Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Singes en marche, singes en grimpe. Et nos aïeux ?

Le 24 avril 2018 par Jean-Louis Hartenberger

De nos jours, les grands singes ont deux modes de locomotion : les humains se déplacent au sol droits dans leurs bottes et sont bipèdes ; les non humains sont arboricoles, bons grimpeurs, et quadrupèdes au sol. Comment se déplaçaient les ancêtres des uns et des autres ? Quel coût énergétique a la marche ? Se déplacer dans les arbres n’est-il pas au moins aussi économique ?

Ce sont des questions depuis longtemps soulevées. Elles viennent de faire l’objet d’une analyse d’une grande pertinence (1). Les auteurs ont focalisé leur étude sur une région anatomique clé  : la jonction hanche jambe. Dans un premier temps ils associent aux données morphométriques 3D du pelvis et du fémur les mesures expérimentales de cinématique et cinétique de la hanche en mouvement pendant l’action de marche et de grimpe des uns et des autres. Les données recueillies ont été collectées chez tous les hominoïdes actuels, c’est-à-dire les humains et tous les grands singes. Le but était d’évaluer les différences de dépenses énergétiques entre la marche au sol et le déplacement dans les arbres : est-il aussi  économique  de se déplacer à pied que dans les arbres ? Si oui ou non, pourquoi avoir choisi l’un ou l’autre mode. Autrement dit pourquoi certains ont fait le choix de la bipédie alors que d’autres préféraient développer leurs aptitudes au grimper.

Puis, en conclusion, Elaine Kozma et ses collègues mettent en parallèle leurs résultats avec les données anatomiques et morphométriques collectées chez des fossiles de pré-humains, en particulier les australopithèques : quel était leur mode de locomotion ? Etaient-ils marcheurs ou grimpeurs ?

Avant d’aborder le sujet, il est utile de rappeler quelques notions d’anatomie et mettre en évidence les différences entre Primates marcheurs et Primates grimpeurs par des croquis de la région pelvienne et du fémur chez l’homme et le chimpanzé. Pour l’heure, et pour faire court, on peut voir ci-dessous que les humains ont un fémur long et un bassin en papillon, alors que le fémur du chimpanzé est plus court et son bassin étiré.

Bassin d’Homo et de Chimpanzé

Elaine Kozma et ses collègues ont réalisé une comparaison morphométrique et cinématique de cette région pelvienne. Ci-dessous sur les silhouettes de l’un et l’autre, en plus de l’ossature axiale, on a ajouté des vecteurs qui matérialisent les directions de force des muscles ischio jambiers (Fm en rouge). Ils s’insèrent près du genou, sur le tibia et la fibula. Dès lors il est facile d’imaginer que la longueur et la puissance du fémur permettent de mettre en évidence par des comparaisons les aptitudes ambulatoires de tout Primate actuel ou fossile quand on dispose de cet élément osseux (2). Le symbole B (bleu) mesure la distance entre genou et centre de rotation du fémur alors que l’ angle Φ (jaune) permet de mesurer la flexion de la hanche pour ensuite apprécier la puissance mécanique relative des muscles ischio jambiers. On peut voir que cet angle Φ est ici de l’ordre 45° chez le chimpanzé dans la position accroupie qu’il adopte lorsqu’il est au sol, alors que c’est un angle plat (180°) chez l’homme qui lui est parfaitement redressé. Première question : le chimpanzé peut-il lui aussi adopter la station debout ? Pas tout à fait. Cet angle Φ chez lui ne peut pas de dépasser 160°.

Silhouette de chimpanzé et d’Homo et directions de force des muscles (d’après réf.1)

Sur des axes x y, les chercheurs ont réalisé un diagramme où sont portées les longueurs moyennes du bassin et du fémur relevées chez tous les singes arboricoles de l’Ancien et du Nouveau Monde ainsi que chez les humains. Puis ils ont surajouté les valeurs relevées chez plusieurs hominidés fossiles parmi les plus anciens, dont des australopithèques.

Rapport longueur du bassin/ longueur du fémur
Points rouges : humains
Points noirs : grands singes, ; bleus catarhinien ; platyrrhiniens verts.
Ekembo nyanzae croix vertes ; Ardipithecus croix marrons ; Australopithecus afarensis croix oranges ; Australopithecus africanus croix jaunes (d’après réf.1).

Quelles conclusions tirer de ce schéma :

  1. Pour les singes arboricoles, le coefficient de corrélation entre ces deux valeurs est très élevé (R = 0.89 )
  2. Il est faible pour les humains (R = 0.12)

Ainsi est-il montré que les mensurations bassin/fémur relevées chez les singes arboricoles sont très contraintes : grimper implique la possession de proportions bassin/fémur bien définies. A l’inverse, l’aptitude à la marche constatée chez les humains suppose des qualités et d’autres proportions anatomiques de cette région. Pour approfondir la question, les chercheurs se servent d’un indice qu’ils dénomment « avantage mécanique hors dimension » (DMA). Son calcul met en évidence que le fait que l’angle de flexion bassin/jambe est différent chez les grands singes et les humains a pour conséquence que la marche pour les grands singes est un exercice malaisé au cours duquel les différents muscles de cette région sont sollicités, voire contractés. Dès lors son coût énergétique est élevé. A l’inverse, le bassin plus court des humains autorise l’extension et la détente de ces mêmes muscles. Pendant la marche, ils sont quasi au repos. Ainsi le coût énergétique du mode de locomotion d’un bipède au sol est-il peu élevé et ce grâce aux proportions de son bassin.

