Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Depuis que je suis gamin, j’entends dire que les mammifères mésozoïques ont vécu dans l’ombre des dinosaures. C’est vrai que les dinosaures sont généralement du genre balèze mais, ma bonne dame, imaginez un peu la taille de l’ombre d’un dinosaure ! Au petit matin, elle était certainement suffisamment grande pour pouvoir abriter toute une ménagerie de bêtes à poils. Qu’on ait pu y faire tenir tout le zoo de Vincennes ou non, ce qui est sûr en revanche c’est que pas mal d’idées reçues se sont logées dans ces zones d’ombre dinosauriennes … Alors, les mammifères mésozoïques ont-ils jamais vu la couleur du jour ou bien ont-ils été condamnés à un long séjour à l’ombre des sauriens ? Deux récentes études ont permis à ces mammifères de seconde zone (ou devrais-je dire de seconde aire) de sortir de l’ombre des terribles lézards.

Dans l’ombre de dinosaures. Copyright GraphicMaster

Si tout bon dinosaure se doit d’être grand et féroce, le prototype du mammifère mésozoïque lui se doit d’être minuscule et craintif. Apparemment, le must même pour un mammifère mésozoïque serait de ressembler grossièrement à une musaraigne. Seule ombre au tableau, les deux dernières décennies ont vu leur lot de découvertes mammaliennes retentissantes. On sait désormais que les mammifères qui côtoyaient les dinosaures étaient plutôt diversifiés en taille comme en forme, avec des espèces aquatiques (Castorocauda), fouisseuses (Fruitafossor) et planeuses (Volaticotherium).

Une équipe américaine de l’Université de Stony Brook (New York) vient de publier la description d’un fossile exceptionnel : le premier crâne complet de gondwanathère. C’est peut-être un détail pour vous mais pour un paléomammalogiste ça veut dire beaucoup. Les gondwanathères n’étaient jusqu’alors connus que par des restes dentaires très fragmentaires retrouvés en Amérique du Sud, Afrique, Antarctique, Inde et Madagascar. Cette découverte a été faite un peu par hasard puisque ce crâne a été dégagé au laboratoire dans un bloc qui n’était supposé contenir que des restes de poissons (c’est généralement l’inverse en paléomammalogie on trouve souvent du poisson là où on cherche des mammifères). Le nouveau gondwanathère a été découvert à Madagascar dans des terrains datés d’environ 70 millions d’années ; il répond au doux nom de Vintana qui signifie chance en malgache. Pour un paléomammalogiste, découvrir ce crâne c’était un peu comme pour un astronome de découvrir les premières images de la comète Tchouri envoyées par Philae. Et la surprise fut effectivement de taille car Vintana est loin de ressembler à une musaraigne. Il devait peser environ 9 kg et son crâne présente une association de caractères totalement inédite pour un mammifère de cet âge. Grâce à lui, on sait désormais que les gondwanathères étaient vraisemblablement des proches parents des multituberculés, un groupe de mammifères fossiles aux allures de rongeurs qui a vécu depuis le Jurassique (160 millions d’années) jusqu’à l’Oligocène (35 millions d’années)

Le crâne de Vintana en cours de préparation. Copyright Joseph Groenke

Le crâne de Vintana dégagé et sa reconstitution. Copyright Joseph Groenke et Gary Staab, Staab studios

Autre idée reçue balayée par une découverte de la cuvée 2014, l’image d’Épinal prévoit que tous les mammifères mésozoïques étaient insectivores et  mangeaient globalement la même chose, en gros les miettes que ces goinfres de dinosaures voulaient bien leur laisser. Une équipe anglaise vient d’écorner quelque peu cette image en analysant certaines particularités anatomiques de Morganucodon et Kuehneotherium, deux mammifères qui vivaient il y a environ 200 millions d’années et qui correspondent au prototype de la musaraigne mésozoïque. En étudiant la biomécanique de leur mâchoire et leurs micro-usures dentaires (marques laissées à la surface des dents par le bol alimentaire), cette équipe a pu montrer que Morganucodon et Kuehneotherium avaient des régimes alimentaires bien différents. Morganucodon pouvaient mordre plus fort mais moins vite que son cousin Kuehneotherium, et ses mandibules semblaient pouvoir mieux résister aux forces de pressions. En comparant les patrons de micro-usures dentaires observés chez ces formes mésozoïques à ceux des chauve-souris actuelles, il apparait que Morganucodon devait se nourrir préférentiellement d’insectes durs (des scarabées par exemple) tandis que Kuehneotherium devait plutôt se délecter d’insectes mous (mites). Il semble donc que ces mammifères étaient loin d’être les formes généralistes tant décrites dans la littérature et qu’ils ont au contraire montré une certaine forme de spécialisation écologique très tôt au cours de leur histoire évolutive.

