Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

L’art de déglutir : une très vieille histoire

Le 7 août 2019 par Jean-Louis Hartenberger

A table, la moindre des politesses est d’avaler sa nourriture bouche close. Que penseraient vos convives, sans doute éberlués, vous voyant engloutir en détail et à grand bruit votre pitance après une séance de mastication tout aussi sonore ! Chez nous les Mammifères, cet art de la déglutition est une très vieille histoire (1). L’un de nos ancêtres, le minuscule Microdocodon du Jurassique, connaissait cette règle élémentaire de savoir-vivre héritée d’un parent du Trias, Thrinaxodon. Grâce à l’os hyoïde du larynx, l’un et l’autre avalaient aussi rapidement que silencieusement leur déjeuner ou leur dîner. C’est sur ce petit os en fer à cheval que langue et muscles de l’œsophage trouvent ancrage, et leur action génère un mouvement ondulatoire qui entraine le bol alimentaire jusqu’à l’orée de l’estomac, alors que la gueule reste fermée, et sans que s’interrompe la respiration. Tout comme aujourd’hui chez leurs descendants, et ils sont plusieurs milliards à être tout aussi bien éduqués !

Avant de nous pencher sur les archives fossiles qui permettent d’arriver à cette conclusion, en l’occurrence les découvertes des squelettes très bien conservés de Thrinaxodon et de Microdocodon, jetons un œil sur cette vidéo qui montre la dégustation puis la déglutition d’une bouchée par un croqueur de pomme pas ordinaire puisque d’origine britannique : https://www.youtube.com/watch?v=pNcV6yAfq-g&list=PLqTelWojfc12eruuXNrBkKAgwR516OOQy&index=10&t=0s

Cette vue cavalière du crâne de l’Adam d’Outre Manche illustre les principaux éléments anatomiques de son cou et en particulier l’os hyoïde en forme de fer à cheval à l’avant du larynx, situé au tréfonds de la gorge, sur lequel s’insèrent de nombreux muscles et organes, dont l’œsophage et la trachée respiratoire.

Tête et cou. Medecine Key.

L’occasion de la découverte et de l’étude détaillée de Thrinaxodon du Trias d’Afrique du Sud (2), puis du Microdocodon gracilis du Jurassique de Chine (1) permet de reconstituer l’histoire très ancienne de l’os hyoïde et donc du mode de déglutition des Mammifères.

Lorsque Thrinaxodon fut étudié en détail grâce au Synchroton Européen de Grenoble, dans un premier temps ce ne fut pas cet os hyoïde qui fut mis en exergue dans cette recension, mais le fait que le dit Thrinaxodon reptile mammalien de 250 ma était associé à un amphibien : les deux animaux s’étaient réfugiés dans le même terrier et y trouvèrent la mort avant d’être fossilisés (2). C’est donc un fossile très exceptionnel, et on trouvera dans le compte rendu de sa découverte des images et vidéos spectaculaires (3).

De fait c’est la découverte plus récente de Microconodon du Jurassique de Chine (1) qui a suggéré à ses auteurs d’approfondir l’étude du fonctionnement de la mâchoire des Mammifères primitifs, et ils ont étendu leur étude à Thrinaxodon et d’autres fossiles plus récents.

Microdocodon est un tout petit animal : un crâne de 2 cm de long pour un corps de 5 cm. C’est la délicatesse de sa préservation qui en fait tout l’intérêt. Son squelette apparaît sur les deux moitiés d’une plaque de cinérite découverte dans le site de Wuhua (Province de Liaoning, Mongolie intérieure). Le gisement est célèbre dans le monde entier pour la qualité de préservation de plantes et d’animaux très divers (insectes, reptiles, mammifères, etc.), la plupart conservés au Musée de la Province de Liaoning.

Microdocodon gracilis. Musée de Liaonning. Crédit Zhe-Xi Luo

Le petit animal avait des mœurs nocturnes et pesait entre 5 et 9 grammes et ressemblait à un insectivore arboricole comme il en existe aujourd’hui. L’image suivante est une reconstitution où il perché sur Une Bennettinale, arbre à graine du Jurassique attribué aux Cycadophytes.

Il n’était pas le seul Docodonte à hanter les lieux. Les mêmes couches ont livré un autre arboricole, Agilodocodon, un fouisseur, Docofossor, un animal semi aquatique Castorocauda. Et en consultant le site de la Tiaojisham Formation (https://en.wikipedia.org/wiki/Tiaojishan_Formation) on verra qu’il faut ajouter à cette liste tout un bestiaire de Mammifères, Dinosaures Ptérosaures, Lézards, salamandres et Invertébrés qui font de ces lieux un panthéon de la paléontologie.

Reconstitution de Microdocodon, la nuit dans un arbre de Bennettitale du Jurassique Crédit : April I. Neander.

La perspicacité des paléontologues a identifié avec précision tous les éléments de son squelette, y compris le minuscule os hyoïde pour le comparer à celui déjà connu de Thrinaxodon et de sa descendance. Ces éléments osseux apparaissent en bleu sur ce schéma qui résume cette histoire.

Evolution de lhyoïde (d’après Ref. 1)

Ainsi ce petit os très mobile est présent déjà chez les Reptiles mammaliens, et permet aux muscles de la gorge le transport de la nourriture, son mâchage et l’absorption de liquide sans interruption de la respiration. Cet élément osseux a son origine dans les arcs branchiaux primitifs et se transforme en même temps que les osselets de l’oreille moyenne. Cependant il y a un décalage, et Microdocodon s’il possède un hyoïde fonctionnel conserve une oreille moyenne primitive toujours reliée à la mandibule. Cette vidéo montre les principales étapes de cette transformation :https://www.youtube.com/watch?v=Szd09__BXfE

En conclusion, il faut rappeler que déglutir a un aléa, rare mais qui peut-être fatal : la fausse-route. Evitons de l’emprunter.

Références :

1) Chang-Fu Zhouet al. 2019. New Jurassic mammaliaform sheds light on early evolution of mammal-like hyoid bones. Science  19 Jul 2019, Vol. 365, Issue 6450, pp. 276-279
DOI: 10.1126/science.aau9345

2) Fernandez V, Abdala F, Carlson KJ, Cook DC, Rubidge BS, et al. (2013) Synchrotron Reveals Early Triassic Odd Couple: Injured Amphibian and Aestivating Therapsid Share Burrow. PLOS ONE 8(6): e64978. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0064978

3) Attention : ces vidéos peuvent être consultées sans risque à partir de la publication (2). Mais aux dires de mon ami AntiVirus de ma machine, il ne faut surtout pas copier et mémoriser ces liens au risque d’infection.

 

 

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Publié dans : Dinoblog,Evolution,Mammifères fossiles

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1 Réponses pour “L’art de déglutir : une très vieille histoire”

  1. Papylima dit :

    Bonjour,
    Article très intéressant, comme d’habitude.
    Cela étant, je reste un peu sur ma faim.
    Doit-on considérer que la simplicité de l’os hyoïde est le signe d’un individu peu évolué : le Thrinaxodon, les Anglais, etc. ? mais, a contrario, cet os est plus complexe chez l’ornithorynque que chez le chien…
    Merci d’avance,
    PL