Mais au fait, comment se déplaçait Lucy et quelques autres de nos ancêtres australopithèques? A pied ou dans les arbres ? Que nous dit l’anatomie de leur région pelvienne et de leur fémur ? Se fondant sur les études précédentes et en utilisant les données morphométriques disponibles chez les fossiles, ils montrent que ces grands aïeux étaient tout aussi à l’aise au sol que perchés ! Les rapports DMA/angle Φ (orientation du bassin) relevés chez Ardipithecus et les australopithèques sont très comparables à ceux constatés chez les humains, et éloignés de ceux des chimpanzés.

A : Avantage mécanique hors dimension (DMA) / orientation du bassin (angle Φ)
Homo : rose ; Chimpanzé : gris ; Ardipithecus : brun ; Australopithecus afarensis : orange ; Aus. Africanus : jaune.
B : Les positions possibles de la colonne vertébrale et du bassin pour stabiliser le tronc dans la position bipède. A gauche la limite antérieure des fessiers à la verticale repose sur l’acetabulum (4) et à droite sur sa limite postérieure (d’après réf.1).

Il faut en conclure que le spectre des adaptations ambulatoires que révèle l’anatomie des Ardipithecus et des Australopithèques qui vivaient entre 4.4 à 2 ma était plus vaste que celui et de leurs successeurs les humains et des grands singes d’aujourd’hui: ils ne pouvaient se déplacer aussi facilement et rapidement à terre que dans les arbres.

D’ailleurs on se souvient que dès 2009, Owen Lovejoy et ses collègues qui ont étudié de près Ardipithecus ramidus – plus de 35 individus ! – ont suggéré que cet ancêtre de 4.4 ma possédait une double adaptation locomotrice (3). Pour preuve, entre autres, la reconstitution du bassin de cet australopithèque qui ressemble plus à celui d’un humain que d’un chimpanzé. Et puis l’anatomie du pied dont le pouce est très robuste et montre qu’à la fois il pouvait s’agripper avec force aux branches, et qu’au sol la stabilité d’Ardipithecus dressé ne pouvait guère être mise en défaut. Mais sans doute aurait-il eu des difficultés à trouver chaussure à son pied, du moins au sens littéral ! Ainsi Ardipithecus était-il un vagabond à double compétence, tout aussi à l’aise au sol que perché dans les ramées. Quant à son régime alimentaire il était de fruits, feuilles, insectes et racines. Et ce sont les restes de 35 individus qui nous racontent les goûts et mœurs de ce grand singe du passé qui vécut dans les régions boisées qui couvraient au Pliocène une partie de l’Ethiopie et de la Tanzanie.

Bassin et pied d’Ardipithecus (d’après réf.3)

Ainsi la plupart de ses cousins australopithèques plus anciens et plus jeunes ont été longtemps tout aussi capables que lui de courir comme des dératés au travers des taillis et sylves d’alors, tout comme d’un bond ils savaient gagner le haut des arbres et s’y déplacer avec aisance, soit pour cueillir des fruits, soit pour se garder de quelque carnivore affamé. Leur descendance a abandonné la grimpe et n’a retenu que la marche comme moyen de locomotion. Il est possible et même probable que la raréfaction des forêts, leur éclaircissement après des à-coup climatiques soient à l’origine de ce schisme devenu la norme. Sur le sujet les spéculations peuvent aller bon train. Ce qui est certain en revanche est que c’est en usant du verbe grimper dans sa forme transitive que ses transformations sont peu à peu apparu au fil des générations. Et aujourd’hui c’est en chanson que nous préférons tous la marche à pied : https://www.youtube.com/watch?v=i-S83GJKH5k

Références :

(1) Elaine E. Kozma et al, 2018. Hip extensor mechanics and the evolution of walking and climbing capabilities in humans, apes, and fossil hominins, ». PNAS April 2, 2018. 201715120; published ahead of print April 2, 2018. 

https://doi.org/10.1073/pnas.1715120115

(2) Sauf si l’on est poitevin : http://www.dinosauria.org/blog/2018/02/13/toumai-aie-aie-aie-triste-histoire-dun-femur-indigne/

3) Lovejoy C.O., Suwa G., SpurlockL, Asfaw B., White T.D.. 2009. The pelvis and the femur of Ardipithecus ramidus : the emergence of upright walking. Science, 326.

4) L’acetabulum de la hanche est la cavité où se loge la tête du fémur.

 

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Publié dans : Dinoblog,Evolution,Nouveautés

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