Arnaud Filoux est archéozoologue, spécialiste de la faune du sud-est asiatique
En ces temps troublés où l’église n’est pas en odeur de sainteté, il est bon de rappeler qu’à une époque pas si lointaine, 150 ans, certains hommes d’église n’avaient pas que dieu dans leur viseur et notamment un certain missionnaire lazariste originaire d’Espelette. Car si Espelette est connue pour ses piments, ce charmant village du Pays Basque l’est aussi grâce à deux grandes figures nationales qui ont déambulé dans ses rues, la première miss France (Agnès Souret) et celui qui nous intéresse un peu plus en ce 11 mars, le Père Armand David.
Mais commençons par le commencement, et plus exactement le 20 février 1862. A L’époque où Rendez-vous en terre inconnue n’était pas qu’un divertissement télé et que se rendre de l’autre côté du monde relevait d’une aventure que Mike Horn n’aurait pas refusée, le père Armand David s’embarquait à Toulon sur le Descartes pour rejoindre la Chine. Le voyage fut court, il fit escale à Alexandrie, le canal de Suez n’était pas encore achevé (il sera inauguré le 17 novembre 1869), il dut rejoindre par la terre ferme les bords de la Mer Rouge et embarqua sur le Japon pour atteindre finalement le 5 juillet 1862 Pékin.
Après une première mission dans le nord de la Chine (Mongolie orientale), il part le 26 mai 1868 pour sa deuxième mission d’exploration, cette fois-ci aux confins de la Chine, il est motivé, comme un joueur de l’équipe de France de la belle époque avant le Crunch, à en croire sa correspondance avec le futur directeur du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris (Alphonse Milne-Edwards qui décrira scientifiquement le Panda géant) : Puisque les circonstances me le permettent, je voudrais faire quelque chose de mieux pour notre France et ne pas abandonner aux Anglais seuls l’exploration scientifique de l’Extrême-Orient.
Car, bien que notre homme soit connu de quelques initiés comme ayant donné son nom notamment à un cervidé (le cerf du Père David, Elaphurus davidianus) son plus beau fait d’armes est au même niveau que celui accompli par Christophe Colomb, il « découvrit » le panda géant (Ailuropoda melanoleuca) ou plus exactement, le fit découvrir aux habitants de la vieille Europe. En effet c’est lors de son séjour à Moupin, dans la province du Sichuan, sa base arrière pour l’exploration de cette partie du Tibet, qu’il fit une de ses plus célèbres découvertes («Je crois que c’est la capture la plus précieuse que j’aie faite dans la principauté de Moupin, où ma tête avait été mise à prix par le roi du pays»), qui allait, n’ayons pas peur des mots, changer la face du monde.
Tout se passe le 11 mars 1869, au retour d’une journée d’exploration, il est invité à boire le thé dans la demeure de Monsieur Li (qui contrairement à d’autres autochtones ne voulait pas l’empoisonner). Il aperçoit accroché au mur, pour la première fois, la peau d’un ours blanc et noir dénommé Xiongmao (chat-ours) qu’il reconnaît immédiatement comme une nouveauté pour la science (on lui avait quand même indiqué auparavant qu’une bestiole blanche et noire traînait dans le coin). Il demande alors si on peut lui procurer cet animal. Il n’y avait pas encore Amazon Prime, et bien qu’on lui livrât un jeune panda le 23 mars 1869, ce qui, était assez rapide en termes de livraison pour l’époque, celui-ci était parfaitement mort. En effet les chasseurs locaux avaient abattu la pauvre bête pour faciliter son transport. Ce qui sera une constante pour acquérir un panda à cette époque, on tirait d’abord on étudiait après. Technique reprise plus tard en 1929 par les fils du Président Roosevelt (Theodore Jr. et Kermit (pas la grenouille, je sais elle est facile)) qui, comme tout bon américain, aimant les étendues sauvages et les armes à feu, furent les premiers étrangers à flinguer un panda (pour le compte du Field Museum of Natural History de Chicago) assurant sa notoriété à notre plantigrade de l’autre côté de l’Atlantique. Le premier panda vivant hors de Chine, sera quant à lui exfiltré quelques années plus tard en 1936 par Ruth Harkness en faisant passer un bébé panda pour un chien.
