Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Ithyphalle ichtyen ou le zizi du vieux poisson

Le 12 novembre 2014 par Lionel Cavin

Avec « Le zizi » de Pierre Perret on apprend (ou pas) que chez le mâle de l’espèce humaine cet organe peut être joufflu, ridé ou même pelé. Mais comment est-il chez les autres bêtes? Contentons-nous ici d’examiner la situation chez quelques vertébrés et évitons de mentionner le dard d’amour de certains escargots, qui pénètre le corps de la/le partenaire vraiment n’importe où, le pénis du cirripède, qui peut mesurer jusqu’à 8 fois la longueur de son corps, et encore moins le pseudo pénis de l’argonaute (en fait un spermatophore), qui se détache du corps pour rejoindre l’être aimé. Parmi les vertébrés, donc, on trouve chez les mammifères une situation assez semblable à la nôtre : le zizi est de taille variable mais plutôt simple, c’est-à-dire impaire, et généralement renforcé par un os (mais pas chez les humains). Chez les lézards et les serpents le pénis est souvent double, on parle alors d’hémipénis, et il s’orne de crochets divers qui renforcent la cohésion des couples. Chez les dinosaures, on ne peut que spéculer puisque que se sont débandées les preuves de l’existence d’un os pénien chez les sauropodes. Pourtant, lorsque qu’on sait que certains canards sont porteurs d’un pénis spiralé parfois gigantesque, on aime imaginer T. rex affublé d’un membre puissant et tirebouchonné.

Chez les vertébrés primitivement aquatiques, le pénis est souvent délaissé car inutile, voire encombrant. Les grenouilles, par exemple se satisfont de l’amplexus et la majorité des poissons mâles se contente d’arroser de leur semence les œufs préalablement pondus par les femelles. Mais on sait que la diversité morphologique des poissons n’a d’égal que la diversité de leurs mœurs. Il existe des poissons pratiquant le coït. Chez les poissons osseux à nageoires rayonnantes, les actinoptérygiens, on rencontre une telle pratique chez les cyprinodontiformes, des petits poissons d’eau douce d’Amérique dont le mâle possède une nageoire anale modifiée (le gonopodium) qu’il utilise lors de l’accouplement.

Le gonopodium de Gambusia hubbsi. © J Heinen-Kay, J.L. & Langerhans, R.B. 2013

On sait que l’accouplement chez certains actinoptérygiens est une habitude ancienne car des fossiles du Trias du Monte San Giorgio, en Suisse, ont révélé des structures comparables au gonopodium (Bürgin, 1990). Les champions de l’accouplement subaquatique sont cependant les raies et les requins qui possèdent pour cette pratique un organe pair spécialisé, situé à la base des nageoires pelviennes, nommé claspers. Le mâle introduit la chose dans le cloaque de la femelle en même temps qu’il la maintient avec ses mâchoires au niveau des nageoires pectorales.

Mais si certains poissons s’accouplent, ce n’est pas uniquement pour le plaisir du geste mais bien parce que chez eux, en général, le développement des jeunes est interne. C’est ce qu’on nomme la viviparité ou ovoviviparité lorsqu’il n’y a pas de lien nutritif entre la mère et les jeunes.

Les placodermes forment un groupe de poissons non-monophylétique dont on sait depuis quelques décennies que chez certaines espèces les mâles possédaient des claspers. On a même retrouvé des embryons préservés à l’intérieur du corps d’une femelle d’un ptychodonte (un des groupes naturels de placodermes) du Dévonien supérieur du gisement de Gogo en Australie (Long et al., 2008), puis chez un arthrodire (un autre groupe naturel de placodermes) du même gisement (Long et al., 2009), prouvant directement la viviparité et indirectement la fécondation interne chez ces poissons.

a, Diagramme montrant la position de l’embryon dans la femelle de Meterpiscis attenboroughi du Dévonien de Gogo en Australie. b, reconstitution par B. Choo de la naissance d’un jeune. Le nom scientifique signifie le poisson-mère d’Attenborough, le célèbre présentateur de films animaliers qui a, paraît-il, rendu célèbre ce gisement au travers de ses émissions. © Long et al. (2008).

