la découverte restant inconnu. L’histoire aurait donc dû en rester là, mais c’était sans compter sur une incroyable succession d’événements digne des plus belles fables de Jean (de La Fontaine pas Le Loeuff).

160 ans après la description de ce premier spécimen, Gregory Harpel, un paléontologue amateur, se promène dans le comté de Monmouth dans le New Jersey. En traversant un ruisseau, son regard est rapidement attiré par un morceau de roche qui présente d’étranges traces de morsures. Gregory décide de le ramasser et de le faire étudier par des paléontologues du musée d’état du New Jersey. Très rapidement, les chercheurs reconnaissent une extrémité proximale d’un os de tortue et décident naturellement de la comparer au spécimen provenant du comté voisin et décrit par Agassiz. BLAST !!! Les deux morceaux font bien plus que se ressembler, ils s’emboitent ! Ils ont beau les tourner dans tous les sens histoire de se prouver qu’ils ont tort, les paléontologues doivent se rendre à l’évidence : les deux morceaux trouvés à 163 ans d’intervalle ne forment qu’un seul et même os ! Pour les auteurs de l’étude, il est probable que l’os ait été préservé intact jusqu’à une période récente. Une fois dégagé par l’érosion, il aurait été repris dans des dépôts alluvionnaires pléistocènes ou holocènes et il est probable que, compte tenu de son état de conservation, l’os ne se soit fracturé que lors d’une de ces étapes récentes.

Les deux extrémités de l’humérus d’Atlantochelys mortoni. Copyright Drexel University.

Un CT scan de la patte brisée. On voit nettement des traces de morsures sur l’extrémité proximale. Copyright Jesse Pruitt/Idaho MNH.

Au delà de la simple joie du devoir accompli, les experts du New Jersey ont surtout pu terminer une enquête qui avait commencé voilà plus d’un siècle et demi. Avec cette nouvelle découverte, ils savent désormais que l’holotype d’Atlantochelys mortoni a été trouvé dans le comté de Monmouth dans des formations crétacées datées de 70 à 75 millions d’années. De nouvelles fouilles permettront sans aucun doute de retrouver de nouveaux restes de la mystérieuse tortue et d’autres os de chéloniens provenant du même gisement ont depuis été reconnus dans les collections du musée d’état du New Jersey. Le spécimen complet aura surtout permis de reconstruire la taille de l’animal et une fois encore la surprise fut de taille ! Avec une longueur de près de trois mètres, Atlantochelys aurait fait trembler n’importe quel lièvre sur une ligne de départ.

Une reconstitution d’Atlantochelys mortoni avec échelle. Copyright Jason Poole/Drexel University.

Voici de quoi rassurer les nombreux fouilleurs qui cet été endommageront inéluctablement des os sur des sites paléontologiques du monde entier. Cette histoire nous rappelle surtout qu’en science, comme en cuisine, il faut savoir prendre son temps, surtout quand on a affaire à une patte brisée …

 Référence

 David C. Parris, Jason P. Schein, Edward B. Daeschler, Edward S. Gilmore, Jason C. Poole and Rodrigo A. Pellegrini. 2014. Two halves make a Holotype: two hundred years between discoveries. Proceedings of the Academy of Natural Sciences of Philadelphia 163(1):85-89.

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Publié dans : Nouveautés,Tortue fossile

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2 Réponses pour “160 ans pour un puzzle de deux pièces … Le lièvre et la tortue fossile”

  1. Seigne J-M dit :

    On comprend que l’animal n’avait pas une extension complète du coude, car on n’observe pas de fossette olécranienne sur la reconstitution 3D du CT.

    Bien à vous.
    JMS

  2. Papalima dit :

    Ainsi, il y avait déjà des tortues au Crétacé ?! qui ont donc survécu à la fameuse météorite de Chixtruc ? Ben ça alors !
    @ JMS : je pense qu’on ne peut pas dire ça tant qu’on n’a pas retrouvé le radius…
    @ l’auteur : on ne dit pas « BLAST ! », mais « GAST ! ». Demandez à J Le Loeuff.

    Bien à vous

    PL

  3. [...] Rien ne sert de courir, il faut partir à point. Plus que pour quiconque, cet adage de Jean de La Fontaine semble pouvoir caractériser le métier de paléontologue, et nous allons voir que c’est encore plus flagrant dès il s’agit de tortues fossiles !  [...]