Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Aujourd’hui nous causerons de terriers. Il ne sera hélas pas question de rabouillères pleines de petits lapins tout mignons ni même des vastes galeries que creusent les blaireaux et encore moins des confortables, quoique légendaires, terriers des Hobbits, mais de paléoterriers. Plus précisément vous entretiendrai-je de terriers vieux de 250 millions d’années qui furent creusés du temps de la plus grande extinction de l’histoire de la vie, la limite Permo-Trias, entre les ères paléozoïque et mésozoïque.

En ces temps-là vivaient en Afrique du Sud des tripotées de reptiles synapsides (ou reptiles mammaliens si vous voulez), herbivores comme carnivores. Ils appartenaient à des groupes zoologiques aux noms barbares et la plupart furent fauchés par la grande extinction précitée (dont on vous causera un peu la semaine prochaine). Parmi les rares survivants figure le pittoresque Lystrosaurus, un dicynodonte de la taille d’un cochon avec une tête bizarre munie de deux dents seulement (comme tous les dicynodontes d’ailleurs, d’où leur nom : « à deux dents de chien »), mais pas n’importe quelles dents : deux canines en forme de défenses. L’affreux était aussi muni d’un bec corné tel la première tortue venue. Non seulement on trouve des fossiles de Lystrosaurus avant et après la limite Permo-Trias, mais il est particulièrement abondant après la crise puisque jusqu’à 95% des ossements découverts sur certains sites des premiers millénaires du Trias lui appartiennent. Une vraie calamité : on ne pouvait pas se balader tranquillement dans le Sud de l’Afrique sans tomber à tout bout de champ sur un troupeau de lystrosaures au détour d’un bois, une vraie purge ! On suppose que cette explosion démographique est largement due à la disparition de toute pression écologique : quasiment dépourvu de prédateurs et de concurrents herbivores à l’aube du Mésozoïque, Lystrosaurus vécut quelque temps dans un monde lystrosaurien. Hélas pour lui, cela ne dura qu’un temps, et, telle une rose fraîchement éclose, il finit par disparaître quelques millions d’années plus tard : l’évolution, cette hyène, avait dans l’intervalle produit concurrents et prédateurs…

Le mode de vie de Lystrosaurus fut l’objet de deux interprétations opposées depuis 150 ans : aquatique ou fouisseur. L’existence de nombreux terriers fossilisés dans les niveaux permo-triassiques du bassin du Karoo (Afrique du Sud) est l’un des éléments avancés en faveur de la seconde hypothèse. Et pour la première fois la paléontologue sud-africaine Jennifer Botha-Brink vient de décrire un squelette de Lystrosaurus fossilisé dans son terrier, confirmant que l’étrange bestiole était bien la terrassière de ces étranges structures dont le diamètre peut atteindre 50cm. Le terrier a été découvert dans des roches du tout début du Trias et montre des griffures sur ses bords. Il s’agit de la partie terminale d’un terrier, un bloc de 42×30 cm. A l’intérieur un squelette d’un lystrosaure juvénile (30% de la taille d’un adulte) dont le crâne mesure 75 mm de long. Les omoplates sont puissantes, l’animal a de grosses mains faites pour pelleter comme les oryctéropes par exemple avec de très grosses griffes 40% plus longues que les phalanges distales, un autre caractère d’animal fouisseur. La taille de la bête colle avec le diamètre du terrier, ce qui suggère fortement qu’il l’avait creusé lui-même, ce petit bonhomme. Le creusement d’un terrier consommant en effet de l’énergie, les animaux fouisseurs, pas si sots, ont tendance à ne pas les creuser plus gros qu’eux.

Le terrier de Lystrosaurus in situ ; en bas, les traces de griffes sont indiquées par des flèches

Alors chouette, Lystrosaurus creusait des terriers ! La belle affaire… Mais selon Jennifer Botha-Brink ses capacités de creuseur constituaient une formidable préadaptation au climat aride avec une saisonnalité très forte qui s’installe au début du Trias. Ses terriers frais et humides étaient un refuge parfait pour s’abriter des températures extrêmes et franchir tranquillement une crise biologique qui envoya 95% du monde vivant au cimetière ! Lystrosaurus a donc littéralement creusé ses terriers entre le Paléozoïque et le Mésozoïque et cette aptitude aux travaux de terrassement, que j’ai par ailleurs pu constater chez certains paléontologues, est probablement la principale raison de sa survie.

Lystrosaurus en son dernier sommeil

Les terriers étaient d’ailleurs si prisés en ces temps difficiles qu’on n’y trouve pas seulement des lystrosaures ! Dans une autre étude récente une équipe de chercheurs dirigée par le paléontologue français Vincent Fernandez de l’ESRF de Grenoble, un magicien du synchrotron, a décrit un squatteur : un amphibien du genre Broomistega fossilisé dans son dernier sommeil en compagnie du propriétaire légitime du terrier, un cynodonte carnivore fouisseur baptisé du doux nom de Thrinaxodon.

Thrinaxodon (dessous, en brun) et Broomistega (dessus, en gris) : tous aux abris !

Ce qui nous amène au titre de ce billet et à une radicale inversion de la philosophie de Sergio Leone dont l’essence tient en cette phrase subtile de Clint Eastwood : « Tu vois, le monde se divise en deux catégories : ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent. Toi, tu creuses. » A la fin du Permien la plupart de ceux qui avaient des flingues (les prédateurs, alias la Brute) ont disparu ; restèrent ceux qui creusèrent (Lystrosaurus le Bon, mais aussi Thrinaxodon j’en conviens) et ceux qui squattèrent (Broomistega le Truand).

Références :

Botha-Brink, Jennifer (2017) Burrowing in Lystrosaurus : preadaptation to a postextinction envronment ? Journal of Vertebrate Paleontology, 37, e1365080, DOI:10.1080/02724634.2017.1365080

Fernandez V, Abdala F, Carlson KJ, Cook DC, Rubidge BS, Yates A, et al. (2013) Synchrotron Reveals Early Triassic Odd Couple: Injured Amphibian and Aestivating Therapsid Share Burrow. PLoS ONE 8(6): e64978. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0064978

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Publié dans : Afrique,Crises biologiques,Extinctions,Nouveautés

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1 Réponses pour “Le Bon, la Brute et le Truand : recette facile pour survivre à la plus grande extinction de l’histoire de la vie.”

  1. DELAMETTE michel dit :

    Face à la dernière illustration, on peut en tirer que l’entraide est une valeur assurant la survie et non la compétition comme prôné actuellement par nos chers politiques…