Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Les ostéodermes de titanosaures constituent une passionnante énigme de la paléontologie depuis une trentaine d’années. Chez les dinosaures on a longtemps pensé que ces ossements qui se développent dans la peau (d’où leur nom) comme chez les crocodiles étaient l’apanage des ankylosaures. Ces dinosaures ornithischiens sont en effet entièrement caparaçonnés de plaques osseuses dont la fonction défensive paraît évidente. En 1980, les paléontologues argentins Bonaparte et Powell surprirent leur monde en décrivant des ostéodermes associés à un squelette du titanosaure (un dinosaure sauropode, donc) Saltasaurus loricatus. Saperlipopette ! Un sauropode couvert d’os !

Pour être juste, il faut rappeler que le paléontologue français Charles Depéret avait décrit dès 1896 un ostéoderme qu’il rapportait à un titanosaure de Madagascar, mais nul ne suivit sa pourtant fort juste déduction : c’était bien connu, les sauropodes ne possédaient point d’ostéodermes. En 1994 nous eûmes l’occasion de revenir sur le sujet suite à la découverte de très gros ostéodermes sur le gisement de Bellevue, à Campagne-sur-Aude, associés à un grand nombre d’ossements d’un autre titanosaure, Ampelosaurus atacis. Après quelques tâtonnements (ces ostéodermes n’appartenaient-ils pas plutôt à un gros ankylosaure ?) nous parvînmes à la conclusion que ces mystérieuses structures ne pouvaient appartenir qu’à Ampelosaurus.

Depuis, nombre de gros ostéodermes ont été retrouvés à travers le monde, toujours associés à des ossements de titanosaures, mais jamais en connexion anatomique et la plupart du temps en faible nombre. D’où une lancinante question : mais à quoi pouvaient bien servir ces fichus ostéodermes ? Et une seconde question tout aussi énervante : comment étaient-ils implantés sur le corps d’un titanosaure ? Disons le tout net, on reste dans l’incertitude quant à la seconde question. Et puis ce serait un peu long à raconter, on en fera un petit billet plus tard si vous le voulez bien.

Mais à quoi servaient-ils ? On a envisagé qu’ils pouvaient avoir constitué une sorte d’exosquelette mais cela colle mal avec le petit nombre d’ostéodermes trouvés sur les sites de fouille. L’autre grande idée généralement admise aujourd’hui est qu’ils pourraient avoir servi à stocker des minéraux : les titanosaures ont en effet des vertèbres très pneumatisées (elles contenaient beaucoup plus d’air que d’os) et ils disposaient de relativement peu de masse osseuse résorbable en cas de nécessité… Ils pourraient donc avoir « pompé » les minéraux nécessaires dans ces ostéodermes, par exemple en fin de saison sèche lorsque les organismes étaient affaiblis ou, pour les femelles au moment de la ponte afin de disposer de suffisamment de calcium pour produire des oeufs. Cette « utilisation » des ostéodermes est connue aujourd’hui chez les crocodiles du Nil dont les femelles remodèlent leurs os dermiques lorsqu’elles pondent.

Un gros ostéoderme de Lo Hueco (en haut ; barre d’échelle : 10 cm) dont le scanner (au milieu) a révélé les cavités internes (en bas en rouge)

Des chercheurs de l’Université autonome de Madrid viennent de tester cette idée en scannant la dizaine d’ostéodermes découverts associés à plusieurs squelettes de titanosaures sur l’extraordinaire site de Lo Hueco, à une centaine de kilomètres de Madrid. Ils ont constaté pas mal de différences entre eux. Certains ostéodermes sont pleins et d’autres, moins nombreux, cachent des cavités internes plus ou moins vastes. Ils en déduisent que l’idée d’une utilisation des minéraux des ostéodermes lors de périodes de stress environnemental ne tient pas, puisque tous les animaux utiliseraient leurs réserves au même moment (et donc tous les ostéodermes fossilisés au même moment seraient soit pleins, soit creux). Comme les ostéodermes comportant des vides sont nettement moins nombreux que les pleins, ils pensent que ce sont ceux de femelles ayant utilisé leurs réserves pour pondre, les autres étant probablement ceux de mâles ou de femelles juvéniles n’ayant pas atteint la maturité sexuelle. Le calcium des œufs de titanosaures viendrait donc des ostéoderme Mais une question essentielle demeure, à laquelle se gardent bien de répondre nos prudents chercheurs : à quoi servaient, sacrebleu, les ostéodermes des titanosaures mâles ?

Références :

Daniel Vidal, Francisco Ortega, Francisco Gasco, Alejandro Serrano-Martinez & José Luis Sanz, 217. The internal anatomy of titanosaur osteoderms from the Upper Cretaceous of Spain is compatible with a role in oogenesis. Scientific Reports 7, Article number: 42035

Bonaparte, J. F. & J. E. Powell, 1980. A continental assemblage of tetrapods from the Upper Cretaceous beds of El Brete, northwestern Argentina (Sauropoda–Coelurosauria–Carnosauria–Aves). Mémoires de la Société géologique de France, nouvelle série 139:19–28.

Le Loeuff, J., E. Buffetaut, L. Cavin, M. Martin, V. Martin & H. Tong,1994. An armoured titanosaurid sauropod from the Late Cretaceous of southern France and the occurrence of osteoderms in the Titanosauridae. Gaia 10:155–159.

 

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Publié dans : Crocodile,Nouveautés,Oeufs de dinosaure,Sauropodes,Titanosaures

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3 Réponses pour “Des os dans le derme ou le mystérieux pouvoir des ostéodermes”

  1. PASCAL Thomas dit :

    Coucou, les scientifiques qui ont étudiés ces ostéodermes semblent fonder leurs conclusions sur la synchronicité de la mort de ces titanosaures, d’où mon interrogation : comment les paléontologues peuvent-ils déduire de l’étude de ce gisement espagnol que les individus sont morts au même moment ? Je me doute que le contexte taphonomique donne des indices mais cela doit rester relativement hypothétique…
    Cordialement

    • Alors je ne l’avais pas écrit en effet mais il est bien précisé dans l’article : The evidence found at Lo Hueco, which comes from bed G1 (Table 2), is a sample of most likely coexisting titanosaurs: G1 was the proximal part of a coastal flooded muddy plain with signs of fast accumulation of carcasses,
      such as over-representation of titanosaurs (96% of all dinosaur remains), absence of scavenging evidence or carcasses preferentially oriented. Given that monodominant bonebeds are the product of catastrophic events in a short sedimentation timespan and the fact that all the titanosaur partial individuals are similarly scattered and articulated to similar degrees (Supplementary Fig. 1), the sample from G1 most probably records a single catastrophic event, in which the articulated remains accumulated once. The absence of scavenging marks on the bones, despite the presence of meat eaters in the site (theropods and crocodiles) and the absence of weathering in all the bones are also evidence of fast burial.
      Bon ça peut-être discuté mais on ne peut exclure en effet l’idée de la crue catastrophique ratiboisant ces pauvres petites bêtes au même moment…
      Et d’ailleurs l’article entier est en open access ici : http://www.nature.com/articles/srep42035
      La bise

  2. PASCAL Thomas dit :

    merci pour toutes ces infos,votre blog est passionnant.