Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Trop c’est trop ! Encore un dinosaure à plumes, y’en a marre ! Ainsi réagiras-tu peut-être, cher lecteur, en lisant le titre de ce billet. Il est vrai qu’on en est à une bonne trentaine d’espèces de dinosaures couverts de filaments, voire de véritables plumes, découverts depuis 1996. Mais celui-ci est intéressant à plus d’un titre : il ne vient pas de Chine, comme la quasi-totalité des dinosaures à plumes, mais du Canada (c’est le premier dinosaure à plumes des Amériques), c’est le premier ornithomimosaure emplumé et il a été découvert dans des grès. Cerise sur le gâteau, les poussins n’avaient pas tout à fait le même revêtement que les adultes…

Darla Zelenitsky, de l’Université de Calgary et ses collègues du Royal Tyrrell Museum de Drumheller ont donc mis la main sur quelque chose de pas forcément ébouriffant au premier coup d’œil : des squelettes d’Ornithomimus edmontonicus, une espèce décrite par Sternberg en 1933 et connue par plusieurs squelettes complets du Maastrichtien nord-américain. Pas de quoi sauter au plafond jusqu’à ce qu’un préparateur particulièrement habile s’aperçoive que ces squelettes étaient entourés de zones ferrugineuses à l’allure bizarre. Et en regardant de près on aperçoit en effet des sortes de filaments agglomérés, tout à fait semblables aux protoplumes décrites sur plusieurs dinosaures chinois.

– Le squelette d’adulte et un gros plan sur les insertions de plumes sur l’avant-bras (Science, 2012)

La nouveauté sédimentologique c’est que les plumes de l’Ornithomimus de l’Alberta n’ont pas été identifiée dans un sédiment ultrafin comme ce que l’on trouve dans la province chinoise du Liaoning (ou dans les sites bavarois à Archaeopteryx) mais dans des grès plutôt grossiers, une roche où l’on trouve très fréquemment des squelettes de dinosaures. Le mode de préservation de certaines traces (dans une zone ferrugineuse) est assez radicalement différent aussi de ce que l’on connaissait jusque-là en matière de conservation de plumes (ce sont plutôt des empreintes carbonées d’habitude). Combien de ces empreintes assez indistinctes les préparateurs ont-ils consciencieusement détruites depuis un siècle pour dégager les os d’un dinosaure ? Peu importe, à partir d’aujourd’hui toute zone ferrugineuse autour d’un squelette va être auscultée minutieusement avant d’être enlevée, soyez en certains !

Le poussin d’Ornithomimus est entièrement couvert d’un duvet de longs filaments. Les adultes ont, en plus, de longues plumes sur les bras (c’est en tout cas l’interprétation des auteurs, à partir de traces d’insertions de plumes découvertes sur les avant-bras). Un Ornithomimus adulte approchait les quatre mètres de long pour plus de 300 kilos, donc ses avant-bras emplumés ne lui servaient évidemment pas à voler. Darla Zelenitsky et ses collègues pensent que la présence de longues plumes sur les bras pouvait servir lors de parades nuptiales élaborées, comme chez les autruches.

La présence de filaments et/ou de plumes chez les dinosaures carnivores se généralise chaque année un peu plus depuis quinze ans. Se rapprocherait-on du tyrannosaure à plumes dont j’ai vigoureusement contesté l’existence ? Depuis la publication de ce billet (ici), outre l’ornithomimosaure du Canada qui ne change pas grand-chose à mon propos (puisque le plus récent ancêtre commun des oiseaux et d’Ornithomimus n’est pas celui de Tyrannosaurus : voir l’arbre phylogénétique), est apparu un petit carnivore du Jurassique d’Allemagne, Sciurumimus, qui montre de jolies protoplumes un peu partout sur le corps. Et Sciurumimus est, lui, un mégalosaure, donc un théropode nettement plus primitif que Tyrannosaurus… La protoplume serait donc apparue chez l’ancêtre commun de Sciurumimus et Ornithomimus, qui est aussi celui de Tyrannosaurus. On sent que mon raisonnement précédent vacille après cette nouvelle découverte, mais je rappelle quand même que les traces de peau connues de tyrannosauridés montrent des écailles, pas des plumes. Ce à quoi Oliver Rauhut (l’auteur de Sciurumimus) et ses collègues répondent : on connaît désormais des dinosaures avec à la fois des écailles et des protoplumes, donc découvrir des traces écailleuses n’implique pas forcément que le dinosaure en question n’avait pas de plumes. Elles peuvent avoir disparu avant les écailles (après la mort de l’animal), et j’ajouterai qu’elles peuvent aussi être localisées à un endroit donné de l’animal. A ce stade mon précédent billet commence à s’effriter un peu, alors que faire, sinon constater qu’une nouvelle hypothèse est nécessaire : en regardant la reconstitution d’Ornithomimus, pourquoi ne pas envisager une idée complètement nouvelle (tellement stupide, je l’avoue, que je suis peut- être le premier à l’avoir quoiqu’en matière d’idées stupides, la concurrence soit rude) sur la fonction des bras du T. rex ? Les bras du T. rex lui servaient évidemment à porter ses plumes qu’il agitait frénétiquement durant les parades nuptiales…

