Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Mort d’un ptérodactyle

Le 21 septembre 2015 par Jean Le Loeuff

Il ne sera pas question ici du trépas de l’un de ces délicieux reptiles volants du Mésozoïque, dont les causes auraient été élucidées par la sagacité d’un paléontologue. Non, ce billet reprend simplement le titre d’un article paru au mois d’août dans la revue scientifique Antiquity, un fort sérieux journal qui traite de nombreuses facettes des recherches archéologiques mais ne donne pas dans la paléontologie. « The death of a pterodactyl », c’est pourtant le titre d’un des articles parus dans le numéro d’août 2015, un titre qui ne pouvait qu’éveiller l’intérêt du dinoblogueur moyen.

Le sujet de cette contribution scientifique est un pictographe (un dessin hiéroglyphique utilisé par les amérindiens me susurre un dictionnaire) du premier millénaire de notre ère découvert dans l’Utah dans les années 20 du siècle dernier. Cette peinture est située dans le Canyon du Dragon Noir, dans le sud-est de l’état, où un certain nombre de figures ont été peintes sur une falaise gréseuse. Ces peintures rupestres relèvent du style de Barrier Canyon, répandu dans cette région des Etats-Unis : les experts y reconnaissent des figures anthropomorphes, des quadrupèdes indéterminés, des représentations serpentiformes, mais jamais de monstre ailé ! Or, vous l’ignoriez peut-être autant que moi, certains créationnistes ont vu dans le pictographe du Canyon du Dragon Noir rien moins qu’un ptérosaure, voire même un Quetzalcoatlus pour les plus audacieux, et une claire démonstration de la survie des reptiles volants jusqu’à l’ère chrétienne, soit 66 millions d’années de plus que prévu. La figure 1 montre cette interprétation du monstre du Canyon du Dragon Noir : clair, ça fait un peu flipper. De là à y voir un ptérodactyle, faut pas non plus pousser mémé dans les orties !

Mais il s’agit ici, on s’en doute, d’une interprétation de ces peintures qui ont subi les outrages du temps, l’humidification par des photographes amateurs pour améliorer leurs images, des surlignages à la craie, bref toutes sortes de manipulations peu propices à une bonne conservation. Les auteurs de l’article dont il est question ont utilisé des techniques d’imagerie récentes (DStretch) et un analyseur portable de fluorescence aux rayons X (enfin c’est ainsi que je traduis « a portable X-ray fluyorescence analyser ») pour retrouver les réels contours de la peinture, abîmée, lessivée, outragée par les visiteurs indélicats. Leurs résultats sont spectaculaires puisque le « monstre » du canyon correspond en fait à six peintures différentes tout à fait caractéristiques du style de Barrier Canyon : anthropomorphes, quadrupèdes et serpentiformes sans lien entre elles, sinon les coups de craie récents et quelques coulures de peinture. La figure 2, mieux qu’un long discours, permettra au lecteur de mieux comprendre la nature du « ptérodactyle » de l’Utah.

On appréciera la rigueur du traitement de ces images dont les auteurs soulignent à juste titre qu’elle exclut les biais personnels d’interprétation en utilisant une méthodologie reproductive par quiconque voudrait tester la validité des résultats. Et on croit comprendre qu’ils aimeraient que cette rigueur soit plus souvent présente dans les travaux scientifiques sur l’art rupestre. En tout cas, voici encore un « cryptide » à mettre à la poubelle (c’est ainsi que les cryptozoologues nomment les mystérieux animaux qu’ils s’attendent à découvrir vivants d’un instant à l’autre).

Références :

J.-L. Le Quellec, P. Bahn & M. Rowe. 2015. The death of a pterodactyl, Antiquity, 89, 872-884,

 

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Publié dans : Amérique du Nord,Ptérosaure

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1 Réponses pour “Mort d’un ptérodactyle”

  1. Petrovna dit :

    Mais les figures anthropomorphes sont peut être en train de préparer un pterodactyle pour le dîner. L’enquête continue.

  2. [...] Il ne sera pas question ici du trépas de l’un de ces délicieux reptiles volants du Mésozoïque, dont les causes auraient été élucidées par la sagacité d’un paléontologue.  [...]