Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Le Yéti existe !

Le 8 juillet 2014 par Jean Le Loeuff

Puisqu’il paraît que les dinosaures n’existent pas et que je ne puis décemment continuer à écrire sur des animaux qui n’existent pas je m’en vais vous causer aujourd’hui, pour changer, d’animaux qui existent vraiment. J’ai choisi le Yéti, le Bigfoot, et l’Almasty.

 

Rappelons qu’il s’agirait là de trois anthropoïdes évoluant respectivement dans l’Himalaya, le Caucase et le nord-ouest de l’Amérique du Nord. Si de nombreuses observations tendent à accréditer leur existence, il n’y a, hélas, pas le moindre reste squelettique de ces bestioles, tout au plus quelques empreintes de pas et des touffes de poils ramassées çà et là par de vaillants explorateurs. La très sérieuse revue Proceedings of the Royal Society vient justement de publier les travaux qu’une équipe internationale de généticiens a consacrés à l’analyse génétique desdits poils.  Hélas, tous sans exception se sont révélés être des poils de vaches, de chevaux, de chèvres, d’ours, de loups, etc., bref de mammifères variés que l’on s’attendait en général à trouver là où on les a trouvés. Les quelques poils de Yéti analysés sont ceux d’un saro (la chèvre sauvage locale ; il s’agit plus précisément du saro de Sumatra, Capricornis sumatraensis, répandu de cette île jusqu’au Népal) et ceux d’un ours bizarre, mais rien dans leur ADN ne se rapproche des primates. Dont acte, Yéti et compagnie n’existeraient pas non plus… Je joue décidément de malchance. Les optimistes concluront plutôt que le yéti existe bien, mais que c’est une chèvre, et parfois un ours.

 

Nos chercheurs confirment ici les résultats d’une première étude menée en 2004 qui concluait que les poils de Yéti analysés appartenaient à un Ongulé. Et comme leurs prédécesseurs de 2004 ils rendent hommage à la sagacité du Capitaine Haddock qui, a la page 26 de l’édition anglaise de Tintin au Tibet (laquelle s’intitule Tintin in Tibet, une traduction fort acceptable), s’exclame « You odd-toed ungulate !… Macrocephalic baboon !… etc. ». Rappelons le contexte : le Capitaine vient de s’apercevoir que le Yéti, dans la nuit, a subtilisé sa bouteille de whisky et l’a descendue comme un vulgaire marin d’eau douce. La moutarde lui monte au nez, et il agonit d’injure le malheureux animal. Mais a-t-il vraiment traité le Yéti d’ongulé, méritant ainsi les louanges des généticiens d’aujourd’hui pour sa clairvoyance ? La version française dément absolument cette interprétation, car voici les injures originales du Capitaine : « Macrocéphale !… Amphytrion !… Rocambole !… Ectoplasme!… Phylloxéra!… Cannibale!…On le voit, pas trace d’un ongulé et encore moins d’une chèvre dans la version française, le traducteur anglais s’est laissé aller ! Dans la case suivante Haddock éructe bien un féroce « Diplodocus !… » mais il nous semble évident qu’il ne s’agit pas ici d’un message subliminal sur la nature zoologique du Yéti, simplement de l’expression de la vive contrariété du marin.

 

Néanmoins, comme mentionné plus haut, certains des poils analysés par nos généticiens sont ceux d’un ours, différent des ours actuels et dont l’ADN est identique à celui un ours polaire (Ursus maritimus) qui vivait il y a 40000 ans au Spitzberg et aurait donc des descendants actuels dans l’Himalaya… S’il est clair qu’on ne peut attribuer au Capitaine Haddock la paternité de l’hypothèse du Yéti-ongulé, faut-il pour autant  jeter ses talents zoologiques avec, sinon l’eau du bain, du moins le whisky de la flasque ? Que nenni ! Car quelques cases plus haut, s’arrêtant devant les traces de pas du supposé Yéti dans la neige, il s’exclamait : « Allons allons !… Vous aussi vous vous laissez prendre !… Ce sont des traces d’ours, ça !... »

 

A défaut d’être le visionnaire de la zoologie que certains ont cru reconnaître en lui, le Capitaine Haddock se révèle ici comme un brillant ichnologue, et ses conclusions sont aujourd’hui confirmées par les investigations les plus récentes usant des techniques les plus modernes de la génétique. Accessoirement, on retiendra que les généticiens peuvent avoir de l’humour. Tonnerre de Brest !

 

Milinkovitch MC et al. 2004 Molecular phylogenetic analyses indicate extensive morphological convergence between the ‘yeti’ and primates. Mol. Phylogenet. Evol. 31, 1–3. (doi:10.1016/j.ympev. 2004.01.009)

 

Sykes BC, Mullis RA, Hagenmuller C, Melton TW, Sartori M. 2014. Genetic analysis of hair samples attributed to yeti, bigfoot and other anomalous primates. Proc. R. Soc. B 281: 20140161. http://dx.doi.org/10.1098/rspb.2014.0161

 

 

 

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Publié dans : Mammifères fossiles,Nouveautés

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2 Réponses pour “Le Yéti existe !”

  1. gv dit :

    Au moment des faits, il y avait sûrement du vent (on est dans l’Himalaya), l’insulte du Capitaine Haddock n’était probablement rien d’autre que celle qu’on entend couramment dans les embouteillages aux heures de pointe et qui, avec un bruit de fond ou du vent, peut être comprise comme « espèce d’ongulé ».

  2. [...] Puisqu’il paraît que les dinosaures n’existent pas et que je ne puis décemment continuer à écrire sur des animaux qui n’existent pas je m’en vais vous causer aujourd’hui, pour changer, d’animaux qui existent vraiment.  [...]