Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Quand Neandertal et d’autres faisaient caca

Le 11 septembre 2014 par Jean-Louis Hartenberger

C’est bien sûr du régime alimentaire de nos ancêtres dont je vais discourir, me fondant sur un travail récent d’archéologues bio-géochimistes (1). Leur étude porte sur l’analyse de coprolithes découverts dans les assises d’un campement de Néandertaliens du Paléolithique moyen. Le gisement est près d’Alicante en Espagne, au lieu dit El Salt, et il est étudié depuis plusieurs années. Il a pu être mis en évidence qu’en de nombreuses occasions les hommes s’y étaient installés et y avaient vécu, entre 60 000 et 45 000 ans. Parmi les restes fossiles livrés par les différentes couches de ce sol d’occupation, les chercheurs font état de la découverte de coprolithes, fèces fossiles de Néandertaliens, et des résultats des analyses bio géochimiques très sophistiquées qu’ils ont conduit en laboratoire. Ils concluent que le régime alimentaire de ces hommes fossiles était composé de viande et de végétaux, et de ce point de vue ce résultat est en accord avec d’autres travaux utilisant des approches différentes, en d’autres lieux et sur d’autres types de fossiles : stries d’usure de l’émail des dents, analyses isotopiques des ossements, etc. Ainsi ces hominidés étaient-ils omnivores. Le clou de leurs analyses est qu’elle leur permet d’avancer que les Néandertaliens, tout comme les hommes modernes, avaient un taux élevé de conversion du cholestérol en coprostanol, et ce grâce à la présence d’une flore bactérienne dans leur tube digestif capable d’assumer cette transformation.

Arrivé au bout de cette lecture que je viens de brièvement résumer, je me suis senti dans un premier temps très proche de ces Néandertaliens d’Espagne : eux aussi, comme moi, et même comme nous tous, pouvaient être confrontés à des problèmes de cholestérol si leur flore intestinale montrait quelque défaillance. Toutes celles et ceux qui ont eu à affronter des résultats d’analyse sanguine défavorables de ce point de vue me comprendront : de mauvais chiffres, et vous voici condamnés à une quasi diète, et tout ceci à cause de minuscules organismes qui ne font pas leur boulot ! Pourtant après une deuxième lecture de ce très joli travail, j’ai éprouvé quelque gêne, sans doute parce que des souvenirs de lectures et rencontres anciennes ont aiguisé mon esprit critique. Et puis une phrase du premier chapitre de l’article a attiré mon attention : «  Nous avons obtenu  la première évidence directe que le régime alimentaire des Neandertal était constitué d’animal et de végétal en nous fondant sur les bio-marqueurs  contenus dans les fèces humaines de sédiments archéologiques ». Et là m’est revenu le souvenir d’une discussion que j’eus voici plus de 40 ans avec Henri de Lumley, et d’un voyage lointain réalisé une année plus tard.

