Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Chili sin carne : le véganisme progresse au Jurassique

Le 23 juin 2015 par Jean Le Loeuff

Voici un bien curieux animal qui nous vient tout droit du Chili et du Jurassique supérieur. Du Chili et du Jurassique : oui, notre rédactrice en chef s’est pris de passion pour le zeugma, alors on fait ce qu’on peut. Chilesaurus, dont l’étymologie ne nécessite pas, je pense, une longue analyse, fait partie du groupe des théropodes. Il est plus précisément ce que les paléontologues appellent un Tétanoure basal, ce qui peut, en revanche, mériter quelques explications. Les Tétanoures sont le grand groupe de dinosaures qui comprend Allosaurus, Megalosaurus, Tyrannosaurus et la plupart des théropodes populaires (« raptors », ornithomimosaures, oiseaux, spinosaures, etc.). N’en font pas partie les théropodes primitifs du Trias, les Coelophysidae et le grand groupe des cératosaures qui, outre Ceratosaurus, englobe la famille des Abelisauridae, les grands carnivores crétacés des continents du sud et d’Europe. Bref si vous avez suivi, Chilesaurus est un lointain grand-oncle de Megalosaurus et Spinosaurus… C’est cool mais cela valait-il un billet de DinOblog ?

Les squelettes de Chilesaurus et son pubis incliné vers l’arrière (Nature)

Sans doute, car l’animal chilien, long d’environ 3 mètres à l’âge adulte, possède un certain nombre de caractéristiques stupéfiantes. Ainsi son pubis (un des os du bassin) est-il dirigé vers l’arrière, tel le premier ornithischien venu, ce que l’on appelle la rétroversion du pubis, ou le retournement si vous préférez. Chez les théropodes habituels cet os est dirigé vers l’avant, comme chez les sauropodes. A quelques exceptions près : le pubis est aussi « retourné » chez les dromaeosaures (les « raptors »), les therizinosaures et les oiseaux. En clair, la forme du bassin des oiseaux se dessine dans l’évolution de certains théropodes dont le pubis change de direction, de manière complètement indépendante de ce qu’on connaît chez les ornithischiens. C’est une convergence évolutive, et non un caractère hérité d’un ancêtre commun. Et chez Chilesaurus, on a un troisième exemple indépendant des deux premiers, car tout porte à penser qu’il n’est pas du tout l’ancêtre des dromaeosaures…

Position phylogénétique de Chilesaurus, à la base du groupe des Tetanurae (Nature)

Passons maintenant au crâne du théropode sud-américain : il n’est que partiellement connu, mais possède de hautes dents en forme de feuille. Pas vraiment les dents de théropodes classiques en forme de couteau ! C’est beaucoup plus proche de la forme des dents de certains ornithischiens primitifs. Ses découvreurs soupçonnent que l’extrémité de la mâchoire supérieure était cornée. Pourtant beaucoup d’autres caractères, comme la présence de dépressions (les pleurocoeles) dans les parois des vertèbres cervicales et dorsales, suggèrent qu’il s’agit bien d’un théropode aux faux airs d’ornithischien plutôt que le contraire. Alors constitue-t-il un nouveau cas d’évolution d’un carnivore vers l’herbivorie (comme les mignons – ou infects, comme vous préférez – pandas dont les ancêtres étaient des sortes d’ours carnivores) ? C’est plausible, dans l’attente de contre-analyses phylogénétiques…

Les dents d’herbivore d’un bébé Chilesaurus (photo Fernando Novas)

Chilesaurus nous rappelle opportunément les immenses lacunes de notre connaissance des dinosaures. Et nous incite, en ce début de saison estivale, à affûter nos burins et nettoyer nos massettes, histoire de ridiculiser une fois de plus le scénariste de Jurassic World : 100% (au moins) de nos connaissances sur les dinosaures proviennent des fouilles paléontologiques, le reste de la génétique !

PS : comme le mois de juillet, les Rencontres du DinOblog s’approchent ! C’est le 4 juillet à Espéraza, riante cité de la Haute Vallée de l’Aude, desservie par la SNCF à quelques encablures de Carcassonne. Et j’y causerai des traces de Jurassic World, d’Arthur Conan Doyle, d’Henri Mouhot et des empreintes siamoises, des plumes jurassiques de Pologne, etc. bref de paléoichnologie. Vous pouvez encore, heureux lecteurs, vous joindre à cette réunion inspirante et au cassoulet qui la suivra pour la modique somme de 30 balles en envoyant un mot à dinoblog@yahoo.fr. Quel genre de mot ? Ben, genre coucou c’est nous, merci de nous envoyer la fiche d’inscription, on arrive !

Référence : Fernando E. Novas, Leonardo Salgado, Manuel Suárez, Federico L. Agnolín, Martín D. Ezcurra, Nicolás R. Chimento, Rita de la Cruz, Marcelo P. Isasi, Alexander O. Vargas & David Rubilar-Rogers. 2015. An enigmatic plant-eating theropod from the Late Jurassic period of Chile, Nature, ici

De très belles reconstitutions de Chilesaurus sont visibles ici 

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Publié dans : Amérique du Sud,Théropode

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0 Réponses pour “Chili sin carne : le véganisme progresse au Jurassique”

  1. [...] Voici un bien curieux animal qui nous vient tout droit du Chili et du Jurassique supérieur. Du Chili et du Jurassique : oui, notre rédactrice en chef s’est pris de passion pour le zeugma, alors on fait ce qu’on peut.  [...]