Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

C’est dans l’île Seymour, à la pointe occidentale du continent Antarctique que l’on vient de découvrir dans des dépôts éocènes les restes d’un animal à sang froid, une grenouille. Et pas n’importe laquelle : elle est apparentée à une famille d’amphibiens d’Amérique du Sud au crâne casqué et parmi les plus charnues : plus d’un kilo (1). Elle ne vivait pas seule dans ces contrées alors tempérées et verdoyantes : des mammifères de toutes tailles la côtoyaient, et peut-être s’en régalaient.

C’est en 1982 qu’une première expédition paléontologique mit au jour des restes de mammifères terrestres dans les dépôts éocènes de l’île Seymour en Antarctique (2). Cette première découverte révéla la présence d’un marsupial arboricole très commun plus au Nord, dans les dépôts du Paléogène de Patagonie. Elle corroborait dans le même temps les hypothèses forgées par les géophysiciens : à l’Eocène moyen, l’extrémité du continent Antarctique était proche de la pointe australe du continent sud-américain, ce qui rendait les échanges possibles entre faunes terrestres des deux continents. Dès lors il était aussi démontré que la calotte glaciaire qui aujourd’hui enserre le continent Antarctique s’était formée plus tardivement.

Situation géographique de l’ile de Seymour, sa carte géologique et la colonne stratigraphique de la Meseta Formation où est situé le gisement * de la grenouille. Ref. 1

Depuis, les découvertes se sont succédée dans ces terres aujourd’hui désolées, et une séquence stratigraphique de l’île Seymour a révélé une succession de gisements à plantes, invertébrés et vertébrés terrestres dont l’extension temporelle s’étend du Paléocène jusqu’au début de l’Oligocène.

Si aujourd’hui la découverte d’une grenouille fossile de plus de quarante millions d’années dans ces lieux fait la une de bien des revues c’est d’abord par son appartenance : on peut la rattacher à une famille endémique de batraciens aujourd’hui cantonnés aux forêts de l’extrême sud du Chili, les Calyptocéphallidés. Elle a acquis une certaine célébrité grâce à deux qualités :

  1. Des plaques osseuses dermiques renforcent la voûte crânienne de ces grenouilles et crapauds constituant un véritable casque.

  2. Certaines espèces actuelles pèsent près d’un kilo, et on a même signalé un crapaud fossile géant de près de 3 kilos dans l’Eocène du Chili, ce qui en fait l’amphibien anoure le plus gros jamais répertorié, sans pour autant qu’il puisse atteindre la taille d’un boeuf (3).

La figure suivante situe l’île Seymour et les continents australs dans la paléogéographie de l’Eocène. Le continent Antarctique est alors morcelé ; l’île Seymour est proche de la pointe sud du continent sud-américain et sa latitude voisine 60° Sud. L’actuel passage de Drake n’est encore qu’un étroit bras de mer, et seulement quelques milles marins séparent l’île de l’Amérique du Sud.

Paléogéographie de l’Antarctique. La grenouille dans son environnement (Réf. 1).

Une reconstitution du paysage, due à Pollyanna von Knorring (Musée National d’Histoire Naturelle de Suède), montre la grenouille casquée trônant sur un nénuphar dans une mare proche d’une forêt où dominent les hêtres australs (Nothofagus). Ces arbres sont fréquents aujourd’hui dans les forêts du Chili et de l’extrême sud de la Patagonie en Argentine.

Comme on peut le voir sur la figure 1, les couches de sédiments de la Meseta Formation qui ont livré ce fossile sont dénommées « Cucullaea 1 ». Cette appellation fait référence à la fréquence des coquilles du bivalves cordiformes Cucullaea que l’on trouve dans ce dépôt sableux d’origine estuarien riche en fossiles. On a pu y récolter outre d’autres invertébrés marins – nautiles, crabes, lamellibranches – des restes de végétaux et de mammifères fossiles du même âge que la déjà célèbre grenouille.

Pour les végétaux, outre les Nothofagus, on a identifié des Lauracees, des Dilleniacées, des Myricacées, des Myrtacées et des Grossulariacées. Hors les Lauracées, ces familles sont typiques des flores sud-américaines. On peut déduire de leur présence et surtout de leur forme et des découpures de leur feuillage qu’il régnait alors dans ces lieux un climat tempéré à froid et assez humide, avec une température médiane annuelle de 11° à 13°. Les saisons les plus humides étaient le printemps et l’été.

