Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

L’amour au temps des dinosaures

Le 15 février 2016 par Jean Le Loeuff

En pédalant l’autre jour sur une petite île au milieu du Mékong, je butai sur un coq. Ce coq, au milieu du chemin, grattait le sol avec frénésie et ses petites pattes griffues. Un bon mètre carré de sentier était creusé de stries résultant de cette activité énergique menée sans doute à la recherche de quelques gourmandises que le sol recèle. Et je ne pus m’empêcher, là, juché sur mon vélocipède, de penser à ce brillant travail qui venait de paraître quelques jours plus tôt dans la revue en ligne Nature/Scientific Reports. Car Martin Lockley, le Boss de la paléoichnologie, venait d’y décrire de semblables marques de grattage, mais fossilisées et d’une toute autre ampleur.

Ces traces fossiles ont été découvertes dans l’Etat du Colorado et datent de la fin du Crétacé inférieur et/ou du début du Crétacé supérieur. Elles furent donc produites grosso modo il y a 100 millions d’années. On peut les décrire comme de vastes dépressions pouvant atteindre 2 mètres de diamètre présentant de profondes traces de griffes produites par de puissantes pattes tridactyles, bref des griffures de gros dinosaures carnivores. Tels mon coq laotien, les théropodes griffaient donc violemment le sol, mais il est improbable, notent Lockley et ses co-auteurs, qu’ils fussent en quête de vers de terre, le sédiment étant dépourvu de bioturbations. Soit. D’eau peut-être ? En ce cas le fond de la dépression se fut rempli d’eau, oblitérant les marques de griffes.

Un site à empreintes de pas, au début, ça peut ressembler à un tas de flaques. Après séchage, c’est plus parlant.

Etudions de plus près ces étranges fossiles : on y reconnaît les griffures de deux pattes posées l’une à côté de l’autre. Le griffeur se tenait donc debout sur ses pattes et labourait alternativement le sol en demeurant sur place : gauche ! droite ! gauche ! droite ! Ce faisant il produisait, en rejetant le sable derrière lui, une vaste dépression pouvant atteindre 20 centimètres de profondeur. Il n’était pas en train de creuser sa tombe, ni un abri pour la nuit. Creusait-il alors son nid ? Là encore c’est improbable car il n’y a pas la moindre trace d’un bout de coquille d’œuf sur les sites concernés… Pourrait-il alors s’agir de cette curieuse manie de marquer son territoire : les chats sont de fervents adeptes de ces grattages arrosés d’urine, mais ni les oiseaux ni les crocodiles ne les pratiquent, et il est improbable que leurs proches parents dinosauriens se soient adonnés à de tels comportements. En d’autres termes le marquage est réservé aux animaux uréotéliques comme les mammifères (dont l’excrétion azotée se fait principalement sous forme d’urée), et n’existe pas chez les vertébrés uricotéliques comme les dinosaures (dont la même excrétion se fait sous forme d’acide urique et d’urates).

Les griffades de théropode du Colorado

Que reste-t-il alors, sinon de nos amours, du moins des hypothèses susceptibles d’expliciter ces griffures américaines ? A ce stade de l’enquête le gros dinosaure carnivore du Colorado ne cherchait pas de vers de terre, ni d’eau, ne creusait pas son nid et ne marquait pas son territoire. Alors pourquoi diable grattait-il aussi furieusement le sol, le bougre ? Peut-être éprouvait-il une démangeaison insupportable au bout des doigts de pied ? Peut-être, mais ce n’est pas la piste privilégiée des enquêteurs. Selon eux, en bons disciples de Sherlock Holmes, une fois l’impossible éliminé, c’est-à-dire les hypothèses précédentes, il faut prendre l’hypothèse restante comme argent comptant. Quelle est-elle ? Ces profondes excavations seraient liées aux parades nuptiales théropodiennes, et plus précisément à des « cérémonies de griffures » proches de ce que l’on connaît chez certaines espèces d’oiseaux actuels comme les pluviers. A la saison des amours les mâles grattent ainsi le sol, mimant le creusement d’un nid, et augmentant ainsi leurs chances d’être choisis par une femelle. Chez un perroquet de Nouvelle Zélande les ornithologues ont baptisé « lek » ces zones d’exhibition.

Des paléoscènes de séduction ? (peinture de Lida Xing, 2016)

Ainsi auraient procédé les théropodes, grattant furieusement le sol pour démontrer leur aptitude au creusement d’un nid, sous les yeux scrutateurs de leur future compagne. Intrigante excursion dans l’éthologie dinosaurienne, une fois encore liée à l’étude des empreintes de pas.

Coqs et théropodes, une parenté pourtant si évidente.

Et mon coq dans tout ça, ce lointain petit cousin du théropode américain ? Et bien je suis sans nouvelle de ce petit bonhomme depuis deux semaines, pas une carte postale, ni même un e-mail. Poursuit-il son labourage en règle de l’île de Don Deng ? Merci de me donner des nouvelles si d’aventure vous le croisez.

 

Référence

Martin G. Lockley, Richard T. McCrea, Lisa G. Buckley, Jong Deock Lim, Neffra A. Matthews, Brent H. Breithaupt, Karen J. Houck, Gerard D. Gierliński, Dawid Surmik, Kyung Soo Kim, Lida Xing, Dal Yong Kong, Ken Cart1, Jason Martin & Glade Hadden. 2016. Theropod courtship: large scale physical evidence of display arenas and avian-like scrape ceremony behaviour by Cretaceous dinosaurs. Nature/Scientific Reports | 6:18952 | DOI: 10.1038/srep18952

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Publié dans : Amérique du Nord,Nouveautés,Paléoichnologie,Théropodes

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2 Réponses pour “L’amour au temps des dinosaures”

  1. Jacques PRESTREAU dit :

    Ce serait donc eux les inventeurs du tango ! On devrait vérifier si ce type d’empreintes est plus fréquent sur les sites argentins…

  2. Mammeri dit :

    Très belle démonstration. Elle arrive au bon moment en ce Février « pas loin du 13 de ce mois ». N’est ce pas beau.

  3. [...] En pédalant l’autre jour sur une petite île au milieu du Mékong, je butai sur un coq. Ce coq, au milieu du chemin, grattait le sol avec frénésie et ses petites pattes griffues.  [...]