Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Les crottes magiques de Chaiyaphum

Le 27 septembre 2012 par Jean Le Loeuff

Les coprolithes de vertébrés sont des fossiles assez peu étudiés, bien qu’identifiés par William Buckland dès 1829 dans un célèbre article. On a aussi oublié depuis longtemps qu’ils furent très recherchés pour leur teneur en phosphate et utilisés pendant des décennies comme fertilisants agricoles, mais ces considérations nous éloignent de notre billet du jour, consacré à un usage radicalement différent de ces paléocrottes. Les coprolithes sont en effet des excréments fossilisés, ou parfois le contenu fossilisé de l’intestin d’un animal (on parle alors de cololithe, la nuance étant que l’objet n’a pas dans ce cas été excrété du vivant de l’animal). En fonction de leur morphologie, on peut parfois rapporter ces fossiles à un groupe d’animaux ; c’est ainsi que les coprolithes spiralés sont produits par les heureux possesseurs d’une valvule spirale dans l’intestin qui moule si joliment leurs fèces, c’est-à-dire les requins et certains autres poissons.

Quelques coprolithes de Chaiyaphum (dessin de Thanit Matkhammee)

Après cette courte présentation de notre sujet d’étude, cap sur le nord-est de la Thaïlande et la belle province de Chaiyaphum. Le Wat Tum Wiman Nakin est un petit temple de campagne, niché au pied d’une colline calcaire. Comme beaucoup de temples bouddhistes, le Wat Tum Wiman Nakin abrite quelques vitrines remplies de curiosités d’histoire naturelle ou d’artefacts archéologiques rapportés par les fidèles. Ici la spécialité ce sont les coprolithes, avec plusieurs vitrines remplies de ces curieux objets. Les environs contiennent quelques affleurements intéressants de la Formation Huai Hin Lat, une unité géologique qui date de la fin du Trias. L’on y a notamment découvert des restes de poissons et de phytosaures, et les coprolithes sont particulièrement abondants dans ces dépôts.

Wat Tum Wiman Nakin

Une vitrine du temple

En 2011 Chalida Laojumpon et Thanit Mathkammee, deux étudiants de Varavudh Suteethorn à l’Université de Maha Sarakham, ont entrepris l’étude de ces objets avec l’aide de l’auteur de ces lignes. Ils ont décrit plusieurs types de coprolithes, et notamment des coprolithes spiralés des ichnogenres Liassocopros et Saurocopros, caractéristiques de la fin du Trias et du début du Jurassique.

Varavudh Suteethorn examine des coprolithes ; le chat examine Varavudh (photo S. Suteethorn)

Ces coprolithes ont probablement été produits par des requins du groupe des hybodontes. En nous rendant sur place en 2011, nous avons pu découvrir de nouveaux restes de poissons à la grande joie de notre DinOblogueur Lionel Cavin et de nombreux coprolithes. Nous avons aussi mieux compris, avec l’aide de Chalida, un autre usage tout à fait inattendu de ces fossiles. Chalida, pour nous remettre de nos aventures dans la jungle environnante, nous a présenté Oncle Nares, un solide villageois bardé d’amulettes.

Avant de partir sur le terrain, il n’est pas interdit d’étudier la carte

Un des gisements de coprolithes

Grâce à Nares, nous savons appris que les coprolithes sont appelés « Duk Dae Hin », c’est-à-dire « pupes en pierre », et que les coprolithes spiralés connaissent un destin surprenant : les spécimens les mieux conservés sont en effet montés en amulettes, pour une utilisation à la fois thérapeutique et magique. Porter ce type d’amulette éloigne en effet les balles aussi bien que les fantômes, et elles sont donc très recherchées par les catégories de la population susceptible d’être menacées par ces entités, comme les policiers, les militaires ou… les acteurs ! Elles sont aussi supposées avoir des propriétés médicales : un peu de poudre de coprolithe mélangée à du jus de citron, en application sur une morsure de serpent ou d’insecte, permettrait une rapide guérison ! La région étant infestée de cobras royaux, ce dont Lionel Cavin peut attester puisqu’un de ces animaux lui échappa de justesse à quelques encablures du temple, on espère pour nos amis de Chaiyaphum qu’il y a d’autres pharmacopées disponibles…

Oncle Nares et ses amulettes

Chalida et Nares : on peut aussi porter des coprolites en boucles d’oreilles, mais c’est un peu lourd.

Ces propriétés antipoison des coprolithes ne peuvent qu’évoquer les fameux bézoards de nos aïeux, ces concrétions formées dans l’estomac de certaines chèvres sauvages qui étaient jadis vendues à prix d’or aux puissants de ce monde pour se protéger des empoisonnements (la posologie était semblable à celle en usage à Chaiyaphum). Hélas les premières expériences scientifiques d’Ambroise Paré sur leur réelle efficacité tournèrent au désastre (le condamné à mort auquel Ambroise avait administré successivement un poison mortel et de la poudre de bézoard mourut dans d’atroces souffrances), et les bézoards furent peu à peu relégués aux oubliettes de la pharmacie. Jusqu’au XVIIIe siècle encore, les officines européennes vendaient toutes sortes d’objets appelés bézoards, dont la nature exacte est méconnue (il semble que de nombreux objets recevaient cette dénomination, dont toutes sortes de concrétions d’origine animale mais aussi des objets minéraux). Et pour en revenir à l’article de Buckland évoqué au début de ce billet, il est troublant que le nom vernaculaire donné par les habitants du Dorset à ce que Buckland allait nommer « coprolithe » fût, justement, « Bezoar stone » ! Ces objets étaient-ils réellement utilisés comme des « bézoards du pauvre » dans l’Angleterre du début du XIXe siècle ? Avons-nous découvert à Chaiyaphum une survivance orientale de l’ancien bézoard ?