Il se trouve que comme Henri de Lumley et bien d’autres, je fréquentais dans les années 1975 le siège du CNRS au Quai Anatole France à Paris : il était le gisement de nos ressources aussi bien humaines que financières. Mais l’on y parlait aussi, et heureusement, beaucoup de science. Henry de Lumley venait de publier ses résultats sur les fouilles de la grotte du Lazaret, près de Nice. Ce site préhistorique de l’Acheuléen découvert en 1826, venait de voir s’achever un cycle de fouilles sous sa direction et un beau livre était paru. Et à côté des fossiles animaux et  humains, ces derniers jusqu’alors très rares, des outillages lithiques, des analyses de sédiments, Henry de Lumley me signala une étude originale : l’analyse des coprolithes des hommes fossiles qui avaient occupé la grotte entre 150 000 et 120 000 ans (2). L’étude avait était réalisée par Eric O. Callen, alors professeur à l’université MacGill de Montréal. C’est peut-être la teneur très scatologique de cette conversation qui a fait qu’elle s’est gravée dans ma mémoire. Et son souvenir m’en est revenu une année plus tard, lors d’une mission au Pérou, car j’ai eu l’occasion de croiser à nouveau Eric O. Callen, ou plutôt hélas sa mémoire. Je séjournais pour y prospecter dans la ville andine d’Ayacucho. Cette cité haut perchée devait acquérir quelques années plus tard une réputation plus que sulfureuse, car c’est dans son université qu’est né le terrible Sentier Lumineux. Pour l’heure c’était une bourgade tranquille, et le petit hôtel que je fréquentais était très sympathique, en particulier son patron. Celui-ci  me voyait partir chaque jour avec un marteau de géologue à la main et une boussole et une loupe au cou. Un soir il m’aborda pour me dire que je n’étais pas le premier étranger qui séjournait chez lui à faire ce métier.  Et il me parla d’Eric O. Callen ! Longtemps il avait été un client régulier de son établissement, jusqu’au jour où il était mort dans une de ses chambres, succombant à une crise cardiaque. Et il ajouta que le corps du malheureux n’avait pas pu être rapatrié dans son pays natal, l’Écosse, ou d’adoption, le Canada, et qu’il reposait dans le cimetière d’Ayacucho, tout près des derniers sites préhistoriques dont il étudiait les coprolithes. Et on l’aura compris, Eric O. Callen fut un pionnier dans ce domaine d’étude. Il se trouve que dans l’article dont je rends compte (1), sur les 49 travaux cités par les auteurs, aucune référence n’est faite aux écrits de Eric O. Callen, ou d’un seul de ses de ses nombreux élèves. Il est vrai que ces savants « modernes » ont la cuistrerie de prétendre qu’ils ont « obtenu la première évidence directe » du régime alimentaire des Néandertaliens ! Alors il me semble être un devoir d’évoquer les travaux et l’apport de ce chercheur, me  fondant d’ailleurs pour l’essentiel sur un article récent (2006) qui lui rend hommage, paru dans une revue largement diffusé (Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology), et présente dans toutes les bibliothèques scientifiques, qui n’a pas pu échapper à la perspicacité de ceux qui ont étudié le site d’El Salt (3).

La tombe de E.O Callen dans le cimetière d’Ayacucho. Cliché de Vaughn M. Bryant réalisé en 1971.

J’évoquerai d’abord les conditions de travail de Callen à Ayacucho que le patron de l’hôtel, sans doute par courtoisie et discrétion, n’avait pas cru bon de me rapporter. La chambre-laboratoire de Callen était situé au dernier étage de l’établissement : les expériences chimiques de « reconstitution » des coprolithes pré-incaïques qu’il étudiait dégageaient de telles odeurs méphitiques qu’elles auraient vidé de ses clients tout l’hôtel s’il n’avait pas habité au plus près du toit ! Ces expériences chimiques faisaient partie d’un protocole très strict que Callen avait établi pour récolter et analyser les coprolithes humains dans les différents sites archéologiques qu’il a explorés, et qui visaient à réhydrater ces fossiles. Botaniste de formation et titulaire d’un Phd obtenu à l’université d’Edinburgh, il obtint un poste de professeur à l’université MacGill pour étudier les pathologies des plantes céréalières. Et c’est par ce biais qu’il en est venu à faire des recherches archéologiques. Dans un premier temps, il étudia, associé à un collègue qui lui recherchait les parasites animaux, les contenus intestinaux de momies humaines pré incaïques. Ces populations se nourrissaient pour l’essentiel de maïs. Callen souhaitait identifier quels types de champignons pathogènes parasitaient alors le maïs ingéré, pour le comparer bien sûr aux actuels pathogènes de cette plante céréalière. Enthousiasmé par ses premiers résultats, il se prit alors de passion pour l’archéologie et à partir des années 50 entama une nouvelle carrière dans ce domaine. Ce ne fut pas sans mal, car les « vrais » archéologues ne l’accueillirent pas à bras ouverts, et ses anciens collègues biologistes le moquèrent. Pourtant il fut le premier par exemple à reconnaître l’importance et l’utilité qu’il y avait à identifier les phytolithes contenus dans les coprolithes. Ce sont des microfossiles micrométriques faits d’opale qui se forment et se minéralisent au sein des cellules végétales. Ils ont une grande valeur taxonomique car on peut déterminer grâce à eux à quelle famille de plantes ils appartiennent, voire à quelle espèce.

Phytolithes dans des cellules végétales vivantes. Cliché Gergö Persaits.

