Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Le sourire du paresseux, une histoire de fausses dents.

Le 14 juin 2016 par Lionel Hautier

Avez-vous remarqué que les paresseux ne montrent jamais leurs dents quand ils esquissent un sourire ? Pourquoi ont-ils autant la dent dure avec les photographes ? Une étude du développement de leurs dents vient d’apporter quelques éléments de réponse.

Le sourire d’un paresseux à trois doigts (Bradypus) et d’un paresseux à deux doigts (Choloepus).

Tout d’abord, apprenez qu’un paresseux ne sourit pas. Le sourire du paresseux n’est qu’une interprétation grossière de votre cerveau pour essayer de plaquer un comportement humain sur un trait morphologique issu d’une histoire évolutive longue et complexe. Un paresseux ne sourit donc pas, au même titre qu’un cocker n’est pas toujours triste et qu’un éléphant ne parle pas du nez. En revanche, comme leurs proches parents les tatous, les paresseux ont la particularité de posséder des dents pour le moins singulières. Les mammifères placentaires possèdent une dentition différenciée avec une rangée dentaire constituée d’incisives, de canines, de prémolaires et de molaires. A l’inverse, les paresseux sont homodontes c’est à dire que leurs dents sont sensiblement identiques à l’exception des dents les plus antérieures, longues et pointues, qui sont appelées caniniformes et souvent considérées comme homologues des canines des autres mammifères. Autre fait marquant, leurs dents sont totalement dépourvues d’email, une preuve s’il en est que les paresseux n’ont pas la dent dure. Pour finir, les paresseux n’ont qu’une seule génération dentaire et, de fait, ne croient pas en l’existence de la petite souris. Toutes ces singularités font qu’il est difficile de reconnaître la nature exacte des dents qui constituent leur rangée dentaire et donc de les comparer à celles des autres mammifères.

Deux crânes de paresseux à deux doigts (Choloepus) et leurs dents caniniformes. A droite, un paresseux à deux doigts bien vivant, fier de ses caniniformes (celles du haut, en bas ici, sont des canines mais celles du bas, en haut ici, ne le sont pas).

Ceux qui connaissent les paresseux savent qu’ils ont pour habitude de ne rien faire comme tout le monde. Leur développement dentaire n’échappe pas à cette règle. Notre équipe franco-anglaise a tenté de percer le mystère des dents des paresseux en comparant leur développement à celui des autres mammifères à l’aide de technique de microtomographie à rayons X. Rien ne laissait présager, en commençant cette étude, que nous puissions avoir quelque chose à nous mettre sous la dent. Telle ne fut pas notre surprise de constater que les fœtus de paresseux possèdent beaucoup plus de dents que les adultes ! Des dents surnuméraires, dites vestigiales, sont systématiquement présentes au cours de leur développement prénatal et se résorbent avant la naissance. Ces chicots insignifiants, au premier abord tout du moins, constituent des témoins précieux de l’évolution de la dentition du groupe puisqu’ils attestent de la présence de dents dans un passé plus ou moins lointain. Ainsi, en raison de la présence de dents vestigiales sur l’os prémaxillaire, nous savons désormais que les ancêtres des paresseux avaient des incisives alors que ces dents sont absentes chez les deux genres actuels et n’ont jamais été observées chez des représentants fossiles du groupe.

Une série développementale de paresseux à trois doigts (Bradypus). A noter, la présence de dents vestigiales (dTpmx et dto) qui se résorbent avant la naissance.

La canine des mammifères est facilement reconnaissable au cours du développement car il s’agit de la dent la plus antérieure de l’os maxillaire mais surtout parce qu’elle se minéralise généralement plus tôt que les autres dents. Si la dent caniniforme supérieure des paresseux semble bien répondre à ces critères développementaux, leur dent caniniforme inférieure est quand à elle systématiquement précédée par une dent vestigiale. Cette dent vestigiale se minéralise très tôt au cours du développement et au même moment que la caniniforme supérieure. Aussi, son développement ressemble à s’y méprendre à celui de la canine des autres mammifères. Cette séquence de minéralisation semble pouvoir démontrer que les paresseux possèdent bien une canine supérieure mais qu’ils auraient perdu leur canine inférieure au cours de leur histoire évolutive. En d’autres termes, leur dent caniniforme inférieure serait en réalité une prémolaire déguisée en canine…

Un échantillon de la diversité des paresseux fossiles. Au premier plan à gauche, les dents « caniniformes » de Megalocnus rodens sont ici incisiformes…

Ce résultat pourrait faire grincer quelques dents de paléontologues puisque la systématique des paresseux fossiles repose inévitablement sur les caractères anatomiques, en particulier les caractères dentaires. Les paresseux ont une histoire évolutive très longue et les nombreux genres fossiles ont développé des types dentaires très variés. La position et la forme des dents, notamment celles des caniniformes, ont régulièrement été utilisées pour classer les formes éteintes de paresseux en différentes familles. L’étude du développement des paresseux actuels éclaire d’un jour nouveau l’évolution des caractères dentaires du groupe et semble pouvoir remettre en cause l’utilisation de ces caractères à des fins systématiques.

Une reconstruction approximative du sourire d’un ancêtre des paresseux.

Les paresseux nous démontrent ainsi qu’en matière d’homologie dentaire ce n’est pas la taille qui compte ! Et encore moins la forme… Ils ont répondu dent pour dent à la perte de leur canine. Vous savez désormais que, derrière leur sourire, les paresseux mentent comme des arracheurs de dents…

Référence

- Hautier L., Gomes Rodrigues H., Billet G., Asher R.J., 2016. The hidden teeth of sloths: evolutionary vestiges and the development of a simplified dentition. Scientific Reports : ici

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Publié dans : Evolution,Mammifères fossiles,Nouveautés

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4 Réponses pour “Le sourire du paresseux, une histoire de fausses dents.”

  1. Excellent article. J’ai cru jusqu’à présent que cette bête était seulement paresseuse. On apprend tous les jours. Merci.

  2. Cyril dit :

    Très belle étude et très bons articles (dans Scientific Reports et dans le dinoblog).
    Les paresseux font vraiment tout pour se faire remarquer! Je penche de plus en plus pour une origine extra-terrestre de ces êtres étranges.

  3. [...] Avez-vous remarqué que les paresseux ne montrent jamais leurs dents quand ils esquissent un sourire ? Pourquoi ont-ils autant la dent dure avec les photographes ? Une étude du développement de leurs dents vient d’apporter quelques éléments de réponse.  [...]

  4. Petrovna dit :

    Je vous suis sur toute la ligne.
    Mais je conserve mes doutes concernant les cockers :)

  5. Lozach Maxime dit :

    Super intéressant !
    Par contre, n’il y a-t-il pas une erreur dans la légende des scanner des dents ? Je ne trouve les noms « dTpmx » et « dto » nulle part. Par contre, je vois disparaître les dents « dVpmx et « dv » ? Ou il y a une astuce de schéma que je ne connais pas :) .

    Bon courage pour la suite!