Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Glyptodon : t’as tout d’un tatou ?

Le 23 février 2016 par Lionel Hautier

Le glyptodon est aux mammifères ce que la tortue est aux reptiles : un véritable tank sur pattes. Les glyptodons sont des membres incontournables de la mégafaune sud américaine qui se sont éteints à la fin du dernier âge glaciaire, il y a moins de 10.000 ans. Une nouvelle étude parue dans la revue Current Biology vient de bouleverser notre vision de l’histoire évolutive de ces géants cuirassés.

Au cours de l’expédition du Beagle, Darwin en personne collecta quelques fragments de carapace de glyptodons qui furent un temps et à tort attribués à un paresseux géant. Très tôt, dès la fin des années 1830, les caractères spectaculaires des glyptodons ont permit de les rapprocher d’un autre groupe de mammifères à cuirasse : les tatous, seuls mammifères du nouveau monde qui possèdent une armure complète. Ces derniers se distinguent toutefois des glyptodons par la présence de bandes mobiles sur leur carapace, des bandes très utilisées en systématique pour classer les tatous en différents groupes ou bandes… Pourtant, face aux nombreuses différences morphologiques qui existent entre les tatous et les glyptodons, la plupart des paléontologues s’accordaient pour penser que ces deux groupes devaient avoir divergé très tôt au cours de leur histoire évolutive. D’ailleurs, quelques fossiles retrouvés dans le site brésilien d’Itaborai faisaient remonter l’origine des glyptodons à près de 60 millions d’années, c’est à dire bien avant que les familles actuelles de tatous apparaissent dans le registre fossile sud américain. L’attribution de ces restes au groupe des glyptodons était toutefois largement contestée. Autre problème, si le registre fossile des glyptodons est relativement complet, c’est loin d’être le cas pour celui de ses plus proches parents présumés, les tatous.

Reconstruction artistique d’un combat entre Doedicurus mâles – © Peter Schouten.

Face à ce manque de consensus, il fallait pouvoir utiliser une nouvelle méthode. Là où il y a encore quelques années associer ADN et glyptodon dans la même phrase relevait du simple fantasme, les progrès réalisés par de nouvelles techniques moléculaires sur l’ADN ancien ont désormais de quoi faire rêver bien des paléomammalogistes. Une équipe composée de chercheurs français, canadiens, argentins et américains s’est proposée de relever l’incroyable défi de retrouver de l’ADN de glyptodons. La tâche restait toutefois délicate et plusieurs conditions ont été requises pour réaliser un tel exploit. Bien entendu, il fallait d’abord trouver le bon spécimen car si les scientifiques retrouvent  facilement de l’ADN dans des échantillons fossiles, il leur arrive bien souvent de retrouver leur propre ADN mélangé à celui de toutes les personnes qui auraient eu la fâcheuse idée de tripoter le dit fossile avec leurs mains sales (ou propres peu importe)… L’ADN se dégrade relativement rapidement et sachez que vous aurez plus de chance de le retrouver dans des échantillons relativement récents. De nombreux échantillons ont ainsi été prélevés partout à travers le monde car il était impossible de prévoir à l’avance combien d’entre eux pourraient contenir de l’ADN. Une fois de retour au laboratoire, séquence (ADN) émotion ! De tous les spécimens échantillonnés, un seul et unique fragment d’os livrera la précieuse molécule. Il s’agit d’un fragment de carapace attribué au genre Doedicurus conservé au Musée de Buenos Aires et daté d’environ 12000 ans. Cela tombe plutôt bien car Doedicurus était certainement l’un des glyptodons les plus emblématiques. Il pesait plus d’une tonne et, à l’image des ankylosaures du Crétacé, sa queue en forme de massue était équipée de pointes que Doedicurus devait agiter nerveusement à la vue d’un tigre à dents de sabre qui aurait eu les canines plus grosses que le ventre.

Spécimens de glyptodons fossiles exposés au Musée de La Plata (Argentine). De gauche à droite : Glyptodon, Panochthus et Doedicurus – © Sergio Vizcaíno.

