Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Histoire d’un fémur mal nommé de Fukushima à Saint-Mamert

Le 12 novembre 2018 par Jean-Louis Hartenberger

On vient de redécouvrir dans les collections d’une université du Japon un fémur sous une étiquette erronée : catalogué « dinosaure » voici 60 ans, il s’avère qu’il appartient à un de ces ours de mer du Pacifique qui hantèrent ses rivages tout au long du Miocène (1). Si l’on ajoute que le gisement est proche de la tristement célèbre ville de Fukushima et que le spécimen a subi depuis sa découverte d’autres avanies, on ne peut s’empêcher de saluer la pugnacité des chercheurs qui mettent en lumière ce bout d’os que tant d’autres auraient méprisé.

Décidément, certains vont se dire que j’éprouve un penchant quasi jupitérien pour cet os de la cuisse, d’autres que je suis atteint d’une fièvre fémorale récurrente : après le fémur indigne de Toumaï, voici venu le temps du fémur mal nommé de Fukushima. Que l’on se rassure, c’est seulement l’actualité paléontologique qui motive mes écrits, avec pour condiments quelques souvenirs de ma vie active d’amateur de fossiles.

Voici quinze ou vingt mois en çà j’évoquais la mémoire toujours vivante grâce aux musées qui les honore des ci-devant Desmostyliens du Pacifique, autrement dit les ours de mer, aussi patauds à terre que nageurs intrépides, et végans avant l’heure (voir ici)

Au Japon, l’une de leur terre d’accueil, ce sont des animaux iconiques, et plusieurs musées s’enorgueillissent d’accueillir leurs restes, les exposent, commentent leur histoire, et pour découvrir ces animaux merveilleux d’un autre temps, les queues s’allongent à leurs portes. D’une certaine façon, dans le cœur des amateurs de fossile de l’archipel, les Palaeoparadoxia font jeu égal avec d’autres géants du passé, les dinosaures. Et voici que l’on vient de redécouvrir l’un d’eux, et la nouvelle concerne aussi bien les paléo mammalogistes que les dinosaurophiles ! Pourtant il ne s’agit que d’un fémur, et même incomplet. Mais quel os !

Il a été mis au jour voici 60 ans et longtemps ignoré parce que peu après sa découverte, alors qu’on l’avait mis en dépôt dans un musée d’une banlieue proche de la ville de Fukushima, un incendie ravagea la cité. Aussi, ce fémur fut perdu de vue. D’autant qu’il avait été affublé d’une identité erronée : on le croyait sorti de la cuisse d’un dinosaure. Sa découverte avait eu lieu lors des travaux d’endiguement de la rivière Arakawa qui traverse la préfecture de Fukushima, un cours d’eau aux crues fréquentes et dévastatrices, des vidourlades comme l’on dit dans le sud de la France. Aussi plusieurs barrages ont été construits pour en maîtriser le cours, et c’est lors des travaux de terrassement de l’un d’eux que le dit os fut mis au jour.

Le spécimen faillit disparaître quelques années plus tard dans l’incendie qui ravagea un faubourg de la ville de Fukushima (2). On ne sait par quel miracle il fut sauvé du feu après avoir été tel Moïse sauvé des eaux, toujours est-il qu’il échoua dans les collections d’une université et y reposa en paix un certain temps, 60 ans exactement, avant qu’un curieux ne le redécouvre dans les tiroirs des collections de cette même université. Et ce fut une renaissance que connut le vieil os, et un patronyme plus pertinent eu égard sa nature lui fut aussitôt accordé. Non ce n’était pas un fémur reptilien, mais d’évidence il avait appartenu à un Mammifère aquatique Desmostylien, ces ours de mer qui hantèrent les rivages du Pacifique au Miocène, sur un arc qui court du Japon à la Russie, gagne les îles Aléoutiennes, franchit le détroit de Behring jusqu’aux plages d’Amérique et la Basse-Californie.

Fémur droit de Palaeoparadoxia de Fukushima. D’après réf.1.

Le site précis de la découverte n’a pas pu être déterminé. Sans doute gît-il sous le ciment des digues et barrages qui contiennent les crues de la rivière Arakawa. Heureusement adhérait encore au spécimen un peu du sédiment encaissant, du sable marin à graviers où il fut fossilisé. On a pu extraire des cristaux de zircon de ce sable et les dater par la méthode Uranium-Thorium. Il s’avère que si la plupart des zircons sont d’âge crétacé, l’un d’eux est d’âge miocène (15.1 Ma). Il est envisagé que les zircons plus anciens d’âge crétacé proviennent d’une formation sous-jacente et proche des dépôts miocènes qui affleurent sur le cours de la rivière Arakawa et qui a livré le fémur de Palaeoparadoxia. Ils sont remaniés et inclus dans le sable plus récent d’âge miocène. La nature du fossile et les comparaisons avec des découvertes antérieures s’accordent avec l’âge radiométrique de cet unique cristal de zircon. Et voici ci-dessous le fémur longtemps ignoré parce que mal nommé qui retrouve sa place sur une reconstitution du squelette de cet ours marin amateur d’algues.

