Le Dinoblog

La paléontologie dans tous ses états, par l'équipe du musée des dinosaures

Tous les connaisseurs du dossier, ou presque, s’accordent à penser que les dinosaures ont été balayés de la surface de la planète suite à une catastrophe brutale à l’échelle géologique. Mais la nature de cette catastrophe reste débattue comme l’attestent les échanges récents dans les colonnes de la revue Science. Il faut dire qu’à la fin du Crétacé, notre Mère Gaïa a enduré des affres diverses qui abîmèrent son délicat épiderme et la faune qui l’habite. Tout d’abord une éruption cutanée a craché sa lave dans le nord-est de l’Inde (qui se trouvait alors au milieu de l’océan du même nom) laissant une cicatrice encore visible aujourd’hui sous la forme des trapps du Deccan. Puis l’agression vint de l’extérieur avec une météorite qui s’écrasa au Yucatán créant le fameux cratère de Chicxulub. La question est donc de savoir lequel de ces deux évènements est la cause de l’extinction de masse. Il faut ajouter que les deux catastrophes ont probablement eu les mêmes effets : une transformation profonde de l’environnement avec obscurcissement de l’atmosphère et diminution de la production photosynthétique provoquant le collapse des chaînes alimentaires qui en découlent.

Une vision extrême de la catastrophe qui fit disparaître les dinosaures où météorite et volcan s’unissent pour le bouquet final !

Voilà pour le schmilblick, mais qui sont les papis Mougeots ? (Pour les moins de 40 ans, demandez de quoi je parle à un aîné). Une majorité de paléontologues travaillant sur les vertébrés, en tout cas les « dinosaurologues », penche plutôt pour l’hypothèse de la météorite. Mais ce n’est certainement pas le cas de nos collègues micropaléontologues qui ont tendance à favoriser l’hypothèse volcanique. Il faut dire que ces derniers ont l’avantage de la précision car si les fossiles de vertébrés sont rares et souvent assez mal datés, les microfossiles sont très abondants et permettent de suivre en continu et de manière précise les variations environnementales. Et des variations environnementales semblent bien s’être produites 250 000 ans avant l’impact de la météorite selon le message livré par les foraminifères, donc au moment du déclenchement du volcanisme du Deccan.
Les poissons ont-ils quelque chose à nous dire à ce propos ? Car, ne l’oublions-pas, tous les poissons ne sont pas aussi muets que les carpes. Leur registre fossile, notamment, est plutôt bavard : il est riche et souvent assez bien daté, en tout cas pour les poissons marins. Depuis quelques temps déjà, nous savons que les poissons osseux dans leur ensemble ont bien supporté les conséquences de la catastrophe de la fin du Crétacé, mais avec passablement de victimes parmi les grands prédateurs marins. Ce schéma correspond à une perturbation de la chaîne alimentaire basée sur la production photosynthétique du phytoplancton car les grands prédateurs se trouvent au sommet de cette chaîne. Ils seraient en quelque sorte des équivalents marins des dinosaures (et aussi des grands reptiles marins). Le message envoyé par les requins n’est pas aussi clair, peut-être en raison de leur mode de vie et surtout de leur mode de reproduction (vous trouvez toutes les informations souhaitées sur cette question dans l’article récent de Guinot et Cavin, 2015).

Dans cette discussion, il faut prendre en compte le fait que le registre fossile des requins se distingue de celui des poissons osseux car il est constitué essentiellement de dents isolées, ce qui rend leur étude un peu comparable à celle des microfossiles. Mais il existe un type de fossiles, très abondant, qui est négligé ; les dents isolées de poissons osseux. Si on les oublie, c’est pour la bonne raison que les poissons osseux ont la fâcheuse habitude de posséder des dents un peu partout dans la gueule : il y a les dents des mâchoires latérales (prémaxillaires, maxillaires, dentaires), des « mâchoires intermédiaires » (ptérygoïdes, coronoïdes), des « mâchoires internes » (parasphénoïde) et même des arcs branchiaux. Sachant que chaque type de dents a une morphologie qui lui est propre, mais souvent sans caractères très distinctifs, et sachant que la diversité des poissons osseux représente la moitié de la diversité des vertébrés pris dans leur ensemble, vous pouvez imaginer que lorsqu’on on demande à un paléontologue d’identifier une dent isolée de poisson, il répond généralement l’air dépité et le front bas : « j’en sais rien » (ce n’est pas très bon pour notre image de marque, mais c’est comme ça…).

Crâne du loup de mer (Anarhichas lupus) montrant quelques-unes de ses dents de formes variées. Source inconnue.

Deux chercheurs de l’Université de Californie, à San Diego, on cependant abordé cette question de manière originale avec des résultats intéressants (Sibert & Norris, 2015). Ils se sont concentrés sur l’analyse de six carottages qui traversent les sédiments de la limite Crétacé-Paléogène (la fameuse extinction de masse), carottages effectués en milieu marins profonds dans le Pacifique, l’Atlantique et ce qui fut la Téthys. Puis ils ont compté millimètre par millimètre le nombre de dents de requins (ainsi que des denticules dermiques de ces animaux) et le nombre de dents de poissons osseux que ces forages contiennent. Ces restes isolés sont ce qu’on appelle des ichtyolithes et lorsqu’elles se trouvent dans des forages, c’est du poisson en tube.

