Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

A la croisée des regards

Le 8 février 2016 par Cyril Charles

Cyril Charles est biologiste de l’évolution à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon. Pour inaugurer son entrée dans la communauté des dinoblogueurs, il nous propose sa visite du musée des Confluences dont certains partis pris muséographiques n’ont pas contenté toute la communauté scientifique. Cyril fera également partie des conférenciers lors des prochaines rencontres du DinOblog où il nous fera partager deux de ses grandes passions : la termitophagie et la vermivorie.

 

« Une philosophie de la rencontre, un goût de l’échange, une intelligence de regards croisés », c’est par ces termes que se définit le musée des Confluences de Lyon, descendant en partie de l’ancien museum d’histoire naturelle de la ville. Cette filiation est flagrante sur deux des quatre expositions permanentes du musée : « Espèces, la maille du vivant » et « Origines, les récits du monde ». Le pluriel à « récits » est particulièrement important puisque l’on retrouve dans la même salle à la fois la version scientifique de l’évolution (à gauche) et les mythes de la création (à droite). Sont ainsi présentées en parallèle la vision scientifique des origines proches et lointaines de l’Homme et les visions inuites ou chinoises de l’organisation de l’univers. Si ce parti pris est particulièrement bien réussi d’un point de vue esthétique, il peut aussi donner une impression gênante à l’homme de science un peu pointilleux et soulève également plusieurs questions. Par exemple, si l’objectif est vraiment de présenter les récits du monde, pourquoi ne pas illustrer les mythes bibliques et se contenter de présenter des visions plus exotiques (je suppose qu’il y a assez peu d’inuits qui visitent le musée mais je n’ai malheureusement pas les chiffres à disposition) ? Loin de moi l’idée d’abolir les mythes mais la confrontation donne l’impression du travail mi-fait mi à faire en refusant d’aborder ceux des religions dominantes. On peut supposer que le musée ne voulait pas être taxé de créationnisme et que présenter Adam et Eve en face des reconstitutions des Hominidés fossiles aurait pu choquer une bonne partie du public. Mais alors pourquoi présenter le panthéon chinois pour illustrer l’origine du monde ? La religion traditionnelle chinoise serait-elle moins sérieuse que les religions monothéistes et donc moins susceptible d’être prise au pied de la lettre ? Shennong, le dieu chinois de l’agriculture, hybride d’un dragon et d’une femme est-il moins crédible que l’hybride d’un esprit, fût-il saint, et d’une vierge, fût-elle sainte itou ? Ne risque-t-on pas ici de vexer les divinités du panthéon chinois et de s’exposer à leur courroux ? La situation délicate de l’Olympique Lyonnais, éliminé précocement de la ligue des champions, de la coupe de France, de la coupe de la ligue et à la traîne en championnat est-il un châtiment divin ? Je vous laisse réfléchir seuls à ces questions (im)pertinentes avant de reprendre la visite du musée.

L’exposition « Origines, les récits du monde », dont nous parlions avant de nous interroger sur la situation footballistique lyonnaise , a comme objectif scientifique de présenter l’Histoire de l’Homme. La visite débute donc par la représentation de trois charmantes demoiselles, une femme sapiens, une néanderthalienne et une femme de Florès. Ensuite, le visiteur remonte dans son arbre nœud à nœud. Nous apprenons donc au fur et à mesure de notre parcours que nous sommes à la fois des Primates, des Mammifères, des Amniotes, des Tétrapodes, des Vertébrés à mâchoires, des animaux et des êtres vivants (et même bon vivants pour certains dinoblogueurs de ma connaissance). L’objectif annoncé du musée des Confluences est de casser l’aspect linéaire de l’évolution et de ne pas finir avec l’Homme comme ultime étape d’une longue marche vers le progrès (de Lyon évidement). C’est réussi. Cette présentation permet à chaque étape de présenter les points communs entre espèces d’un même groupe. Par exemple, nous sommes des amniotes, comme ce magnifique Camarasaurus qui nous domine, car nos embryons se développent dans un sac amniotique. A noter une belle salle annexe sur les mécanismes évolutifs et présentant quelques fossiles emblématiques de la région, tels que le Mammouth de Choulans ou des fossiles de Cerin.

