Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Par rapport à d’autres pays, la France est peu impactée par les idéologies créationnistes, probablement en raison d’un fort attachement au cartésianisme et à la laïcité. Cette situation est peut-être aussi le résultat d’un changement progressif de l’attitude de la religion catholique. Elle qui, pendant des siècles, fut la défenseuse bornée d’une interprétation littérale des textes bibliques reconnaît maintenant que l’évolution est « plus qu’une théorie » (une formulation qui n’est pas très heureuse). Cette relation apaisée ne concerne cependant pas l’ensemble de la communauté catholique. Mais le flambeau de l’aveuglement ne s’éteint jamais ! C’est maintenant au tour des pasteurs et autres joueurs de guitare qui les accompagnent dans des temples réformés de diffuser les idées créationnistes partout dans le monde. Depuis peu, des porte-voix de l’islam se joignent au chœur, avec Harun Yahya dans le rôle du soliste. Ce prédicateur turc a distribué des milliers d’exemplaires de son atlas de la création, un ouvrage qui se distingue par son poids (6 kg) et par la superficialité de son contenu qui n’est égalée que par la fatuité de son auteur. Non, décidément, dès que les religions s’intéressent à autre chose qu’à ce machin qui nous distinguerait des bêtes, l’âme, elles se fourvoient. On peut rétorquer que l’opposition à la notion d’évolution ne concerne que les religions du Livre (le « débat » fait rage aussi au sein du judaïsme) et il est vrai que le bouddhisme et peut-être l’hindouisme, pour ne citer qu’elles, semblent moins concernées. Mais je suppute que cette absence de hargne est plus le résultat d’un désintérêt pour la question qu’une réelle acceptation de la réalité scientifique (pas facile d’associer réincarnation et évolution, sauf pour un extrémiste lamarckien !). Leur tour viendra probablement…

Pourquoi cette introduction militante ? Parce que je souhaite faire ici le compte rendu d’un colloque qui traitait directement de ce thème. Les 10 et 11 février, j’ai été invité à parler de paléontologie à la Aykut Kence Evrim Konferansı à Ankara en Turquie. Cette réunion est organisée par des étudiants « undergraduate » du METU, la Middle East Technical University. Ils, et surtout elles (il y avait probablement une majorité de femmes dans ce comité) sont donc âgé(es) de 20 à 25 ans environ et suivent diverses formations, surtout scientifiques mais pas uniquement. Leur but : parler de science de l’évolution dans un pays qui ne veut pas en entendre parler… Car voilà, le gouvernement turc, qui ne manque pas de nous rappeler quotidiennement ses actions musclées dans divers secteurs de la vie civile et militaire, n’aime pas non plus l’évolution. « Lorsqu’une idée ne me plaît pas, elle est fausse » dit l’adage en vogue dans divers gouvernements qu’il n’est pas nécessaire de nommer ici. Une des conséquences pour les sciences naturelles en Turquie, c’est que les musées doivent « ajuster » les informations transmises au public à la vision de leurs dirigeants. Dans le musée d’histoire naturelle d’Ankara, par exemple, un musée de bonne tenue par ailleurs, la partie consacrée à l’évolution de l’homme vient tout simplement de disparaître et sur des cartels le mot « évolution » a été maladroitement remplacé par le terme « développement »

A gauche, vue de l’entrée du musée d’histoire naturelle d’Ankara ; au centre, détail d’un cartel où le terme « évolution » a été remplacé par le terme « développement » (flèches rouges) ; à droite, absence de vue de la section consacrée à l’évolution de l’homme qui a tout simplement disparu du musée…

C’est donc sans grand enthousiasme que les autorités politiques et administratives voient l’organisation de cette rencontre et nos courageux étudiants ne trouvent pas beaucoup de soutien autour d’eux. Mais rien ne les arrête : ils ont réussi cette année à attirer 1100 étudiants de toute la Turquie. Les participants n’ont pas hésité à consacrer un week-end, à leur frais (y compris des frais d’inscription qui permettront d’organiser la réunion 2019), pour venir nous écouter. Les conférences données par des intervenants turcs et étrangers portaient surtout sur les molécules, la génétique des populations ou l’ADN ancien car ces disciplines de pointe ont tendance à monopoliser les recherches portant sur les mécanismes de l’évolution. Mais la paléontologie, dont l’anthropologue David Begun de Toronto et moi étions les représentants, reste la seule discipline permettant de retracer les chemins réellement suivis par l’évolution de la vie. Venant d’un pays de montagne, j’ai narré l’histoire des poissons fossiles découverts au sommet de pics enneigés (par exemple Foreyia) et raconté les hypothèses audacieuses de nos prédécesseurs cherchant à expliquer ces étranges présences (jeux de la nature, semences souterraines, déluge, etc.). J’ai aussi parlé du cœlacanthe, ce poisson dont la lente évolution morphologique (je persiste à le dire) fournit un prétexte aux créationnistes de tous poils qui se précipitent aveuglément sur le terme de « fossile vivant » qui lui est souvent associé. Le discours a semblé intéresser le public, en tout cas quelques-uns des 900 étudiants alors présents dans la salle (et moi, je n’en menais pas large). Le biologiste de l’évolution Douglas Futuyma était là. Quelle surprise de voir ce jovial et docte new-yorkais, auteur d’un manuel fondamental sur l’évolution traduit notamment en turc, qui était entouré de groupies à la recherche d’un autographe, d’une dédicace ou d’une photo. J’avais l’impression d’être en compagnie d’une rock-star ! Un mot aussi sur le professeur Aykut Kence, décédé il y a quelques années et dont la conférence honore le nom. Il fut le traducteur du livre de Futuyma et passât sa vie à défendre en Turquie le concept et la réalité de l’évolution. D’après ce qu’on m’a raconté, ce ne fut pas facile tous les jours et les menaces de mort n’ont pas manqué ! Voilà, cette enthousiasmante rencontre s’est terminée le dimanche soir. Les organisateurs devaient se lever tôt le lundi matin car le second semestre commençait pour eux. Lors du dernier repas, tous les intervenants étrangers ont reconnu que jamais une réunion portant sur l’évolution, organisée par des étudiants aussi passionnés, n’aurait pu voir le jour dans leur pays respectif. Il y a quelque chose de rassurant à voir une telle énergie consacrée à la défense de l’évolution dans le pays d’Harun Yahya ! Je suis rentré à Genève lundi matin par un vol qui a duré 7 heures avec escale à Kiev (le budget limité obligeait les organisateurs à chercher les billets les meilleures marchés). Mais ce voyage m’a donné du temps pour rédiger un billet pour le Dinoblog et je connais maintenant un mot en turc : evrim, qui signifie évolution !

 

 

 

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Publié dans : Actualités des musées,Evolution

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1 Réponses pour “Evrim : retour d’un voyage au pays hostile à l’évolution”

  1. Allal Bedi dit :

    Cela rappelle cette histoire galiléenne connue par cette expression « E pur si muove »
    Maintenant ça serait plutôt  » Et pourtant elle évolue » s’agissant de l’humanité cette fois.