La faune de mammifères la mieux documentée qui hantait ces futaies et les rivages de cet estuaire provient d’un niveau de la section Cucullaea I proche de celui qui a livré la grenouille casquée. Les découvreurs de cette dernière la datent d’environ 40 millions d’années. Mais une révision récente de la faune de mammifères et de sa position stratigraphique propose un âge géologique et radiométrique pour ce niveau plus ancien : proche de la limite Yprésien-Lutétien, soit 49 ma (4).

Le plus important réside dans la composition de cette faune qui montre qu’elle est indubitablement d’origine sud américaine, très proche de celle que le Paléogène de Patagonie a révélé, encore qu’elle apparaît relativement moins diverse, presque appauvrie par rapport à celles-ci.

Une reconstitution du paysage végétal et animal d’alors a été proposé voici quelques années (5). Proches du rivage de cet estuaire aux eaux saumâtres, en lisière d’une forêt d’araucarias (14) et de hêtres australs (15), déambulent un ongulé Astrapothère de la taille d’un sanglier (1), un Liptoterne tapiroïde (9), deux espèces de manchots (2, 3), un marsupial arboricole (5), un oiseau coureur (9) et un rapace (13), un paresseux (12) et un gondwanothère de la taille d’un blaireau (4). Ce dernier, et un Dryolestidé plus récemment découvert, sont un reliquat de la faune mammalienne du Secondaire qui a vécu sur les continents du sud alors réunis (Amérique du Sud, Afrique, Madagascar). Ils s’éteignent à la fin de l’Eocène. Pour les autres ce sont soit des Marsupiaux typiques de l’Amérique du Sud, soit des Placentaires qui le sont tout autant : ils ont vu le jour sur le contient sud-américain et y ont prospéré pendant tout le Tertiaire profitant de son « splendide isolement ». Astrapothères et Liptoternes font partie de ce cortège d’herbivores qui longtemps hanta les pampas, et acquis des adaptations pour la course et pour le broyage des aliments qui imitent celles des artiodactyles et périssodactyles des continents du septentrion…mais sans le savoir !

Flores et faunes de la Meseta Formation de l’ile Seymour à l’Eocène moyen (Réf. 5).

Bien évidemment les recherches se poursuivent et les paléontologues espèrent de nouvelles trouvailles. D’autant qu’ils ont encore en réserve parmi leurs découvertes plusieurs dents de mammifères aux affinités phylogénétiques incertaines. Pour l’heure trois conclusions s’imposent :

(1) Dès le Jurassique, les terres de l’Antarctique ont accueilli des mammifères du Gondwana. (3) Les échanges se sont poursuivis avec l’Amérique du Sud au moins jusqu’à la fin du Palaeogène.(4) Il est tout aussi évident que nous n’avons aujourd’hui qu’un aperçu de la diversité des faunes qui ont prospéré alors dans cette région du globe, devenu depuis un lieu guère hospitalier pour tous les mammifères terrestres, y compris les paléontologues.

L’ile Seymour à la belle saison. Photo Federico Dérange , Jonas Hagstromm/Swedish Museum of Naturale History.

Références :

(1) Thomas Mörs et al. 2020. First fossil frog from Antarctica: implications for Eocene high latitude climate conditions and Gondwanan cosmopolitanism of Australobatrachia. Nature.com/Scientific reports(2020) 10:5051 | https://doi.org/10.1038/s41598-020-61973-5

(2)Woodburne, M. O. & Zinsmeister, W. J. Fossil land mammal from Antarctica. Science 218, 284–286 (1982)

(3) Rodrigo A.Oteroa et al. 2014. Evidence of a giant helmeted frog (Australobatrachia, Calyptocephalellidae) from Eocene levels of the Magallanes Basin, southernmost Chile. Journal of South American Earth Sciences. 55 :133-140. https://doi.org/10.1016/j.jsames.2014.06.010

(4) J.N. Gelfo et al. 2019 The fossil record of Antarctic land mammals : commented review and hypotheses of future research. Advances in Polar Science, 30 :274-292. doi: 10.13679/j.advps.2019.0021

(5) Marcelo A. Reguero et al. 2002. Antarctica peninsula and South America (Patagonia) Paleogene terrestrial faunas and environments : biogeographic relationships. Pal. Pal. Pal. 179,: 189-210. https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0031018201004175?via%3Dihub

 

 

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Publié dans : Nouveautés

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