Transformation des faunes de poissons au passage Crétacé Paléogène observé dans deux forages profonds du Pacifique. L’échelle verticale indique la proportion de poissons osseux par rapport aux poissons cartilagineux. Avant l’anomalie d’iridium (le marqueur de l’impact de la météorite), en bleu, il y a plus de requins que de poissons osseux alors que la proportion s’inverse après l’anomalie, en vert. © Sibert & Norris, 2015. Science.

Un assortiment d’ichtyolithes du Paléocène. © Elizabeth Sibert with Yale University

Sibert et Norris n’ont pas tenté d’identifications précises, mais ils ont simplement séparé ces fossiles entre ‘requins’ et ‘poissons osseux’. Puis ils ont calculé la proportion relative de ces deux types de restes. Et qu’observent-ils ? Un changement brutal de la proportion des ichtyolithes au moment de l’impact, avec les poissons osseux qui deviennent plus abondants que les requins à la limite entre le Crétacé et le Paléogène. En fait, le nombre de restes des requins ne baisse pas vraiment lors du passage, mais c’est surtout l’abondance des poissons osseux qui explose. De plus, la taille des dents de ces derniers augmente de manière importante. C’est un joli résultat car c’est la première fois, à ma connaissance, qu’on montre un tel remaniement dans les faunes de poissons en lien avec la crise biologique de la fin du Crétacé.

Mais ce qui nous intéresse ici, et qui a une portée plus large sur notre compréhension de cet évènement, est le fait que cette transformation s’est produite très brutalement. Elle n’a pas commencé avant le pic d’iridium (le marqueur de l’impact de la météorite) comme on aurait pu s’y attendre si le volcanisme en était responsable. La transformation s’est bel et bien produite au moment même de l’impact, voire un tout petit peu après comme l’indique la figure de droite ci-dessus. Et les résultats ont ici la même résolution que lorsqu’on travaille avec des microfossiles.

Si le monde des poissons s’est trouvé bouleversé par les conséquences de l’impact de la météorite, c’est donc certainement que l’ensemble des vertébrés marins a été touché à ce moment-là. Et, j’oserais pousser les implications de cette découverte encore plus loin : il semble logique de considérer que les extinctions de gros vertébrés en milieu terrestre se soient produites en même temps qu’en milieu marin. Donc, conclusion, les dinosaures ont disparu suite à l’impact de la météorite, c’est les poissons qui vous le disent !

Références :

Guinot, G. & Cavin, L. 2015. ‘Fish’ (Actinopterygii and Elasmobranchii) diversification patterns through deep time. Biological Reviews. doi: 10.1111/brv.12203

Sibert, E.C. & Norris, R.D. 2015. New Age of Fishes initiated by the Cretaceous−Paleogene mass extinction. Proceedings of the National Academy of Sciences, 2015; 201504985 DOI: 10.1073/pnas.1504985112

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Publié dans : Disparition des dinosaures,Poissons fossiles

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3 Réponses pour “Du poisson en tube pour comprendre l’extinction des dinosaures”

  1. James dit :

    Très intéressant article, merci. Où se situe l’éruption sur l’axe horizontal, à côté de l’echelle gris ou tout au droit de la figure?

    • Lionel Cavin dit :

      J’ai extrait les graphiques d’une figure plus compète et j’ai oublié d’ajouter les échelles horizontales, désolé. Sur le graphe de gauche un intervalle correspond à 2 millions d’années et sur le graphe de droite à 1 million d’années. En conséquence, les 250 000 ans mentionnés dans le texte correspondent respectivement à 1/8 et 1/4 d’intervalle avant l’anomalie d’iridium, soit assez proche. Cependant le changement semble malgré tout se produire au moment du pic d’Ir, voir un petit peu après (c’est clair sur le graphe de droite, ça l’est moins sur celui de gauche à cause d’un méchant point bleu, unique, situé « trop haut « …). Signalons aussi que 250 000 ans est une estimation courte pour l’une des phases de volcanisme du Deccan, la plus violente, mais que le volcanisme en lui-même à commencé 1-2 millions d’années plus tôt.
      Je fournirai volontiers l’article de Sibert & Norris sur demande afin que vous vous fassiez une idée par vous-même.

  2. [...] Tous les connaisseurs du dossier, ou presque, s’accordent à penser que les dinosaures ont été balayés de la surface de la planète suite à une catastrophe brutale à l’échelle géologique.  [...]

  3. massot philippe dit :

    Merci Lionel pour ces explications qui apportent une précision quant aux évènements de l’époque…Je pensais que les « grosses éruptions » volcaniques du Deccan,( celles qui auraient eu un impact décisif sur la faune marine et terrestre) se situaient en même temps que l’impact ?…..