En haut : reconstitutions du poussin (à gauche) et de l’adulte d’Ornithomimus. En bas : phylogénie des théropodes ; les symboles correspondent au type de recouvrement (peau, plumes, filaments, etc.). (Science, 2012)

Si mon T. rex « ptérophore » (porteur de plumes en grec) relève à ce stade de la fantaisie, du moins phylogénétiquement parlant (voir ci-dessus), Rauhut et ses collègues vont eux bien plus loin et très sérieusement. Ils considèrent que les protoplumes des théropodes et celles découvertes sur certains ornithischiens sont homologues, et sont très proches de ce qui existait chez les ptérosaures. L’ancêtre commun des ptérosaures et des dinosaures devait donc être recouvert de filaments, que l’on peut donc s’attendre à retrouver chez tous les dinosaures (même si ce caractère pourrait évidemment avoir disparu chez certains d’entre eux). Bon, on parle ici de couverture filamenteuse, pas de véritables plumes semblables à celles des oiseaux. Celles-ci, pour le moment, apparaîtraient chez l’ancêtre commun des ornithomimosaures et des oiseaux, et notre tyrannosaure se serait contenté de protoplumes…

Je remercie deux des stars du dinoart français, Mazan et Michel Fontaine qui ont bien voulu relever le défi absurde de dessiner un T. rex aux bras emplumés, hypothèse dont je rappelle qu’elle n’est, pour l’heure, pas phylogénétiquement fondée…

Un T. rex emplumé : T.rex Cancan by Mazan – 2012 (Copyright Mazan)

T. rex emplumé : T.rex Samba by Michel Fontaine – 2012 (Copyright Michel Fontaine)

Références :

Zelenitsky, D., Therrien, F., Erickson, G., DeBuhr, C., Kobayashi, Y., Eberth, D., Hadfield, F. 2012. Feathered non-avian dinosaurs from North American provide insight into wing origins. Science. 338, 510-514

O. W. M. Rauhut, C. Foth, H. Tischlinger, M. A. Norell, Exceptionally preserved juvenile megalosauroid theropod dinosaur with filamentous integument from the Late Jurassic of Germany. Proc. Natl. Acad. Sci. U.S.A. 109, 11746 (2012).

Et quand on cause de T. rex, ne perdons pas le nord : J. Le Loeuff, T. rex – Tyrannosaurus et les mondes perdus (une de mes plus belles rimes), Editions du Sauropode, 2012 (pour acheter : ici)

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Publié dans : Dinosaures à plumes,Evolution,Histoire des reconstitutions,Mazan,Michel Fontaine,Tyrannosaurus

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3 Réponses pour “Sex and the Dino : le dinosaure à plumes qui fait déborder le vase”

  1. Mazan dit :

    Hahaha ! Bravo Michel !…
    Mon truc plumes… (chantant)
    Il a un air caniche aussi !… Joliment toilétté ! :D !!

  2. la rédaction dit :

    Encore merci à tous les deux pour votre super contribution. Nous espérons que vous aurez envie d’en commettre d’autres…

  3. Romain dit :

    Quid de Xiongguanlong ou du recent Yutyrannus? Était-il couvert des pieds a la tête?
    Dans tous les cas, bien observé: une plume ça se décompose. Et ca mine de rien ça ouvre de nouvelles perspectives aux taphonomistes…