Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

L’on sait, depuis Jurassic Park, qu’un tyrannosaure est un animal solitaire, ombrageux, enclin à dévorer des avocats véreux et à pourchasser des véhicules automobiles qu’il prend sans doute pour des boîtes de conserve. Mais depuis le 23 juillet le cliché du grand prédateur solitaire a pris un coup de vieux. Comme souvent quand il s’agit de paléobiologie ou plutôt de paléoéthologie (l’étude du comportement des animaux disparus) les éclaircissements sur le mode de vie des tyrannosaures proviennent de la paléoichnologie, l’étude des traces de pas fossilisées.

La découverte a eu lieu en octobre 2011 en Colombie britannique, dans l’ouest du Canada, lorsqu’un guide de chasse est tombé en arrêt sur deux grosses traces tridactyles imprimées dans des roches de la Formation Wapiti. « Tabernacle, l’sacré caribou » se serait-il probablement exclamé s’il avait été québécois. Mais M. Aaron Fredlund, c’est son nom, est un natif du nord-est de la Colombie britannique, et sans doute parle-t-il anglais. Enfin bref, constatant que la piste ne menait pas à un gibier susceptible de se faire canarder par ses clients, notre guide de chasse en causa aux autorités compétentes. Et c’est le paléontologue Richard McCrea qui se chargea d’organiser une petite fouille pour voir si, par hasard, il n’y aurait pas une troisième empreinte au bout des deux premières. Bingo, elle y était : les Canadiens venaient de découvrir la plus longue piste de tyrannosaure du monde ! Il faut dire que jusque-là les rares empreintes attribuées à des tyrannosaures avaient toujours été découvertes isolées. Emoustillés par cette découverte, les chercheurs eurent la brillante idée d’élargir un peu le périmètre de leur fouille, faisant apparaître d’autre grosses empreintes de dinosaures carnivores, et notamment deux pistes supplémentaires (de deux empreintes chacune, le minimum syndical pour une piste).  Ce qui nous fait sept empreintes en tout, mais qui ont été laissées par trois animaux différents.

Le plan du site

Que peut-on sérieusement en déduire ? D’abord que ce sont effectivement des traces de gros dinosaures carnivores (les plus grandes empreintes font 67 cm de long), et donc des traces de Tyrannosauridés qui étaient les seuls très gros prédateurs à la fin du Crétacé en Amérique du Nord. Ce ne sont pas en revanche des traces de Tyrannosaurus, mais plutôt celles de Gorgosaurus ou Albertosaurus, des tyrannosaures un petit peu plus anciens. Et un peu moins gros aussi : la seule empreinte de Tyrannosaurus rex connue fait 83 cm de long. Le parallélisme des trois pistes laisse fortement supposer que les trois dinosaures se déplaçaient ensemble et donc que ces grosses brutes avaient une vie sociale comme vous et moi. La taille des empreintes montre que les trois animaux étaient des adultes consentants, âgés de 25 à 29 ans selon les auteurs de l’étude, et que l’un deux avait un  doigt de pied atrophié. Voilà à peu près ce que l’on peut déduire sans trop s’avancer.

Maintenant, sont-ce là les traces de trois monstres assoiffés de sang en train de se ruer en hurlant sur le malheureux hadrosaure qui passait par là ? Et bien pas tout à fait, hélas : les trois affreux ont été flashés à 8,5 km/h, ce qui est un peu lent pour une attaque éclair. On avait donc trois tyrannosaures en goguette. Que faisaient-ils là, que se dirent-ils, eurent-ils (elles) beaucoup d’enfants ? Mordiou ! A ces questions pertinentes nous n’avons pas encore de réponse.

Une reconstitution de la scène au Musée des Dinosaures

 

Référence:

Richard T. McCrea, Lisa G. Buckley, James O. Farlow, Martin G. Lockley, Philip J. Currie, Neffra A. Matthews, S. George Pemberton. 2014. A ‘Terror of Tyrannosaurs’: The First Trackways of Tyrannosaurids and Evidence of Gregariousness and Pathology in Tyrannosauridae. PlosOne, DOI: 10.1371/journal.pone.0103613

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Publié dans : Amérique du Nord,Musée des Dinosaures d'Espéraza,Théropode,Tyrannosaurus

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5 Réponses pour “Qu’y a-t-il de plus affreux qu’un T. rex ? Une bande de T. rex peut-être…”

  1. Jacques PRESTREAU dit :

    Question peut-être pertinente:

    Comment a-t-on la certitude que ces trois gentils monstres sont passés EN MEME TEMPS? Ne peuvent-il pas être passés à quelques heures d’écart dans un lieu canalisé allant vers un même endroit (vers un troupeau d’herbivores, vers un cours d’eau, etc.) ?

    Merci Jean si tu (vous) as (avez) quelques éléments pouvant établir notre certitude sur ce point!

  2. Jacques PRESTREAU dit :

    Sinon, dans le titre de la publication je vois ceci:

    « The First Trackways of Tyrannosaurids and Evidence of Gregariousness… and Pathology in Tyrannosauridae. »

    Euh… ce sentier, c’était peut-être le chemin le plus direct entre le toubib du village et le pharmacien.

    Bref… a-t-on vraiment la certitude que ces trois éclopés sont bien passés EN MEME TEMPS?

    • L’éclopé, qui se promenait à quatre mètres des deux autres, n’était même pas soutenu sur son chemin de croix en effet. Alors cela s’est-il passé au même moment ? C’est impossible à dire… les auteurs précisent que la conservation des empreintes de différentes pistes est identique, ce qui suggère qu’elles ont été produites dans les mêmes conditions et donc « approximately at the same time ». On appréciera le « approximately ». L’autre argument contre la succession de trois bestioles à quelques heures/jours d’intervalle, c’est la probabilité très faible que trois tyrannosaures, animaux rares dans les écosystèmes de l’époque, soient passés au même endroit indépendamment. Enfin les autres traces de dinosaures découvertes sur la même dalle vont dans tous les sens et ne sont pas parallèles aux pistes de tyrannosaures, écartant la possibilité d’une barrière physique (un trottoir peut-être ?) obligeant les animaux à suivre la même direction. Pas de certitude donc quant à la simultanéité des trois pistes, mais un faisceau d’arguments suggérant qu’ils avançaient ensemble…

  3. Commenteuse n°1 dit :

    Je me pose la même question …

  4. [...] L’on sait, depuis Jurassic Park, qu’un tyrannosaure est un animal solitaire, ombrageux, enclin à dévorer des avocats véreux et à pourchasser des véhicules automobiles qu’il prend sans doute pour des boîtes de conserve.  [...]

  5. Dominic ORBETTE dit :

    Merci pour ces articles plein d’humour.
    Mais comment sait-on qu’ils étaient rose ;-) .

    Sinon, une petite piste de Théropode trouvée à quelques km d’Oyonnax. Les empreintes font environ 55cm du talon au début de la griffe.
    http://www.domorbette.com/geol/IMG_1993_recadree_copyright.png