Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Plus fort que la grenouille et son échelle pour prédire le temps, voici le vieux crocodile et la mer … Différents groupes éteints de crocodiles ont conquis de manière indépendante le milieu marin à plusieurs reprises au cours des temps géologiques. A chaque fois, ces crocodiles marins ont fini par disparaître après quelques millions d’années. Comment expliquer ces colonisations et disparitions successives ? Le paléontologue Jérémy Martin, expert en matière de crocodile fossile, et ses collègues de l’Université de Lyon et Bristol ont récemment apporté quelques éléments de réponse.

Un crocodile marin, ici un dyrosaure nageant dans les eaux de surfaces chaudes de la fin du Crétacé. © Guillaume Suan

Tout commence par un constat assez simple : les crocodiles, animaux à sang froid, sont présents uniquement dans les eaux douces des régions chaudes du globe. Il n’existe de nos jours aucune forme complètement marine de crocodile. Seuls le crocodile marin et l’alligator américain s’aventurent de temps à autre sur la côte ; ils ne sont cependant pas aussi inféodés au milieu marin que l’étaient les formes fossiles du Mésozoïque et du début du Paléogène qui devaient passer le plus clair de leur temps à batifoler dans les mers et les océans. L’équipe franco-anglaise a simplement entrepris de comparer l’évolution de la diversité des crocodiles marins en fonction de deux facteurs : les fluctuations du niveau marin et l’élévation de la température des eaux de surface. Si le premier de ces facteurs semble avoir eu peu d’effet sur la diversité crocodilienne, la température des eaux de surface pourrait en revanche expliquer en partie l’histoire des colonisations du milieu marin par les crocodiles. En effet, depuis le Jurassique (201-66 Ma), plusieurs groupes de crocodilomorphes ont systématiquement colonisé le milieu marin pendant des périodes de réchauffement climatique. Les crocodiles sont ectothermes, leur température corporelle dépend donc du milieu ambiant. L’augmentation des températures des eaux de surface aurait permis à ces animaux à sang froid de coloniser de nouvelles niches écologiques inaccessibles en période de refroidissement global.

Exemple d’un pélagosaure, un crocodilien marin du début du Jurassique. Collections de la Bath Royal Literary and Scientific Institution, Bath Royaume-Uni. © Jeremy Martin

Un groupe très spécialisé de crocodilomorphes, les metriorhynchoïdes, fait cependant vaciller ce scénario presque parfait. En effet, contrairement aux autres groupes de crocodiles marins, leur diversité semble avoir augmenté au cours du Jurassique supérieur (164-145 Ma) au moment même où la température des eaux de surface chutait. Les metriorhynchoïdes apparaissent toutefois bien différents des autres formes de crocodiles marins ; ils possédaient des pattes transformées en palettes natatoires et une queue présentant une nageoire caudale. Pour les auteurs de l’étude, il est envisageable que, comme d’autres groupes de reptiles marins (Bernard et al., 2010), les metriorhynchoïdes aient été capables de réguler en partie leur température corporelle. De nouvelles analyses seront toutefois nécessaires pour faire toute la lumière sur la spécificité des metriorhynchoïdes.

Evolution de la diversité générique des crocodiles marins en fonction des fluctuations du niveau marin et de l’élévation de la température des eaux de surfaces. © Nature Communication

Il est toujours intéressant de voir comment de telles découvertes sont reprises dans la presse. Alors évidemment, si on nous parle d’évolution de la biodiversité et de réchauffement climatique, il ne faut pas s’étonner de voir apparaître des scénarios farfelus qui prévoient déjà l’arrivée de crocodiles sur les plages de la Grande Motte (voir un exemple ici ). Signe du temps, on demande désormais à des spécialistes du passé de prévoir l’avenir ! Tout comme le principe de l’actualisme, ce « principe du passéisme » a ses limites car, dans le cas de nos crocodiles, encore faudra-t-il que l’homme puisse leur laisser l’opportunité de coloniser un environnement marin digne de ce nom. Mais ne sous-estimons pas non plus les capacités d’adaptation et le sang froid de nos amis crocodiliens qui leur ont permis de traverser plusieurs crises biologiques majeures. Comme on dit en Ethiopie : « si tu vois un crocodile s’acheter un pantalon, c’est qu’il a trouvé une solution pour faire sortir sa queue ». Désormais, tu sauras également que si tu vois un crocodile s’acheter un bikini, c’est qu’il a trouvé une solution pour aller se baigner dans la grande bleue…

Des crocodiles à la Grande Motte !

Références :

Bernard A, Lecuyer C, Vincent P, Amiot R, Bardet N, Buffetaut E, Cuny G, Fourel F, Martineau F, Mazin J, & Prieur A. 2010. Regulation of Body Temperature by Some Mesozoic Marine Reptiles Science, 328 (5984), 1379-1382.

Martin J, Amiot R, Lécuyer C, Benton M. 2014. Sea surface temperature contributes to marine crocodylomorph evolution. Nature Communications. doi: 10.1038/ncomms5658

 

Facebook Twitter Email

Publié dans : Crocodile,Nouveautés,Reptiles marins

Les commentaires et les pings ne sont pas autorisés.

0 Réponses pour “Quand la température grimpe, les crocos sortent les maillots, et les prévisions s’enflamment !”

  1. [...] Plus fort que la grenouille et son échelle pour prédire le temps, voici le vieux crocodile et la mer … Différents groupes éteints de crocodiles ont conquis de manière indépendante le milieu marin à plusieurs reprises au cours des temps géologiques.  [...]