Camarasaurus

Tarbosaurus

Après l’exposition « Origines, les récits du monde », la seconde exposition permanente cruciale pour un fidèle du DinOblog est « Espèces, la maille du vivant ». Celle-ci s’ouvre sur la vision de l’animal au sein des cultures humaines, nous retrouvons donc le chamanisme de nos amis inuits, décidément très présents, et une collection de momies égyptiennes. Encore une fois assez peu de références par contre à l’animal dans les grandes religions monothéistes. Enfin, le visiteur découvre que les animaux sont aussi des animaux et pas uniquement des projections de l’esprit humain. Il peut ainsi admirer, outre des grands mammifères empaillés, de très belles collections d’invertébrés (insectes, mollusques) et un mur d’oiseaux. L’exposition sur les espèces présente également une collection de masques Nô et des prothèses médicales, mais bon, on n’est plus à ça près finalement…

Enfin, comme tout musée à tendance naturaliste depuis l’avènement de Nicolas Hulot, le parcours muséographique se termine par les espèces en fin de parcours terrestre. Sont ainsi visibles le loup de Tasmanie, le dodo ou la rhytine de Steller, proche du dugong, qui remplace la traditionnelle baleine au plafond. L’esthétisme des pièces présentées est encore une fois à souligner et on pourrait presque considérer le musée des Confluences comme un musée d’art naturel. Cette impression est encore plus flagrante pour l’exposition temporaire « Dans la chambre des merveilles », ouverte jusqu’au 8 mai 2016 et que je recommande vivement ne serait-ce que pour la fin de l’exposition qui j’en suis persuadé peut faire aimer la zoologie aux jeunes visiteurs récalcitrants. En revanche, l’exposition temporaire sur les signes extérieurs de richesse du Néolithique, réalisée avec le musée des Eyzies, est plus classique avec une série de vitrines présentant les symboles de réussite sociale que l’on pouvait arborer au néolithique, avant ou après sa mort. On y apprend entre autre que si dans son tumulus, on n’a pas une hache en jade alpin, on a quand même raté sa vie.

Les autres expositions permanentes ou temporaires concernent moins directement les adeptes du DinOblog, l’une d’elles s’intéresse au rapport à l’au-delà et à la vision de la mort dans différentes cultures et la dernière exposition permanente se penche sur les différentes sociétés humaines. A noter que cette dernière inclue une belle collection minéralogique mise en parallèle d’une étonnante collection de téléphones, logique. Oui, oui, c’est logique : puisque l’Homme a besoin de ressources naturelles pour construire ses outils de communication, pourquoi ne pas l’illustrer avec des minerais et un minitel…

Bref, si vous êtes de passage à Lyon, arrêtez-vous au musée des Confluences, il est facile à trouver, il s’agit du vaisseau Star Wars échoué au bord de l’autoroute, juste après le début des traditionnels bouchons du tunnel de Fourvière les jours de gros retours de vacances. En payant votre billet d’entrée, ayez une pensée émue pour les contribuables locaux qui ont vu la facture du musée passer de 60 millions à 300 millions d’euros entre le début (en l’an 2000) et la fin du projet architectural (en 2014), faisant du musée des Confluences le musée le plus cher de France, très loin devant le Musée des Dinosaures d’Espéraza. Demandez-vous également comment la présence du Rhône, de la Saône, de l’autoroute et donc des problèmes que cela pouvait soulever pour l’installation d’un tel musée ont pu passer inaperçu au lancement du projet. Si vous trouvez la réponse à cette dernière question, n’hésitez pas à la laisser en commentaire, de nombreux lyonnais se la posent encore !

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Publié dans : Actualités des musées

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2 Réponses pour “A la croisée des regards”

  1. Thalie dit :

    Bonne analyse et vision d’ensemble à mon avis. Ex-étudiante en sciences de la vie, j’ai eu le même sentiment en parcourant pour la première fois les collections. En parlant de minéralogie, je suis nostalgique de l’immense collection autrefois visible au musée Guimet, dont une infime partie est exposée à Confluences … de très beaux spécimens il est vrai, mais si peu !

  2. C’est tout de même un peu plus de 100 fois plus cher mais les ambitions architecturales n’étaient pas tout à fait les mêmes…

  3. [...] yril Charles est biologiste de l’évolution à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon. Pour inaugurer son entrée dans la communauté des dinoblogueurs, il nous propose sa visite du musée des Confluences dont certains partis pris muséographiques n’ont pas contenté toute la communauté scientifique. Cyril fera également partie des conférenciers lors des prochaines rencontres du DinOblog où il nous fera partager deux de ses grandes passions : la termitophagie et la vermivorie.  [...]

  4. [...] Cyril Charles est biologiste de l’évolution à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon. Pour inaugurer son entrée dans la communauté des dinoblogueurs, il nous propose sa visite du musée des Confluences dont certains partis pris muséographiques n’ont pas contenté toute la communauté scientifique. Cyril fera également partie des conférenciers lors des prochaines rencontres du DinOblog où il nous fera partager deux de ses grandes passions : la termitophagie et la vermivorie.  [...]