Mais revenons en Chine, où au final ce seront quatre dépouilles qui permettront à Armand David de décrire (2) ce nouvel ours blanc et noir (Ursus melanoleucus), qui par la suite seront envoyées au Muséum D’Histoire Naturelle de Paris et constitueront les seuls spécimens de panda géant hors de Chine (3) avant l’intervention des personnes nommées plus haut.
Est c’est à partir de là que la folie pour le panda géant est apparue, grâce à cette petite bouille toute ronde surmontée d’oreilles noires qui fait dire à tout le monde qu’il est « trooop miiiignooon » !!!!!!! Et oui, le panda géant est de nos jours une véritable star, que l’on épie à chaque instant comme une vedette de télé réalité, on monétise ses excréments (pour fabriquer du PQ et pour faire pousser du thé), on donne son nom à des voitures, on le glorifie dans des chansons et des films d’animation, …Il n’en reste pas moins, que le panda géant c’est quand même un gros glandeur accro aux bambous, plus proche d’un jeune en pleine poussée d’acné avec une libido proche du néant, que d’un super héros. Car cette créature que des milliers d’enfants idéalisent, n’est en fait qu’une erreur de la nature, un carnivore végan, maladroit malgré ses « six doigts » (son pseudo pouce est en fait l’expression du développement du sésamoïde radial), capable de faire les pires crasses à ses congénères (comme faire ses besoins sur leurs têtes), et dont l’unique fait d’arme remarquable est d’avoir attaqué un président de la république (V.G.E) ; (peut-être une idée pour les gilets jaunes, une armée de pandas). Car il faut le dire observer un panda géant en dehors des repas c’est aussi captivant que regarder une coupure pub ; le seul point commun c’est que ça rapporte un gros paquet d’argent (un million par an la location).
Si le panda géant sauvage (pas celui d’élevage qui est toujours moins bon que celui élevé en plein air, c’est comme les œufs), est maintenant confiné a quelques massifs montagneux de la Chine, il fut un temps lointain pour certains paléontologues et pas si lointain pour d’autres où les pandas vivaient jusque dans le nord de la Thaïlande (il fallait venir au Dinoblog pour en savoir plus) en harmonie avec d’autres espèces menacées aujourd’hui tel que l’orang-outan. Cette réduction de leur aire de répartition est certainement liée à des facteurs environnementaux et à l’impact des populations humaines au cours du Pléistocène et de l’Holocène. Heureusement les mesures prises par le gouvernement chinois (peine de mort pour braconnage de la bête, ça rigole pas dans l’empire du milieu), les nombreux aménagements du territoire et la réintroduction de pandas issus de centre d’élevage (qui permet d’augmenter la diversité génétique des populations isolées) ont permis d’éviter la disparition de cette espèce. Et depuis peu le panda géant est passé d’espèce en danger à espèce vulnérable sur la liste de l’IUCN (l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature). Permettant de garder le sourire pour fêter les 150 ans de sa découverte.
NB: Si vous avez bien suivi vous avez pu noter que le panda géant est nommé tour à tour Ailuropoda melanoleuca ou Ursus melanoleucus. Ces différents noms traduisent sa difficile classification à l’époque, tantôt rapproché à la famille des ours tantôt rapproché a son pseudo homonyme, le panda roux (Ailurus fulgens) qui est tout aussi mignon mais qui n’a rien à voir avec les pandas géants. L’attribution à la famille des ours étant définitivement la bonne mais il garde son nom scientifique d’Ailuropoda melanoleuca.
Références :
(1) Armand David, Notice sur quelques services rendus aux sciences naturelles par les Missionnaires de l’Extrême-Orient. (1888)
(2)Voyages en Chine fait sous les auspices de S. Exc. Le Ministre de l’instruction publique par M. L’Abbé Armand David missionnaire de la congrégation des Lazaristes, correspondant du Muséum Troisième partie. Nouvelles archives du Muséum, Bulletin 5, (1869)
(3) A. David, dans une lettre adressée à M. Oustalet, donne les renseignements suivants sur deux espèces de Mammifères de la faune chinoise: 31 réunion des naturalistes du muséum, Bulletin du Muséum d’Histoire Naturelle 7, 305-332, (1898)
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