Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Dinopunk : un psittacosaure à poil

Le 4 octobre 2016 par Jean Le Loeuff

C’est un fossile qui avait eu son heure de gloire à l’aube du XXIe siècle qui revient sur le devant de la scène ces jours-ci. Ce petit squelette de Psittacosaurus, acquis par le Musée Senckenberg de Francfort après de nombreuses tribulations aux Etats-Unis et en Europe a été découvert quelque part en Chine. On ne sait pas vraiment où, si ce n’est quelque part dans le Liaoning, car il est passé entre les mains d’un bon nombre d’intermédiaires avant d’être acheté par le muséum allemand. Combien ça coûte ? « Comments on its price are inappropriate » répondent les chercheurs teutons, circulez y’a rien à voir ! Alors normalement les dinosaures chinois sont censés rester en Chine, leur exportation étant illégale, surtout quand ce sont comme ici des spécimens exceptionnels. Mais la Chine n’ayant pas déclaré la guerre à l’Allemagne, on se dit que depuis 2001 il y a peut-être eu un arrangement (financier ? je dirais que cette question est inappropriée).

Mais un psittacosaure, qu’est-ce donc ? Il s’agit d’un petit dinosaure herbivore d’un à deux mètres de long extrêmement abondant en Asie au Crétacé inférieur : on en retrouve en Chine, en Mongolie et jusque dans le sud-est asiatique. Psittacosaurus, le dinosaure-perroquet, fut décrit par le paléontologue américain Osborn en 1923. Au sein des Marginocéphales il est le cousin du grand groupe des Neoceratopsia (contenant les Protoceratopsidés et les grands Cératopsidés) et présente quelques excroissances crâniennes caractéristiques de ce groupe zoologique, comme des pointes osseuses au niveau des joues.

Le Psittacosaurus de Francfort

Notre fossile, qui est exposé au Muséum de Francfort, avait donc déjà été brièvement décrit en 2002. C’est à cause de lui que les reconstitutions de psittacosaure du XXIe siècle montrent souvent un curieux plumeau sur la queue. Car notre psittacosaure a cette particularité d’être conservé avec sa peau (sujet d’un prochain billet) et quelques curieux filaments sur le dessus de la queue. Et sur les centaines, ou plutôt les milliers de squelettes de psittacosaures connus à ce jour, c’est le seul à posséder ces fascinants ornements. La nature de ces filaments a été contestée : certains ont voulu en faire des fibres de collagènes, des plantes ayant poussé sur le cadavre, etc. Pourtant, malgré l’unicité du fossile, ce sont bien des phanères, enfin des poils si vous préférez, ou encore des structures comparables à des poils, issues de la peau du psittacosaure. Le spécimen de Francfort étant l’un des plus gros connus dans le Liaoning avec un crâne de 18 cm, les auteurs supposent que ces poils étaient peut-être une caractéristique des sujets les plus âgés.

La nouvelle étude qui vient de paraître utilise des techniques d’imagerie plus sophistiquées pour décrire ces 91 structures, qui s’étendent sur 23 cm de la seconde à la 15 ou 16e vertèbre caudale, soit environ sur le tiers antérieur de la queue (une queue de Psittacosaurus compte en général 45 vertèbres). Allez, appelons-les poils, même si biologiquement ce sont peut-être des plumes mais peut-être pas ; d’ailleurs pour plus d’infos sur ce que sont un poil ou une plume vous pouvez aller voir par . Les 91 poils sont regroupés par petites touffes de 3 à 6 éléments qui s’implantent profondément dans la peau. Le fossile a été tronqué lors de l’extraction, et la plupart des poils sont incomplets ; leur longueur devait être d’environ 15 cm pour les plus longs pour un diamètre allant de 0.5 mm à 1.7 mm (à titre de comparaison vos cheveux ont entre 0.04 et 0.1 mm de diamètre). Etant donné leur épaisseur on pourrait peut-être les qualifier de soies, qui sont les poils durs et épais du cochon. Quoiqu’il en soit, nos poils s’élargissent vers leur base et présentent une zone externe calcifiée et une zone interne pulpeuse.

