Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Brontosaurus 2.0

Le 20 avril 2015 par Jean Le Loeuff

Si vous avez ne serait-ce qu’un modeste début d’intérêt pour les dinosaures, vous savez forcément que le nom Brontosaurus est un synonyme d’Apatosaurus. C’est simple, c’est dans tous les livres ! Explications : Brontosaurus, le lézard-tonnerre, fut baptisé ainsi à cause du souk qu’il faisait en se déplaçant, du moins dans l’esprit de son papa, le paléontologue américain OC Marsh qui le baptisa en 1879. Il s’agit d’un joli squelette de sauropode découvert dans le Wyoming. Deux ans plus tôt Marsh avait nommé Apatosaurus (le lézard-trompeur) un autre squelette de dinosaure sauropode. Trompeur, non pas parce qu’il était affublé d’une trompe, mais parce que Marsh trouvait que les os chevrons sous les vertèbres de la queue ressemblaient un peu à ceux des mosasaures… Il faut dire que le reste du squelette n’était pas encore préparé quand il lui donna un nom ! Brontosaurus est tombé dans les oubliettes de la paléontologie officielle depuis 1903, quand un savant canadien du nom de Riggs, Elmer de son prénom, décréta définitivement sa nature apatosaurienne. Brontosaurus ressemble tellement à Apatosaurus, dit-il en substance, que c’est un Apatosaurus, et c’est ce dernier nom qui doit être utilisé car il fut créé le premier. Brontosaurus n’est donc qu’un synonyme récent d’Apatosaurus. Exit Brontosaurus. Riggs pointait ainsi les dérives de Marsh qui nommait des dinosaures à tour de bras de peur que son ennemi Cope ne leur donne un nom avant lui. Ledit Cope faisait évidemment la même chose. Comme les deux lascars fouillaient dans le même coin et que leurs équipes découvraient des gros dinosaures jurassiques à tire-larigot, il était d’autant plus urgent pour eux de mettre un nom sur chaque os, ou presque, façon paléontologique de marquer son territoire en rêvant de postérité (le paléontologue aime la postérité).

Pour Brontosaurus, on l’a vu, la notoriété scientifique fut brève. La notoriété tout court, c’est autre chose : Brontosaurus est longtemps resté en vedette dans les livres de vulgarisation. Depuis une vingtaine d’années en revanche il est devenu la tarte à la crème du synonyme, l’exemple de la confusion en paléontologie, le regret des hellénistes. Ah, Brontosaurus c’était quand même mieux qu’Apatosaurus, hein ! Certes mais il y a des règles en taxonomie, notamment la règle de priorité : le premier nom donné à une espèce (vivante ou fossile) est le bon. Les premiers seront toujours les premiers…

Brontosaurus restauré par Charles Knight en 1897

Résumons : ce chenapan de Marsh décrit Apatosaurus en 77, puis en 79 Brontosaurus, et il ne se rend pas compte que c’est la même chose. Et puis un quart de siècle après arrive le bon Elmer qui corrige tout ça, merci Elmer. Et puis plus rien jusqu’à l’arrivée de M. Tschopp, le troisième savant de l’histoire, qui consacre sa thèse à l’étude des Diplodocidés, la grande famille de Diplodocus, Barosaurus et Apatosaurus, ces dinosaures à très longue queue et très long cou. J’ai déjà eu l’occasion de dire tout le bien que je pensais des travaux de M. Tschopp lorsqu’il fit faire de grands progrès à notre connaissance de l’anatomie claviculaire des sauropodes, et accessoirement à celle de leur baculum. J’en suis encore tout tourneboulé. Alors quand il se lance dans une grande synthèse des relations de parenté entre les différentes espèces de diplodocidés, parue le 7 avril 2015, pensez-donc, ça émoustille. D’autant qu’au milieu des 298 pages de ce travail assez titanesque quelques paragraphes ressuscitent le grand disparu, le total synonyme, bref le brontosaure.

Mais comment ressusciter un nom mort ? En démontrant que le spécimen auquel ce nom avait été attribué, en l’occurrence un squelette conservé au Musée Peabody à Yale, présente suffisamment de différences avec Apatosaurus pour ne pas appartenir au même genre. Pour ça il a fallu compter et recompter les petites différences, et au final trouver 7 caractères propres à Brontosaurus. Par exemple l’absence d’une petite boule entre les deux épines neurales des vertèbres dorsales. Chez Apatosaurus y’a la boulette, mais pas chez Brontosaurus. Bref selon Tschopp Brontosaurus est un proche, très proche cousin d’Apatosaurus, mais ce n’est pas un Apatosaurus. C’est donc un Brontosaurus, ipso facto, et Riggs alla un peu vite en besogne en en faisant un Apatosaurus, l’imprudent. Alors certains collègues américains râlent un peu (serait-ce parce que c’est une équipe de la vieille Europe qui a réétudié ces spécimens américains ?) : oui m’enfin bon c’est pas si sûr disent-ils.