Phytolithes de maïs. Cliché Dolores Piperno. Voir les commentaires à http://www.mnh.si.edu/highlight/phytoliths/

C’est donc le régime alimentaire en végétaux des hommes fossiles ou subfossiles qui peut-être étudié grâce à eux. C’est ainsi que Callen après étude des coprolithes trouvés dans un site de la vallée de Tehuacan au Mexique, l’une des premières régions de ce continent où a été cultivé le maïs, a montré que ses habitants se nourrissaient de deux types de cactus (Opuntia et Lemairocereus).

Pour compléter ses études il collabora à compter des années 60 avec Paul S. Martin qui lui étudiait les pollens contenus dans les fossiles. Bientôt le groupe s’élargit à de nouveaux chercheurs et leurs élèves, mais ce n’est qu’après la mort d’Eric O . Callen que ce type d’étude a trouvé pignon sur rue dans l’establishment archéologique.

Il faut ajouter que pour parvenir à ces résultats somme toute remarquables, Callen n’a jamais usé de technologies et appareillages sophistiqués. Dans son labo d’Ayacucho il n’y avait que quelques produits chimiques simples, des tubes à essai et un bon microscope. Et évidemment des échantillons soigneusement numérotés et emballés dans … du papier toilette. Ce qui n’a que peu à voir avec les méthodes d’analyse automatisées et informatisées, très coûteuses, qu’aujourd’hui mettent en œuvre les chercheurs, au point que l’on se demande si la marque de fabrique du spectromètre ne devrait pas figurer à côté du nom des auteurs des publications.

Premières figurations de coprolithes de mammifères probables. Elles ont été publiées en 1835 sous la plume de William Buckland (1784-1856) qui inventa à l’occasion le terme de coprolithe, littéralement fèces de pierre. Ces spécimens proviennent du Tertiaire d’Angleterre et notre DinOblog n’est pas en reste sur le vaste sujet des coprolithes : voir ici

Je n’ai pas cru nécessaire d’illustrer ce billet par des images de coprolithes humains : à l’indice de dureté près, ils ont même aspect et couleurs qu’à l’état frais, l’odeur en moins.

Que dire en conclusion de cette évocation d’un savant du siècle précédent, si ce n’est moquer et qualifier de faquins ces chercheurs d’aujourd’hui qui veulent faire croire qu’ils ont avancé en terre vierge et qu’ils apportent des conclusions et résultats inédits. Comme le savent bien les habitués du DinOblog, l’étude des coprolithes de vertébrés a débuté voici près de deux siècles avec William Buckland, en 1829 pour être précis (voir ici). Quant aux travaux qui analysent avec précision les restes de  repas des humains et apportent des informations sur le régime alimentaire de nos ancêtres, c’est à partir des années cinquante qu’ils sont entrés dans la littérature scientifique. Et Eric O. Callen fut un pionnier dans ce domaine d’étude.

Références

1 : Sistiaga A, Mallol C, Galva´n B, Summons RE (2014) The Neanderthal Meal: A New Perspective Using Faecal Biomarkers. PLOS ONE 9(6): e101045. doi:10. 1371/journal.pone.0101045.

2 : Callen, E.O., 1969. Les coprolithes de la cabane acheuléenne du Lazaret: analyse et diagnostic. Mémoire Société Préhistorique Française, tome 7 : 123–124.

3 : Vaughn M. Bryant, Glenna W. Dean (2006). Archaeological coprolite science: The legacy of Eric O. Callen (1912–1970). Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology 237 : 51–66.

 

 

 

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Publié dans : Amérique du Sud,Coprolithe,Nouveautés

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3 Réponses pour “Quand Neandertal et d’autres faisaient caca”

  1. [...] C’est bien sûr du régime alimentaire de nos ancêtres dont je vais discourir, me fondant sur un travail récent d’archéologues bio-géochimistes (1).  [...]

  2. JFMATHOU dit :

    Sujet passionnant (sans ironie aucune) mais en quoi concerne t’il le Dinoblog?!

    • C’est que la paléontologie humaine c’est encore de la paléontologie, et le DinOblog ne se refuse rien de ce qui est paléontologique, quitte à légèrement déborder dans l’archéologie…

  3. JFMATHOU dit :

    Débordons, débordons!