Il y a aussi de vrais cobras près de Wat Tum Wiman Nakin mais la photo de Lionel était floue, alors…

Voici deux amusantes questions pour l’instant sans réponse, aux confins de la paléontologie et plus précisément  d’un champ peu défriché, celui de l’ethnopaléontologie pour franciser le néologisme du chercheur catalan Heracli Astudillo-Pombo. Si les lecteurs du DinOblog ont quelques lumières à m’apporter sur ces graves questions, qu’ils n’hésitent pas !

Une partie de l’équipe

Références :

William Buckland. 1829. On the Discovery of Coprolites, or Fossil Faeces, in the Lias at Lyme Regis, and in other Formations: Journal of the Geological Society, London, v. 3, p. 223–236.

Chalida Laojumpon, Thanit Matkhammee, Athiwat Wathanapitaksakul, Varavudh Suteethorn, Komsorn Lauprasert, Paladej Srisuk & J. Le Loeuff. (sous presse). Preliminary report of coprolites from the Late Triassic of Thailand. In HUNT, A.P. et al. (eds) Vertebrate coprolites. New Mexico Museum of Natural History and Science Bulletin.

Jean Le Loeuff, Chalida Laojumpon, Suravech Suteethorn& Varavudh Suteethorn. 2012. Magic fossils – on the use of Triassic coprolites as talismans and medicine in South East Asia. Fundamental, 20, 123-125.

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Publié dans : Coprolithe,Paléoichnologie,Poissons fossiles

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2 Réponses pour “Les crottes magiques de Chaiyaphum”

  1. Astu dit :

    Salut!

    Sur notre continent il y a des cas de fossiles avec des propriétés similaires, donc dans certaines régions de France, de l’Espagne et de toute l’Europe, les rostres pointus de bélemnites, étaient appelés « Pierres de foudre », par leur prétendue origine météorologique.
    Au cours de la guerre du1914-18, des soldats français provenant des zones rurales, pendant les combats avaient une « pierre de foudre », parce qu’on croyait que attachée au cou, les protégerait des balles allemandes.
    On peut supposer que certains de ces amulettes, dévie-balles ou pare-balles, étaient bélemnites…

    Par ailleurs un autre cas bien connu des paléontologues, c’est que des dents de requins fossiles, de différentes espèces et de diverses âges géologiques, appelés, classiquement, « glossopetrae » et populairement, « langues de saint Paul », « pierres de saint Paul », « langues de serpent », « langues pétrifiées », « pierres de langue », « langues de Malte », etc. Elles ont été considérés comme des objets magiques, pour sa capacité à détecter et à neutraliser les poisons cachés dans les aliments et les boissons.
    Pour cette raison, ce type de fossiles, n’ont manqué aux tables de l’aristocratie, civile et religieuse, toujours menacé et effrayé de mourir par empoisonnement des mort par empoisonnement, par de concurrents pour leur trône, nobiliaire ou ecclésiastique.

  2. Astu dit :

    Et un peu plus…

    La croyance non fondée, dans les pouvoirs de protectión de certaines pierres, fossiles et minéraux, par leur capacité de prévention et / ou de guérison, puis utilisés comme prevention (amulettes protecteurs et talismans defensivs) ou comme médicaments (lithothérapie), est une croyance et coutume qui est caractéristique des sociétés primitives, animistes ou de certains groupes modernes, aven une mentalité intuitive, non scientifique et très irrationaliste. Cettes vieilles croyances litholatriques, sont résistants au passage du temps historique et au processus de l’éducation de base, et parfois supérieure, mettant en évidence l’existence d’une mentalité magique qui joue des éléments naturels, comme roches, minéraux ou fossiles, par leurs formes extravagantes et leur origine inconnu ou incompréhensible, comme des éléments merveilleux, d’origine surnaturelle et, à cette cause, chargés de pouvoirs magiques et de vertus extraordinaires.

    Dans ce cas, particulier, les coprolites, c-à-d. les fossiles, rassemblen des pupes en pierre, ça c’est interpreté comme un fait merveilleux…la petrification d’un animal!
    Beaucoup des gens qui vivent en plein contact avec la nature, ont observé la merveilleuse transformation, peut-être magique?, de la chenille, un animal rampant, grossier et répugnant, en pupe, un animal paralysé, apparemment mort, qui, après d’un temps, paralysé ou mort, ressuscité transformé en papillon, un animal délicat, volant et, parfois, avec des formes surprenantes et des beaux couleurs.
    Dans les cultures primitives, les propriétés réelles de produits naturels sont découvertes par essai et erreur, c’est de manière empirique qu’ont pu découvrir l’usage médicinal des pupes de certaines espèces de papillons … Pour une mentalité magique est légitimes d’échanger certaines propriétés entre des objets de nature très différente, mais de formes très similaires….

    Aujourd’hui nous savons, scientifiquement, que certaines chenilles et papillons sont toxiques et, également, nous savons que beaucoup de poisons, à petites doses, peuvent être utilisés comme médicaments ou que petites doses de poison peuvent être utilisés pour désensibiliser contre certaines infections et intoxications….et, aussi que les fossiles non vraiment, pas capacité curative ou thérapeutique, sauf dans les cas des maladies psychosomatiques