Une queue au poil : les poils tronqués sont reconstitués en pointillés (Palaeontology)

Figurez-vous que les filaments de Psittacosaurus ressemblent énormément à celui qui orne la tête du kamichi cornu (Anhima cornuta), un grand oiseau sud-américain fort bruyant paraît-il. Ils peuvent aussi se comparer, ces filaments, à ceux de la barbe du dindon (Meleagris gallopavo), cette longue touffe de poils qui pendouille de la poitrine des mâles. Les soies de psittacosaure pourraient avoir la même nature que ces structures connues chez des oiseaux actuels mais seraient calcifiées et très kératinisées, comme le filament du kamichi cornu.

La barbe du dindon (photo wikipedia)

La corne du kamichi (Palaeontology)

Un autre ornithischien chinois du Crétacé inférieur, l’hétérodontosauridé Tianyulong confuciusi présente des structures extrêmement similaires sur la queue, mais aussi sur le cou. Et d’autres types de structures épidermiques, dont des filaments plus fins, sont présents chez un troisième ornithischien sibérien, Kulindadromeus zabaikalus. Ce qui conduit à penser que nombre d’ornithischiens possédaient des espèces de longs poils kératinisés, notamment sur la queue. Mais à quoi ça sert, ce petit plumeau sur la queue ? Les psittacosaures ayant été des animaux grégaires, peut-être cela aidait-il à se reconnaître (comme la crinière de certains mammifères) ou à modifier la silhouette qui aurait alors paru plus imposante et donc plus intimidante… Des punks, quoi !

Reconstitution du Psittacosaure de Franfort (Current Biology)

Si les plumes sont l’apanage des dinosaures théropodes, il est clair que des recouvrements épidermiques pittoresques existaient chez leurs cousins ornithischiens et étaient peut-être même très répandus chez les dinosaures en général. Il semble néanmoins que certains ornithischiens étaient complètement dépourvus de poils : les hadrosaures, dont on connaît nombre de « momies » n’en possédaient pas ; les ankylosaures non plus, du moins pas sur la partie dorsale de leur corps, recouverte de plaques osseuses. Des bruits ont couru sur la présence de quelques poils chez Triceratops, mais rien de sérieux n’a été publié à ce jour. Quant au Psittacosaurus de Francfort, il est devenu le plus célèbre du monde, et détrônera sans doute bientôt la célèbre saucisse comme emblème de la cité allemande. Ah, la saucisse de psittacosaure que nous ne goûterons hélas jamais…

Références :

Mayr, Gerald, Pittman, Michael, Saitta, Evan, Kaye, Thomas G., Vinther, Jakob, Benson, Roger (2016). « Structure and homology of Psittacosaurus tail bristles ». Palaeontology. doi:10.1111/pala.12257

Pour en savoir plus au fil du Dinoblog :

Sur les psittacosaures chinois : Le cimetière des bébés psittacosaures : entourloupes au paradis des faussaires.

Sur Kulindadromeus : Prête-moi ta plume, bel ornithischien

Sur la peau des hadrosaures : Drôles de zèbres : la queue de Saurolophus

 

 

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Publié dans : Asie,Evolution,Nouveautés,Ornithischien

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1 Réponses pour “Dinopunk : un psittacosaure à poil”

  1. Abranis dit :

    Toujours aussi intéressant et humoristique ! Et surtout, j’ai appris un truc de dinde (heu…de dingue) : les dindons ont de la barbe au poitrail ! Comment j’ai fait pour ne pas savoir un truc pareil ?

  2. [...] C’est un fossile qui avait eu son heure de gloire à l’aube du XXIe siècle qui revient sur le devant de la scène ces jours-ci. Ce petit squelette de Psittacosaurus,acquis par le Musée Senckenberg de Francfort après de nombreuses tribulations aux Etats-Unis et en Europe a été découvert quelque part en Chine  [...]