Malheureusement, si de l’ADN est bien présent dans l’échantillon, il y est en très faible quantité, bien trop faible pour être séquencé. Et puisque seule une cloison sépare mon clavier d’ordinateur de l’initiateur de ce projet fou, autant laisser Frédéric Delsuc (notre Mr. ADN) expliquer lui-même la méthode qui lui a permis d’enrichir l’extrait en ADN: « étant donné que les glyptodons étaient d’affinité phylogénétique incertaine, nous avons eu l’idée d’inférer par ordinateur des séquences ancestrales de xénarthres (groupe qui réunit les paresseux, les fourmiliers et les tatous auquel appartiennent les glyptodons), en utilisant l’arbre phylogénétique et les génomes mitochondriaux des espèces actuelles. Nous nous sommes ensuite servis de ces séquences bioinformatiques pour synthétiser des sondes d’ARN (acide ribonucléique) permettant de cibler spécifiquement les fragments d’ADN mitochondrial de Doedicurus contenus dans l’extrait d’ADN ancien. Le séquençage des dizaines de milliers de fragments ainsi récoltés a ensuite permis de reconstruire le génome mitochondrial complet de cette espèce éteinte.» Qui a dit que c’était facile ?

Spécimen de Doedicurus du Musée de La Plata (Argentine) – © Sergio Vizcaíno.

En combinant cette séquence avec celles de toutes les espèces de xénarthres actuelles, les glyptodons ont pu être rapprochés d’un groupe constitué de tatous nains, de tatous à trois bandes, de tatous à queue-nue, et de tatous géants. Tatou suivi ? Et le résultat avait de quoi surprendre, non seulement parce que cette relation de parenté n’avait jamais été proposée par des morphologistes mais surtout parce que ces analyses moléculaires montrent que les glyptodons trouvent leur origine au sein même des tatous plutôt que de représenter une branche qui aurait divergé très tôt et évolué de manière indépendante par rapport eux. Ces analyses permettent également de proposer une origine plus récente pour le groupe des glyptodons : ils seraient apparus il y a environ 35 millions d’années, un âge de divergence qui est en accord avec la plupart des données paléontologiques. Cela signifie surtout que les glyptodons ont subit une augmentation spectaculaire de taille avant leur extinction récente. Ces nouvelles relations de parenté nous obligent également à reconsidérer l’évolution de certains caractères morphologiques ; c’est le cas par exemple de l’absence de bandes mobiles sur la carapace qui pourrait être un caractère dérivé des glyptodons et non primitif comme convenu traditionnellement.

Cela ne ressemble à rien mais voici le fragment de carapace qui a livré de l’ADN de Doedicurus !

Bien que cette étude ait permis de lever le voile sur les relations de parenté des glyptodons, le mystère reste entier. Comme souvent, les molécules d’ADN ont eu la fâcheuse tendance de nous contredire, nous les morphologistes… Alors, ces découvertes sonnent-elles le glas des études anatomiques ? C’est tout le contraire, tout commence pour nous désormais ! Il nous faut comprendre pourquoi les caractères anatomiques et les données moléculaires parviennent à des résultats aussi contradictoires et pour cela retourner sur le terrain pour essayer de compléter l’histoire de ce groupe étonnant. Ça nous promet surtout de longues heures passées dans les collections du monde entier à polluer les spécimens de notre ADN d’anatomistes, merci les molécules !

Les plus proches parents actuels des glyptodons tels que proposés dans la nouvelle analyse moléculaire : tatous nains (Chlamyphorus), tatous à trois bandes (Tolypeutes), tatous à queue-nue (Cabassous), et tatous géants (Priodontes).

Références

Delsuc F., G. C. Gibb, M. Kuch, G. Billet, L. Hautier, J. Southon, J.-M. Rouillard, J. C. Fernicola, S. F. Vizcaíno, R. D. E. MacPhee, et H. N. Poinar The phylogenetic affinities of enigmatic glyptodonts., publié dans Current Biology. Ici

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Publié dans : Amérique du Sud,Evolution,Mammifères fossiles,Paléobiodiversité

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1 Réponses pour “Glyptodon : t’as tout d’un tatou ?”

  1. [...] Le glyptodon est aux mammifères ce que la tortue est aux reptiles : un véritable tank sur pattes.  [...]

  2. Lamouline dit :

    Article fort intéressant !