Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Un gros pavé est tombé le 23 mars dans la petite mare de la phylogénie dinosaurienne : les théropodes seraient le groupe frère des ornithischiens. Saperlipopette ! Cela mérite forcément quelques éclaircissements. Votre petite fille de 4 ans pourra vous l’expliquer plus en détail si nécessaire, mais voici 130 ans que l’on classe les dinosaures en deux grands groupes : les ornithischiens et les saurischiens. Les premiers sont caractérisés par un bassin à 4 branches et la présence d’un os supplémentaire à la mâchoire inférieure. Au sein des ornithischiens on distingue les thyréophores (Stegosaurus, Ankylosaurus et consorts), les ornithopodes (Iguanodon) et les marginocéphales (Psittacosaurus et Triceratops). Les seconds ont notamment un bassin à trois branches. Ils comprennent les sauropodes herbivores (Diplodocus et ses amis) et les théropodes carnivores (Tyrannosaurus et tutti quanti). Elémentaire.

C’est le paléontologue britannique Harry Govier Seeley qui a inventé ces deux termes d’Ornithischia et de Saurischia en 1888… Le concept est globalement accepté par tout le monde depuis, et a été retrouvé par tous les phylogénéticiens qui se sont intéressés aux grands traits de la classification des dinosaures. Rappelons que la systématique phylogénétique s’emploie depuis quelques dizaines d’années à classifier les espèces vivantes en fonction de leurs relations naturelles, ou si l’on préfère de leur proximité évolutive. Pour déterminer cette parenté, on se base sur le nombre de caractères dérivés (ou synapomorphies) en commun entre les différentes espèces : plus il y en a, plus ces deux espèces sont de proches parentes. En d’autres termes, plus leur ancêtre commun est récent. Ainsi, si tous les ornithischiens possèdent un os supplémentaire à l’avant de la mandibule (le prédentaire), un os inconnu dans le reste du monde animal, c’est que leur ancêtre commun en possédait un. Ils forment donc un groupe monophylétique (rassemblant l’ancêtre commun qui a « inventé » le prédentaire et la totalité de ses descendants), ce qui est supercool. D’autres caractères viennent en renfort pour défendre le concept d’ornithischien qui est donc conservé. Pour les saurischiens il n’y avait pas de caractère commun aussi évident que le prédentaire des ornithischiens.

Selon les auteurs de la nouvelle, étude nombre des caractères communs entre les théropodes et les sauropodes sont des caractères primitifs du groupe des dinosaures comme le bassin à trois branches, voire des convergences comme la pneumatisation des vertèbres. En revanche 21 caractères unissent les ornithischiens et les théropodes et la conclusion coule de source : les théropodes partagent un ancêtre commun plus récent avec les ornithischiens qu’avec les sauropodes. Théropodes et ornithischiens sont donc des groupes frères, et ce supergroupe de dinosaures prend le nom d’Ornithoscélidés (un nom créé par Thomas Huxley en 1870 et abandonné depuis les travaux de Seeley en 1888). Le groupe frère des ornithoscélidés s’appelle toujours les saurischiens (nouvelle version) mais ne comprend plus que les sauropodes et un petit groupe de dinosaures carnivores primitifs, les herrerasauridés. Le principal résultat est que les théropodes ne sont donc plus des saurischiens.

La nouvelle phylogénie des dinosaures

Notons que cette nouvelle hypothèse nécessite une nouvelle définition du groupe des dinosaures : jusqu’ici un dinosaure c’était l’ancêtre commun le plus récent de Triceratops et du pigeon et la totalité des descendants de cet ancêtre. On comprend en regardant la nouvelle phylogénie qu’avec cette définition (qui est désormais celle des ornithoscélidés) les sauropodes ne sont plus des dinosaures ! Les auteurs de l’article modifient donc légèrement la définition : un dinosaure est désormais l’ancêtre commun le plus récent du Triceratops, du pigeon ET du Diplodocus et la totalité des descendants dudit ancêtre. Ouf, les sauropodes restent des dinosaures…

Pour en arriver à ce résultat surprenant, les trois chercheurs ont mis dans la machine un tas d’espèces généralement omises lors des analyses phylogénétiques, et datant de la première partie du Mésozoïque : Trias et Jurassique inférieur. Panguraptor, Zupaysaurus, Pulanesaura ou encore Pantydraco, voici quelques unes des espèces utilisées. En revanche pas l’ombre d’un dinosaure célèbre : les stars du Crétacé comme T. rex, Triceratops et Iguanodon et les cracks du Jurassique, Allosaurus, Diplodocus ou Stegosaurus n’y sont pas. C’est donc une flopée d’espèces méconnues qui a produit ce résultat bizarre : la machine a craché un arbre révolutionnaire en trouvant davantage de points communs entre les ornithischiens et les théropodes qu’entre ces derniers et les sauropodes.

Avant/après le 22 mars 2017

Est-ce nouveau ? Oui, clairement, cette hypothèse n’a jamais été suggérée. Est-ce possible ? Ben oui. Est-ce certain ? Ben non. Rappelons que nos amis paléomammalogistes sont infoutus de se mettre d’accord sur la position phylogénétique des xénarthres (et s’il n’y avait que les xénarthres qu’ils ne savent pas où mettre…). Pourtant, outre les fossiles, ils disposent des bestioles actuelles et des données de la génétique. On voit donc que la reconstitution des arbres phylogénétiques n’est pas un exercice si simple qu’on pourrait le croire, l’évolution pouvant être blagueuse. Alors pour les dinosaures il est urgent de ne pas trop se presser pour conclure. Ce qui confirmera (ou pas) la nouvelle hypothèse c’est l’inclusion de nouveaux squelettes le plus complets possible dans la matrice de caractères et la reproductibilité du nouvel arbre dans ces conditions. Autant dire qu’on peut attendre quelques années et que dans ce laps de temps, c’est promis, nous ne modifierons point les arbres phylogénétiques du Musée des Dinosaures !

Référence :

Matthew G. Baron, David B. Norman & Paul M. Barrett. 2017. A new hypothesis of dinosaur relationships and early dinosaur evolution. Nature 543: 501–506. doi:10.1038/nature21700

 

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Publié dans : Nouveautés,Ornithischien,Saurischiens,Sauropodes,Théropode

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2 Réponses pour “Du rififi chez les dinos : quand Diplodocus tombe de l’arbre”

  1. Yannick Santerre dit :

    Merci pour les éclaircissements ;-)

  2. Ludmilla dit :

    Très clair, merci, je partage !