Position phylogénétique de Vintana. Copyright Nature

Analyses biomécaniques sur la mandibule de Morganucodon (a,c) et Kuehneotherium (b,d). Copyright Nature

Il n’y a pas de lumière sans ombre. Face au succès des dinosaures, les mammifères ont dû rivaliser d’ingéniosité et ces deux études nous démontrent que le meilleur reste à venir en matière de découvertes mammaliennes. Cela ne fait plus l’ombre d’un doute pour moi désormais, les mammifères mésozoïques ont fait bien mieux que de survivre dans l’ombre des dinosaures. Ils ont peut-être même fini par leur faire de l’ombre. J’entends déjà chanter un d’ces loubards de dinosaures qui, jaloux de la dégaine de ces marioles à poils, a continué de traumatiser des générations de mammifs :

Et j’ui ai dit : toi tu m’fous les glandes

Pi t’as rien à foutre dans mon monde

Arrache toi d’ là t’es pas d’ ma bande

Casse toi poilu

Et marche à l’ombre.

Tintintin

 

Références

Gill P, Purnell M, Crumpton N, Brown K, Gostling N, Stampanoni M, Rayfield E. 2014. Dietary specializations and diversity in feeding ecology of the earliest stem mammals. Nature. 512: 303-307. doi: 10.1038/nature13622.

Krause DW, Hoffmann S, Wible JR, Kirk EC, Schultz JA, von Koenigswald W, Groenke JR, Rossie JB, O’Connor PM, Seiffert ER, Dumont ER, Holloway WL, Rogers RR, Rahantarisoa LJ, Kemp AD, Andriamialison H. First cranial remains of a gondwanatherian mammal reveal remarkable mosaicism. Nature, 2014; DOI: 10.1038/nature13922.

Séchan R. 1980. Marche à l’ombre. https://www.youtube.com/watch?v=JwRgjbpoiww

 

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Publié dans : Afrique,Nouveautés

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6 Réponses pour “Dans la part d’ombre des dinosaures, des mammifères mésozoïques pas si secondaires …”

  1. Mazan dit :

    Ces articles sont toujours bien écrits… et drôles.
    Pouce levé.

  2. [...] Depuis que je suis gamin, j’entends dire que les mammifères mésozoïques ont vécu dans l’ombre des dinosaures. C’est vrai que les dinosaures sont généralement du genre balèze mais, ma bonne dame, imaginez un peu la taille de l’ombre d’un dinosaure !  [...]

  3. Abramis dit :

    Merci encore pour ce billet de la même veine que bien des précédents : drôle et intéressant. Mention spéciale pour celui sur le Jaggermeryx !!!

  4. MRR dit :

    Cool, merci pour le résumé pour non paléontologues.

    Puis-je faire remarquer que des modèles d’évolution et des données moléculaires ont déjà prédit des mammifères crétacés (donc mesozoiques) assez gros ?

    http://toutsepassecommesi.cafe-sciences.org/2013/01/18/pas-si-petits-les-mammiferes-du-temps-des-dinosaures/

    • Lionel Hautier dit :

      C’est toujours un plaisir de citer des travaux de personnes qui travaillent à l’Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier ! Effectivement, Romiguier et al. en 2013 ont prédit, sur la base de données moléculaires, une taille assez grosse pour les plus anciens placentaires (ce qui ne correspond qu’à une partie de la diversité mammalienne de l’époque).

      Romiguier J., Ranwez V., Douzery E.J.P., Galtier N. 2013 Genomic evidence for large, long-lived ancestors to placental mammals. Molecular Biology and Evolution.
      http://mbe.oxfordjournals.org/content/30/1/5.abstract

  5. lamouline dit :

    Dans ce genre d’article, le sens de l’humour et le (léger)persiflage de l’auteur est très appréciable.Roger.