Reconstitution du Palaeoparadoxia de Fukushima. D’après réf.1

Après avoir disserté sur le fémur nippon, je ne peux résister à vous conter une autre histoire qui met en scène ce même bel os, et qui est au coeur d’une de mes premières aventures paléontologiques. Or donc, alors que je n’étais que néophyte en la matière, je fus invité à une excursion paléontologique dans un secteur du Gard, près de Saint-Mamert, où avaient été signalés au début du siècle de nombreux restes de Mammifères de l’Eocène, en particulier des Lophiodon, sorte de tapirs fossiles. La raison était que récemment un fort bel os, en l’occurrence un fragment de fémur, avait enrichi les collections de notre université où je venais de trouver refuge : un amateur local et gardois l’avait livré récemment à la curiosité du Professeur titulaire de la Chaire de Géologie de l’Université de Montpellier pour qu’il l’éclaire et détermine sa nature. N’écoutant que son savoir, il faut le dire très limité sur le sujet, d’un ton péremptoire le dit savant avait déclaré : « Encore un os de Lophiodon ! », minimisant ainsi la découverte. Qui n’en fut pas moins engrangée dans les collections de l’Université du Clapas.

Quelques mois passèrent et fut nommé dans cette même université un jeune enseignant chargé de la paléontologie, Louis Thaler, dont très tôt j’ai pu suivre les conseils dès ses premières recherches en Languedoc. Evidemment ce savant en herbe se pencha d’abord sur les collections du laboratoire qu’il devait diriger, et entre autres le fémur déclaré « Lophiodon » par le Maître des lieux attira son attention en même temps que ses doutes sur son identité : d’évidence ce n’était pas un os de mammifère. Aussi décida-t-il une excursion dans la région de Saint-Mamert à laquelle je fus invité. Nous croisâmes dans le village Saturnin Garimond, un érudit local, ci-devant fontainier du village et découvreur du fémur. Et sous sa houlette, furent redécouverts ce jour là les gisements de Mammifères éocènes déjà célèbres de Robiac et ses Lophiodon peu éloignés de Saint-Mamert. Mais Garimond nous conduisit aussi sur un affleurement proche qui lui avait livré le fémur suspect. Notre prospection nous conduisit à constater que ces couches rouges qui l’avaient livré étaient sous-jacentes à celles de calcaire éocènes « lacustres » où gisaient les Lophiodon, et qu’elles étaient riches en d’autres fossiles, en particulier des débris de coquilles d’œufs de dinosaures, des fragments de carapace de tortue, des charophytes et quelques bouts d’os reptiliens, le tout d’âge Crétacé supérieur. Quelques années plus tard nous y découvririons même une dent de mammifères crétacé, mais avec quels efforts…D’évidence le fémur que Saturnin Garimond avait offert à la curiosité universitaire quelques mois plus tôt appartenait non à un Lophiodon, mais à un grand dinosaure herbivore. De quoi changer la mémoire paléontologique locale jusqu’à l’émoustiller… Ce qui déboucha quelques années plus tard sur des découvertes et redécouvertes qui enchantèrent bien des amateurs de fossiles : des œufs de dinosaures ici, des ossements des mêmes là-bas. On dit même que cet enthousiasme reptilien gagna tout le Midi de la France, et qu’à plus d’une centaine de kilomètres de là, dans les confins audois, près de Limoux, les échos de la découverte gardoise résonnèrent dans une capitale qui jusque là ne s’était guère préoccupée que de travailler du chapeau…

Et voici que j’apprends qu’une aventure à l’issue inverse vient de se produire à l’autre bout du monde : un os que l’on croyait dinosaure appartient à un mammifère ! Mais cela se passe aux antipodes, et l’on sait que l’on y vit la tête en bas.

 

Références :

(1) Matsui K et al. 2018 A long-forgotten ‘dinosaur’ bone from a museum cabinet, uncovered to be a Japan’s iconic extinct mammal, Paleoparadoxia (Desmostylia, Mammalia). R. Soc. open sci.5: 172441.

http://dx.doi.org/10.1098/rsos.172441

(2) La centrale nucléaire dite de Fukushima ravagée par une explosion en 2011 est en bord de mer alors que la ville de Fukushima est à l’intérieur des terres, à une soixantaine de km de là.

 

 

 

 

 

 

 

 

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Publié dans : Asie,Fouilles paléontologiques,Mammifères fossiles

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1 Réponses pour “Histoire d’un fémur mal nommé de Fukushima à Saint-Mamert”

  1. J’aime ce genre d’anecdote. On en redemande. Merci !