Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Sexe et liberté pour les strashilidés !

Le 15 avril 2013 par Lionel Cavin

Au Dinoblog, on aime bien jouer avec les titres ! J’y ai même casé aujourd’hui le terme de « strashilidés ». Pourtant, il faut le reconnaître, ces insectes – car les strashilidés sont des insectes – ne font pas souvent la une. Dans les couches jurassiques de Daohugou en Mongolie Intérieure chinoise, par exemple, ces petits animaux sont beaucoup moins connus que leurs plus gros et plus spectaculaires voisins. On connaît de ces gisements l’Epidexipteryx, un petit dinosaure avec de longues plumes au bout de la queue, le Pedopenna, un autre dinosaure plumeux, des ptérosaures volants et des mammifères qui planent voire même qui nagent, autant de bestioles à plumes et à poils à qui il fallait bien chercher des poux.

Edixiptéryx ((© Z. Chuang)

Pedopenna (DR) et Epidexipteryx (© Z. Chuang), deux bestioles plumeuses mais peut-être pas si pouilleuses

Les paléoentomologistes ont cru identifier ces « poux » préhistoriques avec les strashilidés, des insectes qui se sont fossilisés dans les mêmes gisements que les vertébrés ébouriffés et dont certaines espèces possèdent de grosses pattes crochues, comme adaptées pour s’accrocher à leurs hôtes. Mais une nouvelle étude signée de Diying Huang, de l’Institut de Géologie et Paléontologie de Nankin, avec ses collaborateurs de diverses institutions et publiée dans la revue Nature, remet en cause cette interprétation. Deux fossiles montrent notamment des couples de strashilidés figés dans la roche en plein accouplement, ce qui comble d’aise les paléontologues.

Un couple de strashilidés pétrifiés lors de l’accouplement

Non pas que la scène satisfasse quelque instinct voyeuriste des scientifiques, mais elle permet de distinguer au sein de cette espèce le mâle de la femelle (a priori). Et ces deux-là forment un couple qui semble reproduire les pires clichés sexistes : alors que la femelle a un corps frêle et lisse, le mâle possède des sortes de poils à l’abdomen et semble faire le gros bras (ou plutôt la grosse jambe) avec sa paire de pattes postérieures hypertrophiées flanquées de crochets à leur extrémité.

Un mâle aux gros bras, ou plutôt aux grosses pattes crochues

Ces crochets, qu’on pensait être adaptés pour s’accrocher aux poils ou aux plumes de l’hôte, serviraient donc à saisir la femelle lors de l’accouplement. Les « poils » situés le long de l’abdomen des mâles, quant à eux, étaient probablement des branchies externes. Voilà donc que nos « poux » présentent un fort dimorphisme sexuel et se transforment en insectes aquatiques ! Mais les surprises ne s’arrêtent pas là : certains individus, notamment des mâles, possèdent des ailes membraneuses bordées de fines petites soies. Il faut donc imaginer qu’une partie du cycle de vie se déroulait dans l’air, puis que ces insectes perdaient leurs ailes et le cycle se poursuivait sous l’eau où avait lieu la reproduction.

Une reconstitution du strashilidé Strashila daohugouensis avec un individu en vol et d’autres sous l’eau en train de s’accoupler. © Huang et al. 2013

L’examen attentif de ces insectes montre qu’ils appartiennent à l’ordre des diptères, les insectes à une seule paire d’ailes dont font partie les mouches et les moustiques, et plus précisément ils se rapprocheraient de la famille actuelle des nymphomyiidés. Oui, j’imagine déjà le lecteur coquin qui ne s’étonne pas que de petites mouches pétrifiées en plein accouplement appartiennent à une famille qu’on qualifie de nymphomanes ! Mais non, désolé, l’origine du nom provient du mot « nymphe », ces « divinités féminines de la nature d’une rare beauté » comme nous l’enseigne Wikipedia, mais aussi le nom donné au stade intermédiaire entre la larve et l’adulte dans le développement de certains insectes et qui, elles, ne sont pas toujours d’une rare beauté ! (notons au passage que le terme de nymphomane est bien sûr également dérivé des nymphes de la mythologie.).

Le nymphomyiidé Nymphomyia alba, un cousin actuel des strashilidés éteints. Chez des insectes si légers, des ailes plumeuses sont aussi efficaces que des ailes membraneuses. © dhalma, www.diptera.info

 

Voilà, on sait maintenant que les strashilidés copulaient (on s’en doutait déjà un peu à vrai dire). Mais, surtout, on sait maintenant que les strashilidés n’étaient pas des ectoparasites fixés dans les plumes et les poils de leurs hôtes vertébrés, mais bel et bien des insectes libres comme l’air, l’air du Jurassique.

 

Référence

Huang, D., A. Nel, C. Cai, Q. Lin, & M.S. Engel. 2013. Amphibious flies and paedomorphism in the Jurassic period. Nature 495(7439): 94-97.

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Publié dans : Asie,Entomologie

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  1. [...] Au Dinoblog, on aime bien jouer avec les titres ! J’y ai même casé aujourd’hui le terme de « strashilidés ». Pourtant, il faut le reconnaître, ces insectes – car les strashilidés sont des insectes – ne font pas souvent la une. Dans les couches jurassiques de Daohugou en Mongolie Intérieure chinoise, par exemple, ces petits animaux sont beaucoup moins connus que leurs plus gros et plus spectaculaires voisins. On connaît de ces gisements l’Epidexipteryx, un petit dinosaure avec de longues plumes au bout de la queue, le Pedopenna, un autre dinosaure plumeux, des ptérosaures volants et des mammifères qui planent voire même qui nagent, autant de bestioles à plumes et à poils à qui il fallait bien chercher des poux. Les paléoentomologistes ont cru identifier ces « poux » préhistoriques avec les strashilidés, des insectes qui se sont fossilisés dans les mêmes gisements que les vertébrés ébouriffés et dont certaines espèces possèdent de grosses pattes crochues, comme adaptées pour s’accrocher à leurs hôtes. Mais une nouvelle étude signée de Diying Huang, de l’Institut de Géologie et Paléontologie de Nankin, avec ses collaborateurs de diverses institutions et publiée dans la revue Nature, remet en cause cette interprétation. Deux fossiles montrent notamment des couples de strashilidés figés dans la roche en plein accouplement, ce qui comble d’aise les paléontologues. [...] RéférenceHuang, D., A. Nel, C. Cai, Q. Lin, & M.S. Engel. 2013. Amphibious flies and paedomorphism in the Jurassic period. Nature 495(7439): 94-97.  [...]