Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Comment récréer du mouvement dans un espace figé depuis des siècles ? N’en déplaise à l’homme de Cro-Macron, il ne sera pas question de politique dans ce billet, encore moins de l‘âge de Pierre (Gattaz), mais bien de paléontologie. A l’ère du tout numérique, une méthode traditionnelle mais participative a permis de remonter une piste âgée de près de 20000 ans.

Andreas Pastoors, un paléoanthropologue allemand du Neanderthal Museum de Mettmann, et ses collègues prennent régulièrement leur pied à marcher dans les pas de nos aïeux. Ils maîtrisent parfaitement les techniques récentes d’imagerie assistées par ordinateur et savent qu’elles peuvent fournir une foule d’informations sur des empreintes de pas fossilisées qui permettent de reconstruire un instantané de la vie d’espèces éteintes. Toutefois, ils savent également qu’il existe toujours, dans certaines parties du monde encore civilisées, des communautés de chasseurs cueilleurs dont la survie quotidienne dépend en grande partie d’une bonne lecture d’empreintes (pour chasser ou éviter des clans rivaux par exemple). Les chercheurs ont donc décidé de mettre leurs techniques modernes à l’épreuve du savoir séculaire de pisteurs. Dans cette démarche, ils emboîtent le pas d’autres chercheurs de l’Université de Cambridge qui, dès les années 90, avaient voulu tester les connaissances de pisteurs de la communauté namibienne des Ju/’hoansi-San. Les résultats avaient été plus que concluants puisque des pistes animales avaient été correctement interprétées dans 98% des cas.

Qui dit prise d’empreintes dit scène de crime. L’équipe allemande a jeté son dévolu sur la grotte de Pech Merle, une magnifique grotte ornée située dans le département du Lot qui a livré des empreintes de pas datant d’environ 20000 ans.

Les empreintes de pas de Pech Merle (copyright Andreas Pastoors et al).

Plusieurs générations de paléoanthropologues se sont penchées sur ce jeu de pistes. Pastoors et ses collègues ont fait appel au talent de trois pisteurs de la communauté Ju/’hoansi-San à qui il n’aura fallu que quelques minutes pour trouver de nouvelles empreintes. Pas à pas, Ui, Tsamkxao et Thui déchiffrent le jeu de jambes de nos aïeux et leurs observations se démarquent très rapidement des premières interprétations proposées par les scientifiques.

Ui, Tsamkxao et Thui dans la grotte de Pech Merle (copyright Andreas Pastoors et al).

La forme et la taille des empreintes leur donnent des indications sur le nombre d’individus ainsi que sur leur âge et leur sexe. Là où les précédentes études avaient classiquement reconnu deux types d’empreintes, nos pisteurs suivent les trajectoires de cinq individus : un homme âgé, deux jeunes femmes, un jeune homme et un jeune garçon, tous marchant pieds nus. Ils vont même jusqu’à préciser que l’enfant aurait changé de direction et accéléré au niveau de ce passage délicat de la grotte. De telles interprétations pourraient avoir d’importantes implications pour reconstruire la taille et la composition des groupes humains de l’époque et donc changer notre vision de leur quotidien.

Les empreintes repérées en 1929 (A), en 1983 (B) et les nouvelles empreintes repérées par Ui, Tsamkxao et Thui (C) (copyright Andreas Pastoors et al).

Bien entendu, certains pourront légitimement remettre en doute les interprétations de Ui, Tsamkxao et Thui. Toutefois, cette main tendue (où devrais-je dire cet appel du pied) aux méthodes « traditionnelles » aura eu le mérite de faire vaciller certaines idées préconçues ainsi que de mettre en lumière le savoir séculaire des pisteurs namibiens, un savoir qui disparaît à pas de géant. Comme nous, nos ancêtres pouvaient se tenir debout dans la nuit et vous savez désormais que, lorsque Cro-Magnon était en marche, il n’était pas gauche et plutôt adroit.Malgré toutes leurs connaissances, je regrette que Ui, Tsamkxao et Thui n’aient pas pu nous dire si d’avoir marché dans cette grotte aura porté bonheur aux premiers explorateurs de Pech Merle… Quant aux empreintes qui vont suivre, je laisse le soin à notre paléoichnologue préféré de les interpréter.

Un jeu de pistes (copyright Le Canard Enchaîné).

Référence :

Pastoors A, Lenssen-Erz T, Breuckmann B, Ciqae T, Kxunta U, Rieke-Zapp D, Thao T. 2016. Experience based reading of Pleistocene human footprints in Pech-Merle. Quaternary International

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Publié dans : Nouveautés

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4 Réponses pour “Nos ancêtres étaient-ils plutôt « en marche » ou « nuit debout » ?”

  1. Mazan dit :

    Héhéhé… j’adore toujours la prose !

  2. Puisque l’on me sollicite… Je dirais que si les deux pistes latérales ne réclament pas d’analyse ichnologique particulière, celle du centre m’évoque une saine prudence, le sens du dialogue, le respect de son prochain, un altruisme certain, une détermination exempte d’aventurisme. Bref beaucoup d’élégance, d’élévation d’esprit et de sérénité : on en redemande !

  3. [...] Comment récréer du mouvement dans un espace figé depuis des siècles ? N’en déplaise à l’homme de Cro-Macron, il ne sera pas question de politique dans ce billet, encore moins de l‘âge de Pierre (Gattaz), mais bien de paléontologie. A l’ère du tout numérique, une méthode traditionnelle mais participative a permis de remonter une piste âgée de près de 20000 ans.  [...]

  4. Petrovna dit :

    On dirait que la piste de gauche à essayé de marché sur les pieds de la piste du milieu…

  5. Jean-Louis Hartenberger dit :

    Puisque l’on ne me sollicite pas, je partage néanmoins le point de vue de Jean Le Loeuff et m’associe pour en redemander aussi.