Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Ceux-là, quand on les cherche, on les trouve !

Le 7 mars 2016 par Lionel Cavin

« Cœlacanthes : on les cherche, on les trouve » pourrait-on dire depuis qu’un de ces poissons vient d’être identifié et nommé en provenance du Crétacé du Sud de la France. Ce dicton piscicole illustre bien ce qui s’est passé autour de ce fossile découvert dans les Bouches-du-Rhône, près du village de Ventabren, par Xavier Valentin et offert au Musée des dinosaures d’Espéraza en 1997.

À l’époque j’avais tout le loisir d’examiner ce fossile sans arriver pourtant à lui donner un nom : il avait ce petit quelque chose que les anglophones qualifient de « fishy» et que je traduirais approximativement par « poissonnesque, mais un peu douteux ». C’est extrêmement frustrant d’avoir sous les yeux quelque chose de manifestement identifiable, mais que vous n’arrivez pas à identifier. Le problème fondamental est que lorsqu’on ne cherche pas au bon endroit, on ne trouve pas. Le bon endroit (au sein de l’arbre évolutif du vivant s’entend) a été identifié quelques années plus tard suite à un crochet par Cruzy. Ce sont des fouilles menées dans ce charmant village de l’Hérault que proviennent, au début des années 2000, parmi des morceaux de tortues, de dinosaures et autres oiseaux géants, un petit os tout aussi fishy que ceux de Ventabren. Il me fut confié pour étude et probablement serait-il encore accompagné d’une étiquette « poisson indéterminé » sans l’aide de mon mentor, Peter Forey, avec qui je travaillais. Il fallut moins de 30 secondes à Peter pour découvrir qu’il s’agissait d’un angulaire de cœlacanthe. Bingo ! Mais qui aurait eu l’idée, sinon l’expert mondial du groupe, d’aller chercher du côté des cœlacanthes pour identifier un fossile découvert dans un gisement du Crétacé continental du Sud de la France ? Jamais, jusque-là, ce type de poisson n’avait été découvert dans ce petit coin d’espace-temps. Le travail est alors devenu plus facile et Peter eu la gentillesse de me laisser conduire cette petite étude qui aboutit à un article dans la presse scientifique (Cavin et al., 2005) accompagnée d’une coupure de presse au titre curieux dans la Tribune de Genève.

Le coelacanthe de Cruzy

La Tribune de Genève relate la découverte

L’angulaire se rapprochait de ceux des cœlacanthes de la famille des mawsoniidés et il fut possible, bien que le fossile était très fragmentaire, de proposer une reconstitution du poisson complet sur la base de spécimens de Mawsonia du Brésil.

Reconstitution du coelacanthe de Cruzy (Lionel Cavin)

Suite à ces aventures une résille d’ignorance se déchira, dévoilant le fossile de Ventabren comme ressuscité et baigné d’une sombre clarté actinistienne (d’Actinistia, le clade des cœlacanthes). En d’autres termes, les cœlacanthes c’est comme les champignons : le premier est difficile à trouver, puis vous en voyez partout.

Le spécimen des Bouches-du-Rhône est bien un crâne désarticulé de coelacanthe, préservé à un peu moins de 50%, qui comprend des os des mâchoires (dont un angulaire très semblable à celui trouvé à Cruzy) et des éléments de la boîte crânienne (Cavin et al., 2016).

Le coelacanthe de Ventabren

Les affinités de ce cœlacanthe avec les mawsoniidés sont claires et même plus : le fossile peut être attribué au genre Axelrodichthys, un genre connu dans le Crétacé inférieur et supérieur du Gondwana occidental (c’est-à-dire de l’Amérique du Sud et de l’Afrique). Le coelacanthe de Ventabren et celui de Cruzy proviennent de gisements formés en milieu continental, ou en tout cas à fortes influences continentales, probablement un ancien fleuve qui serpentait sur l’île ibéro armoricaine. Il est probable que la majorité des mawsoniidés gondwaniens avaient également une nette préférence pour les eaux douces, ou éventuellement saumâtres. Une conclusion se dessine : notre poisson, ou plutôt un de ses ancêtres, a dû franchir la mer qui séparait les continents africain ou sud-américain de l’archipel européen. Cette mer, la Téthys, était plus large que la Méditerranée d’aujourd’hui, ce qui implique qu’Axelrodichthys avait probablement effectué quelques escales sur des îles téthysiennes, encore inconnues, durant son voyage, comme pour faire le plein d’eau douce durant sa traversée maritime.

Mais quel nom d’espèce donner à cet Axelrodichthys nouveau ? Le genre ayant franchi la Téthys il y a plus de 70 millions d’années comme on traverse aujourd’hui la France sur une autoroute (en effectuant peut-être quelques arrêts aux aires de repos insulaires du Crétacé) et l’espèce nouvelle ayant été découverte à proximité d’une aire de repos autoroutière du XXIème siècle, une allusion à ces grandes voies de circulation s’imposait : il fut nommé Axelrodichthys megadromos, du grec « megas », grand et « dromos », voie. Voilà le donc premier coelacanthe autoroutier !

  • Terminons ce billet sur une triste nouvelle. Peter Forey, dont il est question plus haut mais également dans d’autres billets du Dinoblog (ici et un peu ici et ici), est décédé au mois de janvier 2016 après deux ans de maladie. Grand spécialiste des poissons osseux en général, mais aussi novateur sur des questions théoriques, Peter était quelqu’un de modeste, à l’humour british, qui dispensait ses connaissances parfois selon la méthode taoïste : il fallait savoir entendre ce qu’il ne disait pas pour saisir toute la portée de son enseignement. Il a été pour moi le meilleur des maîtres en paléoichtyologie.

Références :

Cavin, L., Forey, P.L., Buffetaut, E & Tong, H. 2005. Latest European coelacanth shows Gondwanan affinities. Biology Letters. 2005 (1): 176-177.doi: 10.1098/rsbl.200. 4.0287

Cavin, L., Valentin, X., Garcia. 2016. A new mawsoniid coelacanth (Actinistia) from the Upper Cretaceous of Southern France. Cretaceous Research. 62 (2016): 65-73.http://dx.doi.org/10.1016/j.cretres.2016.02.002

 

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