Brontosaurus, proche cousin d’Apatosaurus selon cet arbre phylogénétique

Mais à la fin que penser de tout ça ? Comme le tweetait l’autre jour le paléontologue américain Jeff Wilson, expert en ces grosses bêtes, tout ceci est évidemment arbitraire : que l’on ait affaire à deux espèces du genre Apatosaurus ou à deux genres différents n’a strictement aucune importance puisque la notion même de genre est arbitraire. Une espèce en revanche a une définition biologique : c’est un ensemble de populations dont les individus sont interféconds, ainsi que leurs descendants. En paléontologie, malheureusement, ce type d’expérience est pour l’instant hors d’atteinte. Faire se reproduire un Apatosaurus et un Brontosaurus et puis attendre patiemment de savoir si les descendants seront féconds, c’est mort. On parle donc d’espèces morphologiques, définies d’après des différences squelettiques. Une ou deux petites différences n’ont pas forcément beaucoup de signification, il peut s’agir de variations intraspécifiques (regardez votre voisin dans le train, vous comprendrez ce que sont les variations intraspécifiques). Quelques dizaines de différences et on pourrait bien avoir deux espèces, voire deux genres. Mais il n’y a pas d’équations pour trancher, c’est au classificateur de prendre les décisions, fatalement arbitraires. Dans ce cas d’espèce, c’est fait. Et Marsh n’avait donc pas tort sur ce coup là, du moins selon Tschopp. Vive Brontosaurus, tonnerre de Brest !

Référence :

Tschopp et al. (2015), A specimen-level phylogenetic analysis and taxonomic revision of Diplodocidae (Dinosauria, Sauropoda). PeerJ 3:e857; DOI 10.7717/peerj.857

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Publié dans : Amérique du Nord,Nouveautés,Sauropodes

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9 Réponses pour “Brontosaurus 2.0”

  1. Lionel Hautier dit :

    Une histoire qui fait mauvais genre …

  2. Pascal Thomas dit :

    Salut et merci pour cet article que je vais proposer à mes élèves de terminale S. En effet c’est un super exemple sur les limites de la définition de la notion d’espèce. A+

  3. [...] Si vous avez ne serait-ce qu’un modeste début d’intérêt pour les dinosaures, vous savez forcément que le nom Brontosaurus est un synonyme d’Apatosaurus. C’est simple, c’est dans tous les livres !  [...]

  4. Papalima dit :

    « c’est au classificateur de prendre les décisions »
    1. c’est qui, le « classificateur » ?
    2. « fatalement arbitraires » : ça fait pas très scientifique…
    3. et le voyageur du mésozoïque, c’était un brontosaure ou un apatosaure ?

    • Et bien, cher Papalima, le classificateur ici est Othniel Charles Marsh, Elmer Riggs, Emmanuel Tschopp. Plus généralement le praticien de la classification, qu’il s’agisse de dinosaures, d’acritarches, d’archaeocyathes, voire de koalas. La classification est fortement ancrée dans l’esprit humain, sinon on ne rangerait pas les chaussettes avec les chaussettes dans le tiroir à chaussettes, les slips avec les slips dans le tiroir à slips, on foutrait tout ça en vrac dans une armoire avec les mouchoirs à carreaux, les paquets de spaghettis, les packs de bière et les boîtes de caviar. Si on ne le fait pas, enfin si la majorité des gens ne balancent pas tout en vrac, c’est que ce n’est pas du tout pratique. L’ordre c’est mieux, donc classer c’est cool. Et les chercheurs essaient de ranger les êtres vivants et fossiles dans des tiroirs dont l’ordre reflète l’évolution qui a produit ces êtres.
      Quand il s’agit de fossiles on voit bien que pour définir une espèce c’est plus compliqué qu’avec les formes actuelles puisque l’on ne dispose que des ossements. Et il n’y a pas de formule mathématique pour prendre des décisions, d’où l’arbitraire fatal : Tschopp pense que 7 petites différences suffisent pour que Apatosaurus excelsus soit en réalité Brontosaurus excelsus. Je peux supposer que ces différences suffisent simplement à distinguer deux espèces d’Apatosaurus (Apatosaurus ajax et Apatosaurus excelsus) et même, why not, qu’il s’agit de petites variations individuelles au sein de la même espèce Apatosaurus ajax. Ben oui les sciences naturelles c’est plus subtil que la physique, que voulez-vous…
      Enfin et surtout, comme nous l’écrivîmes ici, le Voyageur du Mésozoïque était bien entendu un Plateosaurus.

  5. Papalima dit :

    Au temps pour moi pour ce qui concerne le Plateosaurus Franquini… J’ai perdu une bonne occasion de me taire, même si, à ma décharge, je n’avais pas la BD sous la main.
    Cela étant, il y a quelques dizaines d’années j’étais fana de classification (on parlait surtout de taxinomie) et je ne conteste donc pas son intérêt.
    Mais surtout quand on n’a sous la main que des parties de squelette, ça me parait un peu aventureux de conclure qu’on est en présence de 2 espèces différentes.
    Je n’insiste pas car je suppose que des arguments bien plus subtils que ceux que je peux avancer sont utilisés à longueur de congrès et d’articles.
    C’est certainement un mauvais exemple, mais que pourront penser les paléontologues de l’an 50 000 000 en découvrant un squelette de chihuahua et un de danois ?

  6. Petrovna dit :

    Et moi qui brandissais fièrement mon Apatosaurus d’un air avisé à tout bout de champ. Tonnere de Brest!

  7. Papalima dit :

    C’est vrai qu’il y a des squelettes assez complets… :
    http://dinogoss.blogspot.fr/2015/04/the-american-museum-brontosaur-history.html

    • Petrovna dit :

      Merci pour le lien, Papalima. Un blog fort sympathique à explorer malgré son nom peu savoureux (« a blog about ‘stem-birds’ »). Stem-birds!!!