Alors tout est dit sur la reproduction des placodermes ? Pas tout à fait comme le démontre l’article qui vient de sortir dans la revue Nature signé d’une belle brochette de spécialistes des poissons du Paléozoïque (Long et al., 2014). Cette fois-ci pas d’embryon en vue, les fossiles ne sont même pas particulièrement jolis et plutôt moins bien préservés que ceux du gisement de Gogo. Ils appartiennent au genre Microbrachius, en particulier M. dicki du Dévonien moyen d’Ecosse. On peut observer chez eux, sur certains des spécimens considérés comme les mâles, de vigoureux claspers en forme de L et constitués d’os dermique. Leur forme et leur position indiquent que le coït se pratiquait flanc contre flanc.

Reconstitution de la femelle de Microbrachius en vues dorsale et ventrale (haut) et de deux mâles à différents stades de développement en vue ventrale (bas). Les claspers sont bien visibles sur le gros mâle en bas à droite.

Microbrachius, une paire classe liée par le clapser. © B. Choo in Long et al. (2008).

Et alors, quoi de neuf avec cette découverte ? Et bien Microbrachius appartient à un troisième groupe naturel de placodermes, les antiarches, qui sont situés tout à la base de la phylogénie des vertébrés à mâchoires (en d’autres termes, ils forment le groupe frère de tous les autres gnathostomes). La conséquence est que, en analysant la distribution de la présence des claspers au sein des vertébrés, la copulation, ou fécondation interne, devient un caractère primitif des vertébrés à mâchoires. Cela signifie donc qu’il était d’usage de pratiquer le coït chez les premiers « poissons » puis cette activité, pourtant a priori pas trop déplaisante et plutôt efficace pour féconder des œufs, aurait été perdue. La redécouverte de cette pratique chez certains actinoptérygiens et chez les amniotes est considérée comme secondairement acquise.

Cette découverte vient bousculer les idées préconçues qui veulent que la fécondation externe soit un caractère primitif et la fécondation interne une acquisition dérivée, ou évoluée, car présente chez l’homme. Ainsi, le clasper d’un vieux poisson nous rappelle incidemment que l’anthropocentrisme est un vilain défaut des scientifiques, un défaut qui peut se nicher au fond de leur caleçon !

Références :

Bürgin, T. 1990. Reproduction in Middle Triassic actinopterygians; complex fin structures and evidence of viviparity in fossil fishes. Zoological Journal of the Linnean Society, 100(4): 379–391.

Heinen-Kay, J.L. & Langerhans, R.B. 2013. Predation-associated divergence of male genital morphology in a livebearing fish. Journal of Evolutionary Biology DOI: 10.1111/jeb.12229

Long., J.A., Trinajstic, K., Young, G.C. & Senden, T. 2008. Live birth in the Devonian period. 453: 650-652: doi:10.1038/nature06966

Long., J.A., Trinajstic, K. & Johansen, Z. 2009. Devonian arthrodire embryos and the origin of internal fertilization in vertebrates. 457: 1124-1127. doi:10.1038/nature07732

Long, J. et al. 2014. Copulation in antiarch placoderms and the origin of gnathostome internal fertilization. Nature. doi:10.1038/nature13825

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Publié dans : Poissons fossiles

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2 Réponses pour “Ithyphalle ichtyen ou le zizi du vieux poisson”

  1. Jacques PRESTREAU dit :

    > le zizi est de taille variable mais plutôt simple, c’est-à-dire impair(e), et généralement renforcé par un os (mais pas chez les humains).

    Sauf chez Henri IV qui jusqu’à 40 ans avait toujours cru que c’était un os. :)

  2. [...] Avec « Le zizi » de Pierre Perret on apprend (ou pas) que chez le mâle de l’espèce humaine cet organe peut être joufflu, ridé ou même pelé. Mais comment est-il chez les autres bêtes?  [...]

  3. Pedro dit :

    Avez vous jamais regardé le phallus des Drosophiles ? ( C’est comme ça qu’on rencognait les différents espèces) Crochu, griffu, ornementé, etc. Je ne sais pas si je serais une femelle Droso jamais. Et savez vous ce qui font les mâles « avant » de l’employer ? Ils ont un peigne sexuel dans les pattes avant avec le quel ils font les « préliminaires » réussis aux femelles.